Se plaindre du manque d’originalité des affiches de cinéma, c’est oublier leur but premier : nous faire venir en salle.

À peine arrivé dans sa boutique Loulou affiche, spécialisée dans la vente de posters de cinéma, Pierre Fiasson nous prend à témoin : « Regardez derrière moi, vous avez deux posters presque identiques ! » Et en effet, sur l’une comme sur l’autre, on observe une main noire qui descend du haut du cadre sur un fond rouge vif, l’une s’apprêtant à éjecter une silhouette, l’autre semblant vouloir saisir quelque chose. « Bleeder et Second Tour sont pourtant deux films qui n’ont rien à voir…», remarque le vendeur d’affiches.
Un exemple parmi d’autres dans l’univers de l’affiche de film où les similitudes sont telles qu’on se demanderait presque si les professionnels du cinéma occidental sont en panne de créativité. Tentez l’expérience en observant aléatoirement un visuel d’un film au fond bleu avec un titre en jaune. Il y a de fortes chances qu’il représente une comédie française avec Christian Clavier ou Franck Dubosc. Si l’affiche contient plus de visages que d’heures de survie du gouvernement Lecornu, c’est sans doute qu’elle illustre un blockbuster hollywoodien du type Avengers ou Dune.
« Un produit publicitaire, pas un objet artistique »
Pour avoir un élément de réponse, il faut d’abord revenir à l’objectif premier d’un poster au cinéma. « C’est un produit publicitaire, pas un objet artistique, estime Pierre Fiasson. Le but est d’attirer le regard pour donner envie aux spectateurs d’aller au cinéma. » Un constat partagé par Simon Sastre, directeur marketing de la société Diaphana distribution : « Une affiche hyper efficace mais qui n’est pas super originale » sera toujours préférée « à une affiche splendide mais pas très fidèle au film ».
Son équipe, chargée de développer un plan de communication autour de la sortie d’un film, a notamment travaillé sur les visuels d’En Fanfare, Close ou Été 85. Avant de commander un design à une agence graphique, le distributeur s’appuie sur le scénario et s’inspire d’affiches de films similaires et qui ont bien fonctionné.
Dans cette optique, « l’affiche d’une comédie utilisera des couleurs plus chaudes quand celles d’un thriller sera généralement sombre », explique Simon Sastre. Pour le directeur marketing, « c’est une manière d’envoyer un signal rassurant, de donner un point de repère aux spectateurs ».

Un besoin d’assimiler les affiches à des succès cinématographiques passés qui serait accentué dans « notre époque assez nostalgique », selon la graphiste Flore Maquin, qui a entre autres réalisé les affiches officielles du Festival de Cannes en 2018 et 2019. Nostalgique à son tour, elle considère « qu’avant, il y avait sans doute plus de prises risques avec des affiches plus marquantes ». Simon Sastre veut nuancer ce ressenti en rappelant : « À l’époque, il n’y avait pas 20 sorties hebdomadaires comme maintenant. Face à la multiplication de films, il est normal d’observer des similitudes. »
Le cinéma érotique, un responsable de l’uniformisation des affiches
L’analyse de plus de 160 000 affiches par le doctorant de l’université de Genève Adrien Jeanrenaud permet tout de même de faire émerger un « tournant de la standardisation des affiches » qui serait intervenu dans les décennies 1970 et 1980. La disparition progressive des affichistes qui dessinaient les visuels de cinéma au profit des graphistes travaillant à partir de photos est une des explications, même si l’universitaire avertit : « Il ne faut pas se dire qu’à partir du moment où il y a du dessin c’est artistique et inversement. »
L’évolution de la loi dans des pays européens comme la France a aussi participé à ce phénomène selon lui : « Avec l’essor de visuels aguicheurs représentant des scènes érotiques ou de bagarre pour faire venir les gens au cinéma, la législation va alors se renforcer. »
Des contenus plus lisses se sont alors imposés, tant pour se conformer à la loi que pour satisfaire les attentes d’un public mondialisé et assurer la rentabilité de films qui coûtent toujours plus cher. « L’art est subjectif donc ça peut être risqué de créer une affiche trop originale », constate à ce titre Flore Maquin.
« On ne va pas s’amuser à cacher Pierre Niney »
La standardisation d’une affiche serait ainsi proportionnelle au budget du film. « Ce n’est pas une loi absolue mais c’est très souvent le cas », admet Simon Sastre. Tant pis pour la beauté de l’image, les spectateurs se contenteront d’un bouquet de visages de stars, puisque cela fait vendre. « Quand on a un film avec Pierre Niney ou Virginie Efira, on ne va pas s’amuser à les cacher », ironise-t-il.
Le directeur marketing souligne également que certains acteurs peuvent établir des clauses pour s’assurer d’être présents sur les panneaux publicitaires. Là encore, le phénomène d’incarnation de l’affiche n’est pas nouveau. « Depuis la fin des années 1910, on observe l’importance de la représentation des visages », rappelle Adrien Jeanrenaud.
Des affiches alternatives plus originales ?
Pour trouver des visuels plus singuliers, il faudrait alors se tourner vers les créations de fans. C’est justement en revisitant des affiches de films cultes comme Pulp Fiction, pour les rendre plus colorés et dans l’air du temps, que Flore Maquin s’est fait connaître sur les réseaux sociaux il y a une dizaine d’années. Elle est depuis régulièrement contactée par des distributeurs pour réaliser des visuels dits alternatifs, qui sont utilisés dans la campagne de promotion d’un film sans être l’affiche officielle visible dans les cinémas. « Il y a davantage de places pour la créativité dans ce type d’affiche », remarque la graphiste.
Reste que pour les personnes interrogées, l’émergence des illustrations alternatives relève moins d’un souci artistique de la part de l’industrie qu’à une façon de toucher une partie du public cinéphile et sensible à l’esthétique. « C’est vraiment un objet publicitaire, répète Flore Maquin. Une affiche considérée comme artistique devient paradoxalement encore plus commerciale. »

Super article !
Super intéressant comme sujet ! J’allais justement parler du succès des affiches plus anciennes de films jugés comme « des classiques » mais dont l’affiche ne rentre pas forcément dans les codes actuels, et finalement c’est déjà abordé sur la fin, c’est beau.