À Lyon, sous les projecteurs du Festival Lumière, Tarik Saleh lève le voile sur son dernier film, Les Aigles de la République, lors d’une avant-première ce mardi à 20h15 au Pathé Bellecour. L’ultime volet de sa trilogie du Caire fait du cinéma un outil de résistance face à l’autoritarisme dans son pays d’origine.

L’Écornifleur aura l’occasion de rencontrer le réalisateur Tarik Saleh durant la semaine du Festival Lumière. © AlloCiné

« L’industrie égyptienne du cinéma a un héritage extraordinaire mais quand al-Sissi est arrivé au pouvoir, les militaires ont pénétré et pris le contrôle de toute l’économie, y compris de l’industrie du cinéma. Ils ont produit notamment une série TV à très gros budget sur l’accession d’al-Sissi au pouvoir », s’indignait récemment Tarik Saleh dans une interview pour Cineuropa.

Après La Conspiration du Caire et Le Caire Confidentiel, le dernier chapitre de sa saga sur Le Caire s’attaque directement à l’utilisation propagandaire du cinéma par le régime égyptien.

Un acteur pris au piège

Dans Les Aigles de la République, George Fahmy, acteur star du pays, est sommé par l’appareil militaire d’État égyptien d’incarner le président Abdel Fattah al-Sissi. Incarné par Fares Fares, le personnage s’oppose à jouer ce rôle de président dans ce biopic : « Je ne travaille pas pour le régime. » Il comprend vite qu’il ne s’agit pas d’une simple proposition comme lui martèle son agent : « On ne dit pas non à ces gens-là .» Après cette décision, l’acteur reçoit la visite de deux hommes menaçants, armes à la main. Le premier lui tend une photo d’identité et l’interroge : « C’est votre fils ? » Avant de reprendre quelques secondes plus tard : « Dites-lui d’être prudent. »Le scénario interroge la place de l’artiste au sein des régimes autoritaires et les tensions internes qui en résultent. Si le pouvoir impose un script à l’acteur, le réalisateur le déjoue par sa mise en scène. C’est ce que Christophe Brangé, critique pour Abus de Ciné, souligne : « Pour Tarik Saleh, le cinéma doit être à la fois le témoin et le juge de ce qu’il se passe dans son pays d’origine. »

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Le cinéma engagé d’un exilé politique

À ce sujet, le réalisateur répondait au Monde en 2022 : « La dernière fois que j’ai pu aller en Égypte, c’était en 2015 et le film restitue ma réalité, pas la réalité égyptienne. […] Je m’informe de manière obsessionnelle sur les intrigues dans l’armée et dans l’industrie du cinéma locale. »Dans les trois jours précédant le tournage du premier opus de sa saga égyptienne,  Le Caire Confidentiel, Tarik Saleh et son équipe sont exclus du territoire égyptien par les Moukhabarat, groupe assurant la sécurité d’État. Le réalisateur est désormais persona non grata, mais ce n’est pas pour autant qu’il a arrêté de dépeindre la réalité vécue par ses concitoyens. Il a été même surpris par le nombre d’acteurs égyptiens participant au tournage de son dernier opus, malgré son statut d’indésirable et les risques d’interdiction du territoire encourus.  Inspiré par le réalisateur autrichien Billy Wilder et d’autres cinéastes européens témoins du fascisme qui ont émigré aux États-Unis, Saleh interroge les rouages autoritaires du régime égyptien depuis son exil européen. Ce mélange entre fiction, réalité et connotations politiques plaît puisque Le Caire Confidentiel a été nommé en 2017 pour le Prix international du film politique.

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Cartographier un régime autoritaire au cinéma

« Les trois films sont connectés, mais ils se déroulent dans des arènes différentes », indiquait Tarik Saleh à Cineuropa. À travers sa trilogie, il brosse le portrait du régime égyptien dans toute sa noirceur. Le Caire Confidentiel (2017) met en évidence la corruption policière. Elle sert à étouffer une affaire d’État pouvant remettre en cause la légitimité du président de l’époque, Hosni Moubarak. La Conspiration du Caire (2022) poursuit en s’immisçant dans les luttes politico-religieuses qui font vaciller le pays. Le réalisateur suédois met en lumière l’hypocrisie du pouvoir religieux d’État et la surveillance de la population omniprésente.Le public lyonnais aura l’occasion de découvrir le film et son réalisateur égypto-suédois lors d’une avant-première le mardi 14 octobre à 20h15 et d’une master class le lendemain à 15h. Et même si c’est son dernier volet, on voit mal comment le réalisateur pourrait arrêter de dépeindre la fuite en avant autoritaire du pays de son père.

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L’Égypte d’Al Sissi: un régime autoritaire depuis le coup d’État de 2013

L’Égypte, qui joue actuellement un rôle majeur dans les négociations diplomatiques pour la paix à Gaza, reste un pays marqué par une forte répression politique. Sous la présidence d’Abdel Fattah al-Sissi, les libertés fondamentales sont régulièrement restreintes. Comme le précise des rapports récents d’Amnesty International et d’Human Rights Watch, surveillance étroite, mesures coercitives sévères et « culture de la peur » sont le sel du régime militaire qui s’est installé grâce à un coup d’État en 2013. Les voix critiques sont muselées, les créateurs de contenus contrôlés et chaque dissident se voit vite sommé de rentrer dans le cadre du régime sous peine d’être emprisonné.

 

  • Emilien Scano

    Des confins du beaujolais à l’avenue Berthelot, Emilien est un pur lyonnais. D’ailleurs, en semaine, il est correspondant local pour Le Progrès, où il s’entraîne pour son grand rêve : devenir le nouveau Romain Molina. Les week-ends, il ne quitte pas les travées du Groupama Stadium : il lui est même arrivé de se glisser dans la loge du capitaine de l’OL, dont il prétend toujours être le cousin…