Le Marché international du film classique (MIFC) bat des records en 2025. Au total, 600 accrédités (+33% vs 2022) se sont réunis pour la treizième édition de ce rendez-vous international de professionnels de l’industrie du cinéma classique. Mais cette extension est-elle compatible avec les enjeux environnementaux qui secouent le secteur culturel et poussent les établissements à faire leur bilan carbone ? Décryptage.
 
« C’est réservé aux professionnels », lance le bénévole qui vérifie les accréditations à l’entrée du village du MIFC (Lyon 8e). La façade est la seule partie visible par le grand public. Photo @atclems
« C’est réservé aux professionnels », lance le bénévole qui vérifie les accréditations à l’entrée du village du MIFC (Lyon 8e). La façade est la seule partie visible par le grand public. Photo @atclems

145. C’est le nombre de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) équivalent [*voir l’encadré ci-dessous] émises sur l’année 2023 par le Marché international du film classique (MIFC) qui s’est tenu cette année du 14 au 17 octobre durant le Festival Lumière. Cela correspond à l’empreinte carbone moyenne de seize Français en 2022 ou à 81 allers-retours Paris-New York (pour un passager). Pas étonnant quand on sait que le MIFC accueille depuis 2013 des professionnels internationaux de l’industrie du cinéma classique venus du monde entier.

Qu’est-ce-que signifie une tonne de CO2 équivalent ?

Le bilan carbone est exprimé en tonne CO2 équivalent mais englobe en réalité l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre (CO2, méthane, protoxyde d’azote…). Cette unité de mesure à été créée par le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) pour faciliter les comparaisons. Pour chaque gaz à effet de serre (GES) est attribué un « potentiel de réchauffement global » (PRG), soit l’effet de serre dont le gaz est estimé responsable, pour une période de temps donnée. Ce potentiel est exprimé par rapport à celui du CO2. On exprime donc le PRG de la sorte : sur 100 ans, une tonne de méthane a un PRG 28 fois plus élevé en moyenne qu’une tonne de CO2. Dans un bilan carbone, chaque tonne de méthane est donc comptabilisée comme 28 tonnes d’équivalent CO2.

Source : Connaissance des énergies

Ainsi, les déplacements des accrédités représentent 26 % des émissions carbone (37 t CO2e). « Quand on parle de l’impact carbone, la mobilité du public est le principal enjeu », rappelle Rémy Gonthier, en charge de la politique RSE (responsabilité sociétale des entreprises) du Festival Les Suds, à Arles.

Avec 26 % (38 t CO2e) et 38 % (56 t CO2e) respectivement, le fret – soit l’acheminement de l’ensemble du matériel technique – et les intrants – qui concernent l’achat et la location de biens ou de services – viennent compléter le podium des pôles les plus émetteurs de ce festival. Les autres pôles d’émission de gaz à effet de serre (GES) ont un poids bien inférieur. Pour l’énergie, une explication possible provient du fait que l’activité du MIFC ne se déroule que de mai à octobre : « On n’a ni besoin de mettre le chauffage ni la climatisation », souligne Blandine Texier, chargée de production au sein du MIFC.

Subventions incitatives

Pour avoir ces données, le MIFC a contacté La Base, cabinet de conseil fondé par Juliette Vigoureux, qui permet aux organisations culturelles de calculer leur empreinte carbone. Blandine Texier, qui travaille au MIFC depuis 2022, revient sur les raisons qui ont poussé le festival à initier cette démarche : « Déjà, on était sensible aux enjeux environnementaux. Et les subventions qu’on voulait obtenir nous incombaient de prendre des engagements et de mettre en place des analyses, dont le calcul du bilan carbone », explique-t-elle.

Cette décision s’inscrit dans un contexte global, où les subventions favorisant la transition écologique des organisations culturelles attribuées par le ministère de la Culture et d’autres organismes se multiplient. « À l’horizon 2027, 100 % des acteurs culturels mesureront l’impact de leurs évènements ou productions », lit-on sur le site du ministère. L’effet incitatif fonctionne : « Le calcul du bilan carbone se fait de plus en plus, surtout  depuis la période Covid », remarque Rémy Gonthier.

La Banque publique d’investissement (BPI) en partenariat avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et le ministère de la Culture ont notamment lancé, en octobre 2021, le programme « Diag Décarbon’Action ». Si un organisme culturel de moins de 250 salariés souhaite réaliser un bilan carbone, 40 % du coût du diagnostic est ainsi financé par la BPI. Reste à la charge de ces entreprises 6 000 € qui demeurent « très cher pour les évènements culturels », concède Rémy Gonthier, trésorier du Collectif des festivals éco-responsables et solidaires Région Sud (Cofees). Selon l’entreprise de consulting en environnement D-Carbonize, comptez en moyenne 2000 à 10 000 € pour réaliser un bilan carbone.

Ce coût ne freine pas tous les festivals de l’industrie cinématographique. Pionnier en la matière, le Festival de Cannes a calculé son premier bilan carbone en 2019. Le Festival international du film d’animation d’Annecy ou Séries Mania (Lille) lui ont emboîté le pas en 2021, rejoints par le MIFC en 2023. Encore de petite ampleur, ses émissions de GES totales restent bien inférieures à celles de ces trois autres événements. Mais lorsqu’on les rapporte au nombre de festivaliers, il devient moins bon élève que le festival Séries Mania (302 vs 22 kg CO2e).

Et le tableau se noircit encore quand on le compare à d’autres festivals culturels hors industrie du cinéma : selon le Shift Project, un festival de musique actuelle accueillant près de 280 000 spectateurs sur quatre jours en périphérie d’une ville émettrait 50 kg CO2e  tandis qu’une grande salle de spectacle recevant 90 000 personnes ne produirait que 17 kg CO2e environ sur un an.

Un travail de fourmi

Chaque bilan carbone réalisé suit la méthode initiée par l’Ademe en 2004. Elle consiste en un travail minutieux d’interrogatoires et de récupération de données. Pour le MIFC, « on a comptabilisé l’ensemble des flux dont dépend l’organisation du festival : les déplacements des accrédités, l’acheminement du matériel technique, les projections, les dépenses énergétiques, les déchets, le fret, le parc informatique, les déplacements de l’équipe salariale, les prestataires services, et les régimes alimentaires », détaille Jeanne Doreau, consultante junior pour La Base. La liste est longue.

Cette entreprise a aussi accompagné ce marché dans l’acquisition du label REEVE qui apporte une certification d’éco-événement en obligeant les événements culturels à prendre des mesures pour limiter leur impact environnemental. Il donne ainsi « cette légitimité de prendre la parole et de faire accepter les changements », justifie Blandine Texier. 30 engagements ont été pris en 2022 pour valider le premier niveau du label. L’année suivante, le niveau 2 a été obtenu par le MIFC qui a pris à cette occasion 60 engagements. L’objectif étant désormais de « maintenir ce niveau 2 » en 2025.

L’accent sur les transports en commun

Pour se faire, en suivant les conseils fournis par La Base, le MIFC a développé toute sorte de partenariat : avec des traiteurs  qui utilisent des produits locaux et de saison ou encore avec la Métropole de Lyon pour proposer un accès gratuit aux Vélo’v lyonnais. Autre axe de réduction des émissions : la « sensibilisation et la pédagogie ».

Sur le site internet du MIFC, la page « Infos pratiques » est dédiée aux différentes options de mobilités. Des liens vers des compagnies de train, de bus et des sites de covoiturage sont ajoutés pour « donner toutes les options pour venir, en mettant l’accent sur les transports en commun », ajoute Blandine. Mais pour Rémy Gonthier : « Mettre en place ces incitations de déplacements, ça ne fonctionne pas vraiment. Peu de personnes s’en saisissent. »

600 accrédités dont 30 % internationaux et 70 % Français se sont réunis pour la treizième édition de ce rendez-vous international entre professionnels de l’industrie du cinéma classique. Photo Jean-Luc Mege

D’autant que, envergure internationale oblige, l’avion apparaît également, accompagné d’un : « Pour vos déplacements en avion, pensez à la compensation ! » Une stratégie que nuance Jeanne Doreau : « Le label REEVE exige la compensation des trajets en avion mais on est bien conscient qu’elle ne réduit pas les émissions de GES. » La vraie solution serait de faire « changer les pratiques quotidiennes des citoyens au-delà des festivals », soutient Rémy Gonthier. Avant de poursuivre : « Les événements culturels peuvent être moteurs pour influencer les pratiques mais ne peuvent pas être les seuls responsables. Il faut un changement plus global de la société. »

« Si on continue cette course au gigantisme, on va à notre perte »

Reste à savoir si les mesures entreprises par le MIFC permettront dans un premier temps de réduire son empreinte carbone. Avec une augmentation de 33 % de son nombre d’accrédités et l’ouverture du festival à une quinzaine de nouveaux pays, la tendance ne semble pas compatible avec cet objectif. « C’est une aberration. Si on continue cette course au gigantisme, on va à notre perte », s’indigne Rémy Gonthier. Et d’ajouter : « La solution n’est pas non plus au repli. »

Pour Blandine, si l’objectif n’est pas de réduire les émissions carbone, « il faut éviter au mieux qu’elles n’augmentent.» « Pour ça, on continue de trouver des alternatives ou des astuces écoresponsables sans que ça n’ait d’impact sur notre empreinte carbone », comme ne plus utiliser de toilettes chimiques ou supprimer les contenants en plastique.

Et quant est-il du Festival Lumière ? L’Institut Lumière procède étape par étape : commencer par le MIFC, de plus petite taille, pour connaître les bonnes pratiques puis mûrir la réflexion pour « faire les calculs correctement ». Si ce n’est pas encore pour cette édition,  « c’est dans les tuyaux », assure la chargée de production.

  • Agathe Carrier

    Autrice de la thèse : « Impact du microbiote intestinal sur les réponses vaccinales COVID-19 » elle est la caution scientifique de la rédaction. Ses pipettes c’est du passé, place à excel, datawrapper et R qu’elle a appris à maîtriser pour réaliser des infographies en clair. Curiosité et pédagogie sont les nutriments nécessaires au bon fonctionnement de cette aspirante datajournaliste.

  • Marine Farrugia