Deux séances avec des sous-titres adaptés aux personnes sourdes et malentendantes en 2024, cinq en 2025 : le Festival Lumière progresse en matière d’accessibilité. Mais ce pas en avant modeste rappelle combien l’accès au cinéma reste semé d’embûches pour une partie du public. L’Écornifleur fait le point.

En feuilletant le programme de la 17e édition du Festival Lumière, les plus attentifs auront sans doute remarqué la mention « ST-SME ». Cinq lettres pouvant paraître anodines mais qui, pour les plus de sept millions de Français reconnaissant avoir au moins une déficience auditive, ont une très grande valeur : ils pourront visionner cinq des films de patrimoine proposés par le festival en étant sûr que leur handicap auditif sera pris en compte. Et ce grâce à une invention américaine datant de 1972 et apparue en France en 1984 : les sous-titres pour sourds et malentendants, souvent abrégé « ST-SME ».
Cinq seulement ? Sur les 400 séances du festival, cela paraît très peu (1,25 %). Mais c’est tout de même deux fois plus que l’édition précédente qui proposait ce type de séances pour la première fois.
60 % des cinémas proposent des ST-SME
Le Festival Lumière ne fait pas exception quant au manque d’accessibilité des salles obscures pour les personnes sourdes ou malentendantes. Seuls 60 % des cinémas proposent des séances avec un sous-titrage SME selon le baromètre sur l’accessibilité publié par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) publié en 2023. En prenant en compte les dispositifs de son renforcé comme les boucles magnétiques, qui garantissent une bonne écoute aux personnes présentant un appareil auditif, le chiffre monte à 70 %. Insuffisant encore quand on sait qu’un adulte de 50 ans sur cinq présente au moins de légères difficultés d’audition et que seulement 19 % des sourds et malentendants utilisent une correction auditive.
Des progrès sont tout de même à souligner. Dans la lignée de la loi de 2007 entérinant la prise en compte de l’ensemble des handicaps dans les établissements accueillant du public, il est obligatoire, depuis le 1er janvier 2020, de proposer un sous-titrage adapté pour les films français souhaitant obtenir l’agrément du CNC.
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Depuis, ce sont, chaque année, plus de 300 nouveaux films à l’affiche des cinémas français qui comprennent l’option ST-SME dès leur production. Près de 4000 œuvres cinématographiques sous-titrées pour sourds et malentendants constituent ainsi le répertoire du CNC, si l’on comptabilise les films auxquels les sous-titres ont été ajoutés en post-production. Parmi lesquels : le long-métrage de science-fiction américano-sud-coréen Mickey 17 de Bong Joon-ho, le drame franco-belge L’Amour ouf signé Gilles Lellouche ou encore le plus ancien Azur et Asmar de Michel Ocelot sorti en 2006.
Reste encore aux exploitants de cinéma à les diffuser un peu plus souvent que deux fois par semaine et à ne pas faire l’impasse sur les mercredis ou week-ends pour lesquels ils sont encore frileux.
« Il n’y a qu’à écrire en bas de l’écran »
Il faut aussi que les sous-titreurs professionnels puissent les concevoir. Et ce n’est pas chose aisée. Contrairement à ce que Lisa d’Alfonso, traductrice et sous-titreuse professionnelle depuis 2018, entend parfois, il n’y a pas « qu’à écrire en bas de l’écran » pour sous-titrer un film.
« En sous-titrage, pour une heure de vidéo, on estime qu’il te faut six heures pour juste faire la transcription », explique la professionnelle. S’ensuit la partie plus créative du métier où il faut sélectionner et adapter les paroles des personnages. Cette étape est encore plus longue lorsqu’il s’agit de réaliser les dits ST-SME. Car pour aider le spectateur à mieux cerner l’environnement scénique, une plus grande quantité d’informations doit apparaître à l’écran comparé à un sous-titrage dit « classique ». Les propos des personnages visibles à l’écran, ceux prononcés hors champ, les bruits, les musiques… Tout doit être écrit et ce, en respectant un maximum de quinze caractères par seconde (contre 17 à 18 pour les sous-titres classiques), indispensable à un visionnage agréable d’après la Charte relative à la qualité du ST-SME (2011).
Pour réaliser des sous-titres de qualité, il faut donc : une dose de « bonne mémoire », saupoudrée d’un « esprit d’analyse aiguisé » pour faire l’impasse sur les informations superflues et accompagnée d’une « certaine empathie » pour réussir à se mettre à la place de la personne qui va visionner le travail. « Pour les films d’horreur par exemple où tout le suspens se joue sur un son, il faut être très attentif à le faire apparaître au bon moment pour garantir l’effet de surprise », raconte Lisa d’Alfonso. Pas facile.
Des bâtons dans les roues
Ce qui est compliqué aussi, c’est la rude concurrence qu’apporte l’IA. Rapide, elle est cependant souvent gage de mauvaise qualité. « Elle ne tient pas compte de la vitesse de lecture et n’est pas très forte pour bien adapter une blague, un ton », déplore la sous-titreuse freelance. Alors lorsque les agences, qui font le relais entre sous-titreurs et acteurs du secteur audiovisuel, proposent, au nom d’un gain de temps, des traductions pré-mâchées par l’IA, Lisa d’Alfonso est révoltée : « Neuf fois sur dix, on doit tout supprimer. »
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Avec cette technique, ces agences en profitent également pour justifier une baisse des prix qui fragilise la profession : « En 20 ans, les tarifs n’ont pas évolué voire ont baissé. C’est très compliqué surtout avec l’inflation », rapporte la traductrice. Et d’ajouter : « Ces agences se font des marges énormes en proposant des tarifs très élevés à leurs clients tandis que le traducteur reçoit trois fois rien. »
Pour la 17e édition du Festival Lumière, cinq séances avec ST-SME sont proposées

