Du scénario à la projection (12/12). À l’occasion du Festival Lumière, L’Écornifleur s’est glissé dans les coulisses du cinéma, pour un tour d’horizon de ses métiers. Au milieu des bobines, Stéphane Roptin nous emmène en salle de projection de ce cinéma associatif.

« Une fois, j’avais oublié d’ouvrir le rideau sur l’écran. Donc il y a une personne qui vient au bout de cinq minutes et dit “excusez-moi, le rideau ne s’est pas ouvert”. J’avais le film par dessus ! » Cette anecdote, Stéphane l’évoque avec le sourire. Voilà maintenant dix ans qu’il ouvre le rideau du cinéma Bellecombe (Lyon 6e) six à sept fois par mois. De la projection aux petits travaux, en passant par la caisse, le bénévole « multicasquette » est impliqué à plusieurs niveaux du fonctionnement de l’association.
Cet engagement remonte à son arrivée à Lyon. Avec sa compagne, originaires de région parisienne, ils cherchaient alors une nouvelle activité pour occuper leurs soirées et week-ends. Habitant juste en face du cinéma, c’est à la sortie d’un film que les bénévoles du collectif leur ont proposé de rejoindre l’équipe, qui est aujourd’hui une « famille ».
Six euros la place, cinq pour les étudiants, ce cinéma de quartier, qui fonctionne uniquement grâce à ses bénévoles, a gardé son charme. Dès l’entrée, le lieu fondé en 1935, abrite des vestiges du 7e art : machine à tickets, paniers à glace, et piano à côté du rideau rouge.
Rejoindre l’association du cinéma Bellecombe ne fut pas totalement un hasard pour cet amateur du grand écran dont les sorties au cinéma ont rythmé l’enfance. « Quand j’étais avec mon père, on allait au Trianon à Romainville (Seine-Saint-Denis). Je ne suis pas un grand cinéaste. Mais c’est vrai que j’aime bien le cinéma », confie le bénévole, assis dans l’un des 260 fauteuils de la salle, vide en ce lundi après-midi.
Entre technique et rigueur, comment se déroule une séance ?
La projection, lui, n’y connaît alors rien. Mais qu’importe, il va se former.
Dans la petite salle à l’étage, c’est avec émotion que Stéphane nous présente les photos de Jean-Pierre et Jean-Guy, anciens bénévoles du cinéma. « Il m’a dit, moi, je ne vois plus grand-chose, mais tu vas être mes yeux. Et je vais t’expliquer », se souvient Stéphane à propos de Jean-Pierre qui l’a formé à la projection de films en 35 millimètres peu de temps après son arrivée, durant une journée de transmission qu’il se remémore.
Pour lui, impossible de faire le compte des films qu’il a projetés, mais Bohemian Rhapsody (2018) et Mad Max : Fury Road en version « black & chrome » (2015) ont été les plus marquants, faisant salle comble. La projection est un art qu’il maîtrise à présent. À son tour, il a enseigné ces gestes à une quinzaine de bénévoles pour continuer à transmettre et protéger le patrimoine de Bellecombe.
Lors d’une projection, Stéphane ouvre le cinéma rue d’Inkermann environ une demi-heure avant la séance. Pour entrer, il faut traverser la cour du groupe scolaire Notre-Dame de Bellecombe. L’école n’est jamais bien loin, avec des classes juste au-dessus de la salle de cinéma.
« Sans projectionniste, de toute manière, il n’y a pas de film ! » Il se charge alors d’allumer le projecteur, le serveur et de préparer le film. Le cinéma Bellecombe est passé à la projection numérique en 2012. À son arrivée, Stéphane a créé des programmes de lancement des séances. Cette semaine par exemple, Une Bataille après l’autre, Arco et Rembrandt sont à l’affiche. Une fois le film démarré, il se faufile dans la salle pour contrôler que tout se déroule normalement, et profiter du film, avoue Stéphane en riant.
« Ça m’en donne la chair de poule »
« Le projectionniste, comme à l’ancienne, c’est le responsable de la séance », dit-il. « En cas de problème, il doit être en mesure de réparer et de ne compter que sur lui-même et ses compétences de compréhension et de techniques pour que le film se lance. » Rigueur et soin sont deux qualités essentielles pour exercer cette activité, explique Stéphane en montrant les machines.
Les accidents arrivent, comme lors de l’une de ses toutes premières séances : Star Wars, épisode 7 (2015), un samedi après-midi. 68 personnes présentes. Une fois le film lancé, Stéphane descend dans la salle, pour vérifier au bon déroulement. « Je vois en bas de l’écran deux petits crochets avec des petits points », explique-t-il en pointant du doigt le rideau rouge. « Le générique se lance et il y avait quelque chose d’inscrit en bas, c’était “une musique inquiétante”. En fait, j’avais lancé la version pour les sourds ! »
« Les gens, quand ils sortent, on leur dit au revoir, on discute, on voit toujours les mêmes. » C’est l’échange avec le public que Stéphane apprécie avant tout, notamment le dimanche après-midi, rendez-vous des « têtes grises du quartier ». Il ajoute : « Le dimanche on choisit un film français avec une belle distribution. On a tous nos petits papis et mamies du quartier qui viennent. »
Le bénévole garde de particulièrement beaux souvenirs du festival Jap’in Bellecombe, événement consacré à l’animation japonaise. Lors de la première édition en 2019, pour la séance du samedi soir, le cinéma a projeté Le Tombeau des Lucioles (1988). « Tous les gens qui sortaient, pleuraient. C’était un truc de fou », raconte-t-il. « Ça m’en donne la chair de poule. »
