Quasi inconnue du grand public, mais renommée chez les cinéphiles les plus pointus, la cinéaste mexicaine Matilde Landeta est cette année mise à l’honneur au Festival Lumière. Si elle a dû lutter pour se faire une place dans le milieu masculin du cinéma, elle est aujourd’hui une figure tutélaire pour la nouvelle génération de réalisatrices mexicaines. Portrait d’une avant-gardiste, pionnière des cinéastes de l’Epoca de Oro del Cine Mexicano (1936-56).
Matilde Landeta, sur le tournage de Nocturno a Rosario
Matilde Landeta, sur le tournage de Nocturno a Rosario. Capture d’écran tirée du documentaire Matilde Landeta, de Patricia Martinez de Velasco, 1992

« Aucun producteur ne voulait me donner un film à faire, personne ne croyait qu’une femme devait être assistante réalisatrice, et encore moins réalisatrice », se désolait une Matilde Landeta octogénaire, lors d’un entretien en 1995. Pourtant, sa carrière de cinéaste n’est pas à oublier. Cette année, c’est elle qui est mise à l’honneur dans la rétrospective de l’Histoire Permanente des Femmes Cinéastes du Festival Lumière. Avec les projections de ses films Lola Casanova (1949), La negra Angustias (1950) et Trotacalles (1951), le festival revient sur l’œuvre d’une femme qui s’est battue pour avoir sa place dans le cinéma. 

Et pour cause, celle qui a dirigé cinq tournages est aujourd’hui considérée par les cinéphiles comme la grande réalisatrice de l’âge d’or du cinéma mexicain. Confrontée à l’imperméabilité masculine, quasi sectaire, du cinéma des années 1930-1940, Matilde Landeta a été une de celles qui ont montré la voie : celle de la féminisation du cinéma mexicain, mais aussi d’un cinéma plus féministe. 

« Tu es une femme ! » 

Née en 1913 à Mexico, Matilde Landeta s’est vite rapprochée du cinéma. Élevée par sa tante et sa grand-mère quand elle avait trois ans, elle découvre le théâtre, aux côtés de son frère Eduardo et de ses amis. À ses dix-huit ans, c’est en accompagnant son frère sur le tournage de son premier rôle d’acteur en 1931, que Matilde a voulu se lancer dans le cinéma. 

A lire aussi : Xavier Dolan, cinéaste LGBTQI+ mais pas cliché

Si elle s’est vite vu proposer un travail de maquilleuse puis d’assistante scénariste en 1932, la future cinéaste se trouve vite face à l’impossibilité d’aller plus loin parce que femme. « Pendant douze ans, j’ai été considérée comme la meilleure scénariste du Mexique », raconte-t-elle dans une interview donnée en 1995. « Mais quand j’ai parlé de gravir les échelons et que je voudrais devenir assistante réalisatrice, [les producteurs] m’ont répondu ‘Tu es une femme’ ».  

« Silence ! » 

Si le Mexique connaissait déjà Mimí Derba (1893-1953), actrice considérée comme la première réalisatrice mexicaine, ou encore Adela Sequeyro (1901-1992), journaliste, actrice et productrice de cinéma, Matilde Landeta s’est, elle aussi, confrontée au même milieu, fermé et masculin, que ses prédécesseuses. 

Témoignage de sa détermination à faire taire les clichés misogynes selon lesquels une femme ne peut pas être réalisatrice ou même assistante, Matilde Landeta était même arrivée déguisée en homme, avec une moustache, pour le tournage de La Guerra de los Pasteles (1943). C’est après avoir lancé un « Silence ! », qui s’est fait respecter par tout le plateau, que Landeta réussit à devenir assistante de réalisation en 1945. Cela malgré l’opposition initiale des syndicats du cinéma, et les difficultés qu’elle rencontre pour financer son travail.

Représentation de Matilde Landeta, déguisée en homme pour le poste d’assistante réalisatrice. Capture d’écran tirée du documentaire Matilde Landeta, de Patricia Martinez de Velasco, 1992

Pendant trois ans, elle travaille sur plus d’une dizaine de films, avant de réaliser et diriger son premier long-métrage en 1948 : Lola Casanova. Adaptation d’un roman de Fransisco Rojas Gonzalez, le film raconte l’histoire de Lola, femme blanche qui, après avoir été enlevée par une tribu indigène au Mexique, finit par embrasser leur mode de vie et devenir un lien entre deux mondes opposés. Un film plaidoyer pour le métissage culturel et la libération de la femme, mais trop engagé pour le milieu du cinéma mexicain. « Faire Lola Casanova, c’était tout un exploit », raconte-t-elle lors de cette même interview. Elle explique avoir été victime d’actes de sabotage de la part d’acteurs du milieu, expliquant même qu’un « rouleau de négatifs a été perdu dans les laboratoires ». 

Émancipation et femmes fortes

Malgré des qualités enfin reconnues, la nouvelle réalisatrice encaisse toujours les refus de financements de films de la part des sociétés de production. Pour Lola Casanova, Landeta a dû hypothéquer sa propre maison pour lever 16 000 pesos. Dans un documentaire de 1992, réalisé par l’Institut mexicain de cinéma consacré à la cinéaste, elle semble avoir pris sa revanche. « Comme par miracle, ces films font toujours de l’argent, presque cinquante ans après », s’enorgueillit cette dernière. 

A lire aussi : Metoo au cinéma : la programmation «schizophrène» du Festival Lumière

Dans ses propres films, Matilde Landeta dresse le récit de femmes fortes, l’histoire de leur émancipation du machisme diffus, et témoigne aussi d’un certain progressisme sur des thématiques de société. Après Lola Casanova, La Negra Angustias (1950), raconte l’histoire d’une jeune femme qui, après avoir échappé à une tentative de viol et de meurtre, devient une colonelle révolutionnaire zapatiste. Enfin, dans Trotacalles (1951), en évoquant le sujet de la prostitution, la réalisatrice livre le récit de deux sœurs faisant face aux dominations de genre et de classe. Mais pour avoir fait des films trop engagés, celle que certains appellent « Doña Matilde », a subi le boycott de sociétés de diffusion, remettant le succès de ses films à plus tard.  

Capture d’écran tirée du documentaire Matilde Landeta, de Patricia Martinez de Velasco, 1992

Reconnaissance sans les films

Forcée de rembourser ses films, celle-ci décide de mettre en pause sa carrière de cinéaste en 1951 pour rejoindre une société de courts métrages états-unienne. Un break d’une année avant de reprendre le cinéma. Pourtant, de 1956 jusqu’en 1992, date de son dernier film, Nocturno a Rosario, Matilde Landeta n’a écrit ou réalisé que cinq scenarii, la faute à un milieu du cinéma qui boycotte la réalisatrice. Paradoxalement, cette période a été celle où la cinéaste a vu son travail obtenir la reconnaissance qu’il méritait.

En 1956 et 1957, El camino de la vida reçoit un prix à la Berlinale et le prix Ariel, plus haute distinction du cinéma mexicain. Réalisé par Alfonso Corona Blake, c’est en réalité Matilde et Eduardo Landeta qui ont écrit et vendu ce film au réalisateur, sous le nom initial de Tribunal de Menores. Une vente qui s’est mal finie puisque le premier a tenté d’effacer la trace de la scénariste. « Si le film a remporté tous les prix de l’année au Mexique, et un prix à Berlin, [les hommes du milieu] m’ont fermé les portes du cinéma pour réaliser », a-t-elle pu regretter.

A lire aussi : VIDEO – A Hollywood, la menace de l’intelligence artificielle

Plus tard, la réalisatrice s’est vue rendre de nombreux hommages en tant que figure pionnière du cinéma mexicain et mondial, cela jusqu’au Festival Lumière 2024, à titre posthume. Décédée en 1999, l’héritage de Matilde Landeta est toujours présent dans le cinéma mexicain, notamment chez des réalisatrices comme Maria Novaro, Tatiana Huezo, ou Issa López, qui la considère comme une « légende ». 

Malgré une carrière semée d’obstacles, sur le tournage de son dernier film Nocturno a Rosario (1992), Matilde Landeta se dit heureuse « d’avoir la chance de faire quelque chose que j’ai toujours voulu faire, avant de partir pour ce long voyage dans l’au-delà ».


 Cette année, le Festival Lumière vous fait (re)découvrir trois films de Matilde Landeta : 

  • Lola Casanova : mardi 15 et jeudi 17
  • La negra Angustias : jeudi 17 et vendredi 18
  • Trotacalles : mardi 15 et mercredi 16

Nicolas Malarte