En seulement 15 ans, Xavier Dolan s’est imposé comme une figure majeure du cinéma contemporain. Avec des personnages LGBTQI+ assumés et des récits universels, il interroge les relations humaines et redéfinit la représentation queer à l’écran. Portrait.
Xavier Dolan dans J’ai tué ma mère (2009)  © Rezo Films

Si les membres de L’Écornifleur connaissent son nom, ils ne savent pourtant pas à quoi ressemble Xavier Dolan. Pourtant, le réalisateur est partout dans ses films. Quasiment toujours devant et derrière la caméra. Il confiait justement dans Les Inrocks : « Je ne crois pas que je tournerai à nouveau un film sans y jouer après Laurence Anyways. Ça a été une frustration horrible. » 

En juin dernier, il était président du jury Un Certain Regard au Festival de Cannes. C’est en 2009, à ce même festival, qu’il apparaît publiquement pour la première fois en France, coiffé d’une mèche brune proéminente. À seulement 20 ans, Xavier Dolan rafle alors trois prix de la Quinzaine des réalisateurs avec J’ai tué ma mère. Il en est à la fois le réalisateur, le scénariste, l’acteur principal et le producteur. Il finance même les 150 000 € de budget avec ses économies d’enfant acteur.

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À seulement 35 ans et guidé par son rêve d’enfant prodige, il comptabilise aujourd’hui sept films et une série sur les thèmes récurrents de la différence, des relations familiales, notamment avec la mère, des tourmentes amoureuses et amicales. S’il avait annoncé la fin de sa carrière de réalisateur en juillet 2023, du fait de l’échec commercial de sa série La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, il rétropédale finalement l’été dernier en évoquant un prochain film d’horreur.

Julie Le Breton dans La Nuit où Laurien Gaudreault s’est réveillé (2023) © Fred Gervais

« Point de bascule » pour la normalisation LGBTQI+

Les personnages LGBTQI+ fleurissent sous son objectif. Il propose des histoires queer, sans faire de l’orientation sexuelle ou de l’expression de genre le sujet principal du film. La question LGBTQI+ intervient plutôt par des sentiments positifs que par des tourmentes.

« On n’a plus besoin de justifier la présence des personnages queer dans un film »

Franck Finance-Madureira, critique de cinéma et fondateur de la Queer Palm à Cannes

Xavier Dolan a participé à normaliser l’expérience queer avec une approche novatrice et moderne, et non pas dramatique. « Avec son cinéma, on n’a plus besoin de justifier la présence des personnages queer dans un film. C’est une avancée qui marque un point de bascule », analyse Franck Finance-Madureira, critique de cinéma et fondateur de la Queer Palm à Cannes. L’homosexualité, la pansexualité ou la transidentité sont généralement bien vécues par ses personnages. Leurs proches les soutiennent dans leur cheminement. De cette manière, il a invité des milliers de jeunes à s’affranchir des normes et à rester fidèles à qui ils sont.

Juste la fin du monde (2016) © Shayne Laverdière, courtesy of Sons of Manual

Dans le film Juste la fin du monde, adaptation d’une pièce de Jean-Luc Lagarce, Louis, un écrivain gravement malade retourne dans sa famille après douze ans d’absence pour annoncer sa mort prochaine. Alors que dans la pièce de Lagarce, le thème du sida est omniprésent, Dolan se concentre ici davantage sur la complexité des relations familiales et ne fait pas de l’homosexualité de Louis un secret pour ses proches. Ainsi, le thème du sida, souvent évoqué dans les problématiques autour de l’homosexualité de cette époque, est laissé en arrière-plan. Le film est consacré en 2017 par les César du meilleur réalisateur et celui du meilleur acteur pour Gaspard Ulliel jouant le rôle de Louis.

Gabriel d’Almeida Freitas et Xavier Dolan dans Matthias & Maxime (2019) © Shayne Laverdiere

« On ne parle jamais de film sur l’hétérosexualité »

Xavier Dolan

Matthias et Maxime, dernier film en date sorti en 2019 (disponible sur la Médiathèque numérique et Amazon Prime), présente deux amis d’une trentaine d’années récemment bouleversés par un baiser échangé lors d’un tournage de court-métrage amateur. Ils explorent ensemble leurs désirs et leurs attirances sans s’inquiéter de trouver une étiquette. Dolan aborde ainsi la fluidité de l’attirance et fait le vœu d’une société indifférente à l’orientation sexuelle. « Ce n’est pas un film sur l’homosexualité, ni un film gay. On ne parle jamais de film sur l’hétérosexualité », rappelait le réalisateur dans un entretien à Têtu.

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Personnalité LGBTQI+ subversive

Lorsque Xavier Dolan raconte la transidentité, il choisit de mettre en lumière les difficultés sociales et personnelles qui peuvent en découler. Avec Laurence Anyways (2012), il dépeint l’histoire de Laurence, une femme trans, qui débute sa transition et en informe ses proches, bouleversant tous les pans de sa vie. Elle vit de manière apaisée son identité nouvellement acceptée. Or, elle doit endurer certaines réactions mitigées, le bouleversement de sa relation amoureuse et la perte de son emploi de professeure. La capacité de la société à accepter la transidentité est remise en question.

Melvil Poupaud dans Laurence Anyways (2012) © MK2 Diffusion

Xavier Dolan reçoit grâce à Laurence Anyways la Queer Palm, récompense LGBTQI+ décernée au cours du Festival de Cannes. Mais sa réaction dans Télérama en 2014 crée un bad buzz : « Que de tels prix existent me dégoûte. Quel progrès y a-t-il à décerner des récompenses aussi ghettoïsantes, aussi ostracisantes, qui clament que les films tournés par des gays sont des films gays ? On divise avec ces catégories. On fragmente le monde en petites communautés étanches. » Il poursuit : « La Queer Palm, je ne suis pas allé la chercher. Ils veulent toujours me la remettre. Jamais ! L’homosexualité, il peut y en avoir dans mes films comme il peut ne pas y en avoir. »

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Le cinéaste canadien, out depuis l’âge de 16 ans, choque la communauté LGBTQI+ par ces propos. Certains lui reprochent d’abandonner son identité queer à mesure qu’il touche un public plus large. Pour le fondateur de ce prix, Franck Finance-Madureira  : « Je pense que c’était maladroit, il était très jeune. Il a compris plus tard qu’avoir une Queer Palm n’empêchait pas de gagner des prix généralistes, comme la Palme d’or dont il ne cesse de rêver à 35 ans. »

En 2019 après « avoir perdu des gens en route », Dolan nuance son propos sur les prix LGBTQI+ dans les pages de Komitid : il explique ne pas vouloir être étiqueté et s’inquiète que d’autres cachent leur sexualité pour éviter cela. D’après lui, l’homosexualité ne devrait pas être un critère de sélection de films. Seule la qualité devrait être jugée.

 Pénélope Gualchierotti