Le cinéma palestinien est le grand absent de la 17e édition du Festival Lumière. Une programmation un poil dépolitisante qui fait oublier que le cinéma est aussi un outil de lutte et de résistance, comme le racontent les 42 films palestiniens disparus pendant des décennies et aujourd’hui conservés à la cinémathèque de Toulouse.

« Il s’agit d’un cinéma où les Palestiniens prennent la parole et s’auto-représentent comme peuple et nation, explique Francesca Bozzano, directrice des collections de la Cinémathèque de Toulouse. Un cinéma militant, pas d’artiste, dicté par l’urgence de témoigner de la situation des réfugiés palestiniens. » À la Cinémathèque de Toulouse, 42 copies de films palestiniens disparus des radars pendant des décennies sont conservées, en attente de leur retour en Palestine. Ces pellicules font partie de la centaine de films produite entre 1967 et 1982 par l’Unité de cinéma palestinienne. Ces documentaires et reportages, sans « fictionnalisation de la réalité » et en format court racontent en noir et blanc ou en couleur, parfois, l’expérience de la guerre et de l’exil forcé, des scènes de combat et d’entraînements mais aussi la vie quotidienne dans les camps.
Il y a des avions gribouillés dans tous les sens, qui sèment le chaos en vert et rouge sur le papier ou le militaire dessiné avec une arme dont s’échappe des filets de sang. Il y aussi le regard fixe et hagard d’un garçon vers la caméra. Ces scènes du film Les Témoignages des enfants palestiniens, ont été tournées dans le camp d’Al-Baqa’a, en Jordanie par le réalisateur Kais Al Zubaidi en 1972. Les enfants y racontent leur expérience traumatique de la guerre et du camp et tentent à travers le dessin de soigner leurs maux.
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Faire exister le peuple palestinien
« Les Palestiniens n’ont jamais existé. Comment pourrions-nous rendre les territoires occupés ? Il n’y a personne à qui les rendre », déclarait Golda Meir, la cheffe du gouvernement israélien au Sunday Times en 1969. C’est de ce déni d’existence que naît l’urgence de documenter la réalité du peuple palestinien : les souffrances, les déplacements, la lutte. Montrer qu’ils existent bien et bel, comme dans le film They Do Not Exist (1974) de Mustafa Abu Ali, en réponse à la provocation de Golda Meir, qui montre la vie dans le camp de réfugiés Nabatia dans le sud Liban.
Au lendemain de la guerre des Six Jours, la défaite des pays arabes face à Israël marque l’annexion et l’occupation d’une grande partie de la Palestine. La Naksa (la rechute) comme les Palestiniens l’appellent, intervient vingt ans après la Nakba (la catastrophe) de 1948 où 800 000 Palestiniens ont été chassés de Palestine par l’armée israélienne. C’est un « coup de massue pour les Palestiniens, qui vont de défaite en défaite », explique François Ceccaldi, politiste à l’EHESS dont les travaux portent sur ce conflit.
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Le cinéma au service de la lutte
Le choc de la dépossession laisse place à la radicalisation des mouvements de résistance palestinienne et ce, jusque dans le cinéma. Une nouvelle vague de réalisateurs palestiniens, dont le cinéaste Mustafa Abu Ali, souhaite mettre le cinéma au service de la lutte. Alors en exil, ils créent en 1968, à Amman en Jordanie, l’Unité de cinéma palestinienne, rattachée au Fatah, le principal parti politique de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).
Ces films sont diffusés dans les camps de réfugiés palestiniens à Amman jusqu’en 1970, puis à Beyrouth, où une cinémathèque à été créée pour en conserver la collection. « Ils circulaient assez largement dans les camps et à l’étranger grâce à des copies traduites en plusieurs langues », explique Francesca Bozzano.

Ce patrimoine filmique a disparu au moment de l’invasion israélienne du sud Liban en 1982. Les membres de l’OLP sont alors contraints de s’exiler à Tunis. Une grande partie des films est détruite ou spoliée par l’armée israélienne qui les dissimulera dans ses archives. Les quelques films emportés d’urgence par les Palestiniens disparaîtront eux des radars.
Pendant près de deux décennies, la femme de Mustafa Abu Ali et cinéaste Khadijeh Habashneh, a tenté de rassembler les copies des films de l’Unité de cinéma pour les confier à un fonds d’archives capable de les numériser et de les conserver. En 2018, elle rencontre l’équipe de la Cinémathèque de Toulouse lors d’une édition du Festival Ciné-Palestine. La cinémathèque, connue pour la richesse de ses collections étrangères, accepte de participer au projet et de l’aider dans son travail de longue haleine. Après plusieurs missions en Jordanie et au Caire et de nombreuses expertises, 42 archives vont trouver refuge à Toulouse.
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« Un acte de responsabilité face à l’invisibilisation »
Beaucoup de ces pellicules étaient très abîmées, « en état d’acidité avancé, avec des rayures et les couleurs avaient viré au rouge », explique Francesca Bozzano, qui avec son équipe, a pu numériser 35 pellicules. Numériser et conserver ces pellicules oui, mais la cinémathèque a fait le choix de ne pas les restaurer. « Ces copies, par leur état, témoignent d’une histoire particulière et on ne voulait pas l’effacer par des artefacts numériques », raconte-t-elle. Elle cite l’exemple d’un film où les sous-titres étaient à l’envers : « Cela dit que ça a été fait dans l’urgence et la précipitation. » Ces films étaient en mauvais état car souvent projetés dans des conditions précaires. D’autant plus qu’il leur « semblait important d’affirmer qu’une restauration se fait à partir des négatifs. Or, ils sont indisponibles ».
La Cinémathèque de Toulouse s’est engagée à conserver et diffuser ces films temporairement jusqu’à ce que les conditions soient réunies pour qu’ils retournent en Palestine. « C’est un acte de responsabilité face à l’invisibilisation », affirme Francesca Bozzano. Mais, comme le rappelle le politiste François Ceccaldi : « C’est très compliqué d’avoir des archives nationales en Palestine où pèse la menace d’une invasion et d’un pillage israélien. »
