Le Festival Lumière 2025 a ouvert ses portes vendredi soir avec Vol au-dessus d’un nid de coucou, œuvre multi-oscarisée dont les représentations de genre ont peu été questionnées en France. Décryptage d’un film qui transforme un violeur sur mineur en héros et fait des femmes soit des castratrices, soit des objets sexuels.

Meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure actrice, meilleur acteur, meilleur scénario. C’est un monument, récompensé cinq fois aux Oscars, qui a ouvert le Festival Lumière 2025 à la Halle Tony Garnier (Lyon 7e) vendredi soir.
Vol au-dessus d’un nid de coucou, réalisé par Miloš Forman en 1975 et adapté du roman de Ken Kesey (1962), a bouleversé la société états-unienne par sa critique des conditions des internés dans les hôpitaux psychiatriques. Si la question des stéréotypes de genre dans le film a rarement été étudiée en France, l’œuvre a fait l’objet de critiques à l’étranger pour ses représentations misogynes.
« Vous n’êtes pas plus dingue que le premier connard venu qui se balade dans la rue ! », Mc Murphy, le martyr gonfleur de couilles.
Randle McMurphy (Jack Nicholson), personnage principal, est un pédocriminel condamné pour viol sur une mineure de quinze ans. « Je vous jure qu’elle ne demandait que ça ! », se défend-t-il face au médecin qui l’accueille. Alors pour échapper à la prison et aux travaux forcés, il se fait interner en hôpital psychiatrique. En quelques jours, il se heurte à la fermeté de l’infirmière autoritaire Ratched (Louise Fletcher) et encourage progressivement les autres patients à se retourner contre l’institution.
Valorisé comme un rebelle charismatique et admiré par l’ensemble des patients, on en oublierait presque ses crimes. A l’écran, Forman en fait même un martyr.
Après avoir subi une lobotomie ordonnée par Miss Ratched, il est réduit à un état végétatif. Chief Bromden, un patient qui partageait son dortoir, l’étouffe par compassion puis s’évade en brisant une fenêtre de l’hôpital. Cette scène finale consacre l’héritage du violeur comme une force émancipatrice. Une héroïsation jamais questionnée dans le récit.
« D’un point de vue masculiniste, [le récit] offre un héros charismatique en la personne de McMurphy, une figure de force spirituelle et d’énergie sexuelle », appuie Daniel Vitkus, chercheur en littérature à l’Université de San Diego dans Folie et misogynie dans Vol au-dessus d’un nid de coucou (1994).
« Merde à votre foutu règlement ! », un patient à Miss Ratched, l’infirmière privatrice et castratrice.
Regard glacial, antipathique et autoritaire, l’infirmière Ratched représente la froideur de l’institution carcérale. Gardienne absolue de l’ordre hospitalier, elle contrôle les médicaments, les permissions, les activités – transformant son pouvoir médical en arme de contrôle psychologique. Mais Forman ne livre aucune profondeur au personnage, ni sur sa vie personnelle, ni sur les questionnements qui pourraient la traverser concernant les conditions de détention de ses patients. Lors d’une réunion des cadres de l’institution, alors que l’ensemble de la direction (entièrement masculine) affirme leur volonté de transférer McMurphy en prison, elle plaide pour maintenir McMurphy à l’hôpital psychiatrique pour une durée indéterminée… et obtient gain de cause.
Dans le roman de Kesey, la misogynie à son égard est encore plus explicite. L’infirmière y est décrite par les patients comme « une garce, un vautour et une coupeuse de couilles ».
Pour Phillip Darbyshire, chercheur australien spécialiste en soins infirmiers et auteur de Réhabiliter la « grande infirmière » : Une critique féministe de la représentation de l’infirmière Ratched dans Vol au-dessus d’un nid de coucou : « Elle illustre tout ce que la masculinité traditionnelle a horreur chez les femmes, et particulièrement chez les femmes fortes occupant des postes de pouvoir et d’influence. »
« Tu vas t’occuper d’Billy. En plus le gosse est mignon, non ? », McMurphy à Candy, au service des hommes.
Candy et Rose, deux travailleuses du sexe que McMurphy présente comme ses « amies », apparaissent dans deux scènes du film. Comme pour l’infirmière Ratched, on ne sait rien de leur vie ni de leur parcours. Toujours souriantes et enjouées, elles sont là pour amuser le regard masculin, et servir sexuellement les patients. Le tout sous les ordres de l’irrésistible mac McMurphy.
Rose doit d’abord distraire le gardien de nuit pendant que les internés se livrent à une fête clandestine dans leur dortoir. Candy, elle, s’occupe de délivrer le jeune Billy de sa virginité – même si ce dernier ne semble pas consentant au départ, et ne cède uniquement sous la pression de McMurphy.
Ces femmes n’ont aucune voix, aucune individualité. Le film les présente comme des outils au service de l’émancipation masculine, dont leur seul rôle est de redonner leur virilité aux patients en leur offrant leurs corps.
Le récit livre donc une opposition entre femme oppresseuse d’un côté (Miss Ratched) et femme soumise de l’autre (Candy et Rose). « Les femmes n’ont aucune valeur discernable ou rôle sociétal autre que celui de trophées sexuels et de soutiens de l’ego masculin », tacle Phillip Darbyshire dans son ouvrage.
À replacer dans son époque ?
Certains seraient tentés d’expliquer le sexisme débordant de Vol au-dessus d’un nid de coucou, arguant que la société des années 1970 était moins éveillée aux questions de genre que celle d’aujourd’hui. Or, l’œuvre de Forman ne se contente pas de reproduire le sexisme ambiant de son époque. Toute l’intrigue est construite autour de la lutte d’un groupe d’hommes, certes atteints de maladie mentale, mais présentés comme matés par un système froid et cruel incarné par une femme.
Dans la revue Disability Studies Quarterly, Caroline Leach soutient que les représentations des personnages principaux portent un message « troublant » : « L’abolition du matriarcat peut être une conclusion satisfaisante à l’intrigue, considérée comme un remède aux maladies mentales des patients ». Un schéma qui résonne tristement avec les discours masculinistes qui progressent, plaçant les hommes en victimes d’une société prétendument ultra-féminisée.
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