Neuville-sur-Saône, 7000 habitants à 15 km au Nord de Lyon, abrite le cinéma partenaire du Festival Lumière le plus éloigné de Lyon : le cinéma Rex. L’Écornifleur s’y est rendu à la découverte de son histoire et ses tracas. Portrait croisé, en photos, d’un lieu insolite, et de son gérant passionné.
Le cinéma REX, institution de Neuville-sur-Saône depuis 1956. Neuville-sur-Saône. 7 octobre 2024 © Paul Poirot

Avenue du 11 Novembre à Neuville-sur-Saône, L’Écornifleur croise le regard fier d’Isabelle Huppert. Ici aussi, à une quinzaine de kilomètres de Lyon, elle vole la vedette à ses voisins d’affiche : Aznavour, le Joker, ou Adam Driver dans Megalopolis. Au-dessus d’elle, trois lettres contrastent avec le blanc défraîchi des murs : R.E.X. Avec son allure rétro, le bâtiment intimide autant qu’il semble accueillant. Jadis, il était connu pour abriter « la plus grande salle du Val de Saône », avec près de 3000 fauteuils.

De dos, le Rex arbore une fresque peinte pour les 100 ans du Cinéma en 1995. Non entretenue depuis. Neuville-sur-Saône. 7 octobre 2024 © Paul Poirot

Passé la porte, ça court à l’intérieur. Jérémy Duplot, téléphone calé entre l’épaule et la joue, souffle  « gros problèmes » pour expliquer son appel, aussi pressé que désolé. Dans le bureau situé à l’étage, deux amis du quarantenaire s’affairent pour résoudre une panne de wifi empêchant de recevoir des films dématérialisés. Vu la tête des protagonistes, ça semble sérieux.

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Au cinéma Rex, l’entrée plein tarif s’élève à 7,90€, contre 15,20€ dans les cinés UGC, et 16€40 aux cinés Pathé. Neuville-sur-Saône. 7 octobre 2024 © Paul Poirot

 Duplot, troisième du nom

Le Rex de Neuville-sur-Saône est né de l’initiative de Monsieur Stopa en 1956. À l’époque, Isabelle Huppert n’avait que 3 ans. Autant dire que le cinéma a bien évolué depuis son ouverture jusqu’à ses problèmes de réseaux en 2024.

Oubliez les fauteuils molletonnés des cinémas actuels, en 1956, voici à quoi ressemblaient les 3000 sièges du cinéma Rex. Neuville-sur-Saône. 7 octobre 2024 © Paul Poirot

À la fin des années 70, Pierre Duplot, photographe de métier et grand-père de Jérémy, reprend l’exploitation du cinéma.  Il y ouvre en 1983 une deuxième salle, plus petite, qui existe encore aujourd’hui. Après une période difficile, les murs du cinéma sont vendus à la Mairie de Neuville-sur-Saône en 1993. La gestion reste entre les mains de la famille Duplot.

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La grande salle du cinéma Rex, renommée salle « Pierre Duplot », dont la dernière rénovation remonte à 2003. Neuville-sur-Saône. 7 octobre 2024 © Paul Poirot
La deuxième salle du cinéma Rex, créée en 1983, est située à l’étage. Neuville-sur-Saône. 7 octobre 2024 © Paul Poirot

Vient ensuite le tour du père de Jérémy Duplot. Après avoir travaillé dans quelques cinés pornographiques de la rue de la République à Lyon, il s’occupe de la gestion du cinéma, rapidement épaulé par son fils. « À 16-17ans je me suis investi pleinement, se rappelle Jérémy Duplot, et je m’occupe de la programmation depuis 2001 ».

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Batmobile, DeLorean, et Indiana Jones

Dans la famille Duplot, option cinéma, Jérémy est donc le troisième du nom. Un héritage dont il se ravit, lui qui a « grandi dans ce monde-là ». Miniatures de la Batmobile de Burton et de la DeLorean de Retour vers le Futur sur le bureau, poster d’Indiana Jones au mur :  Jérémy Duplot est un enfant des années 90, l’« âge d’or du cinéma », estime celui qui se présente comme « méga fou de cette époque ».

Dans le bureau, la décoration s’inspire fortement du cinéma des décennies 80-90. Ici, Retour vers le Futur de Robert Zemeckis (1985). Neuville-sur-Saône. 7 octobre 2024 © Paul Poirot

Alors accueillir le Festival Lumière dans son cinéma ? C’est un grand oui. « Le futur du cinéma, c’est le patrimoine », estime l’homme de 40 ans, avant d’ajouter : « le Festival Lumière, ils ont tout compris, il y a des trucs qui ne meurent pas ». Depuis 2009, le festival pose ses valises à Neuville-sur-Saône, malgré l’éloignement (relatif) de la ville, du cœur de Lyon. Le résultat de négociations entre la famille Duplot et Thierry Frémaux, qui connaissait le grand-père.

Neuville-sur-Saône et le cinéma, une histoire qui date

Chaque année, une séance est proposée au Cinéma Rex. « Super motivé », Jérémy Duplot décore son hall, la scène, et introduit la séance en musique « pour que les gens soient imprégnés ». Spécialité locale, il projette en préambule le quatrième film de l’histoire, tourné par les frères Lumière à … Neuville-sur-Saône ! Le Débarquement du Congrès des photographes est un film d’une trentaine de secondes, où des photographes débarquent quai Pasteur en juin 1895.

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Cette année, la séance Lumière présente le film américain Gilda (1946) de Charles Vidor, « un super chef-d’œuvre » selon Jérémy Duplot. Pour introduire la séance : Antoine Sire, issu du milieu de la communication et auteur français spécialisé dans le cinéma. « On préférerait des artistes », reconnaît Jérémy Duplot. Il regrette les salles bondées lorsque Melvil Poupaud, Tony Gatlif étaient invités dans le Val de Saône. « On accueille bien les artistes », qui sont « contents de venir », souligne Jérémy Duplot. Mais depuis quatre années, il reçoit plutôt des critiques cinéma.

Pour le festival Lumière, Jérémy Duplot sort des vieux projecteurs de cinéma, et quelques éléments de décors issus du passé du cinéma. Neuville-sur-Saône. 7 octobre 2024 © Paul Poirot

 « Le soir, c’est mort »

Gilda sera diffusé le dimanche 13 octobre à 16h, ce qui correspond à « la plus grosse séance » de la semaine pour le cinéma. Ici à Neuville, le public est composé de séniors et de familles. Alors « le soir, c’est mort ». En moyenne, entre 40 000 et 50 000 entrées sont vendues par an au Rex. C’était moins pendant le Covid, mais depuis quelques années, le taux de fréquentation est jugé satisfaisant.

« Généraliste », le cinéma Rex diffuse autant de blockbusters que de films d’art et d’essai. Neuville-sur-Saône. 7 octobre 2024 © Paul Poirot
« Généraliste », le cinéma Rex diffuse autant de blockbusters que de films d’art et d’essai. Neuville-sur-Saône. 7 octobre 2024 © Paul Poirot

Malgré la bonne fréquentation du cinéma, Jérémy Duplot le reconnaît : « on est à un moment charnière où le cinéma devrait évoluer ». Il souhaiterait ouvrir une troisième salle, ou engager des travaux de rénovation, la dernière en date ayant été réalisée en 2003. Problème : la Mairie de Neuville-sur-Saône « ne fout strictement rien depuis des mandats » et « ne collabore pas » selon le gestionnaire du cinéma. En d’autres termes : elle ne débloque pas les fonds qui devraient être alloués au Rex.

D’extérieur, les années se ressentent sur les façades du cinéma Rex. Neuville-sur-Saône. 7 octobre 2024 © Paul Poirot

« Je ne veux pas qu’il meurt », s’attriste Jérémy Duplot en parlant du Rex. Le poids de l’héritage et la passion du cinéma l’oblige à continuer. C’est aussi les Neuvillois, qui « tiennent à leur cinéma ‘plus plus’ ». Lors de réunions publiques, présent discrètement dans l’assemblée, il a vu plusieurs riverains prendre la parole pour défendre le Rex. « Ça m’a vraiment fait chaud au cœur », se souvient-il. « Je me bats parce que j’y tiens, mais je ne me battrai pas éternellement ». En « cas de pépin », il contactera la Fédération nationale des cinémas français et son « super président » Richard Patry, connu pour sauver les cinémas en crise de France.

Retour au bercail pour L’Écornifleur, qui a fait un beau voyage dans le Val de Saône. Neuville-sur-Saône. 7 octobre 2024 © Paul Poirot
Paul Poirot