Cette année, Alejandro Jodorowsky est à l’honneur au Festival Lumière avec trois films et une masterclass. Une mise en lumière qui fait tâche alors que le réalisateur a revendiqué avoir violé une actrice sur un tournage avant de se rétracter. À la place, l’Écornifleur vous invite à découvrir la filmographie d’Icíar Bollaín, réalisatrice espagnole au regard engagé et assumé.
Icíar Bollaín lors de l’avant-première de son dernier film : L’Affaire Nevenka le 14 octobre au Comoedia à Lyon. © Salomé Hembert

Alejandro Jodorowsky, réalisateur chilien de 95 ans, est généralement décrit comme une sorte de génie excentrique. Une image qu’il cultive à l’occasion de nombreuses interviews, dans lesquelles il mêle tarot, réflexions artistiques et même sa propre « discipline » concoctée maison : « la psychomagie » (un mélange d’ésotérisme et de psychanalyse). Un virtuose avant-gardiste donc ; au pire un gentil fou. Il suffit pourtant d’un regard plus approfondi pour démystifier le personnage.

Son film El Topo sorti en 1975 met en scène un viol, celui de Marah, personnage secondaire féminin interprété par Mara Lorenzo. À propos de cette scène, le réalisateur déclarait dans un interview « Je l’ai vraiment violée. » Des propos suffisamment graves, auxquels Jodorowsky a jugé bon d’ajouter, dans un entretien ultérieur : « Le personnage est frigide jusqu’à ce qu’El Topo la viole. Et elle a un orgasme. […] Et c’est ce qui est arrivé à Mara dans la réalité. Elle avait vraiment ce problème. Fantastique scène.» Marah Lorenzio n’a jamais joué dans un autre film qu’El Topo, après lequel elle a totalement disparu des radars.

Alejandro Jodorowsky. © Pathé Distribution

A lire aussi : Metoo au cinéma : la programmation «schizophrène» du Festival Lumière

Ces déclarations remontées en 2019 ont forcé Jodorwsky à rétropédaler : « Ce sont des mots, pas des faits, une publicité surréaliste pour entrer dans le monde du cinéma à partir d’une position d’obscurité ». Stratégie du choc, donc.

Mais la thématique semble l’habiter. Dans Jodorwsky’s Dune, un documentaire à propos de son projet avorté d’une adaptation de Dune, le roman de science-fiction signé Frank Herbert, il s’extasie : « Vous devez ouvrir le costume et violer la mariée – et alors vous aurez votre film. Je violais Frank Herbert… mais avec amour ».

Le choix de la rédaction

Quitte à applaudir un cinéaste, autant le faire pour une autre invitée du Festival : Icíar Bollaín — feministe et engagée — dont trois des films et une avant-première sont mis à l’honneur lors du Festival.

A lire aussi : Matilde Landeta : le combat féministe derrière la caméra

Partant d’une crise de couple qui semble banale, le film Ne dis rien déroule l’histoire d’une relation toxique et violente où Antonio (interprété par Luis Tosar) déchaîne sa colère sur sa femme, Pilar (interpretée par Laia Marull) qu’il ne supporte pas de voir s’épanouir dans son nouveau travail et ses relations amicales naissantes. Des violences à la manipulation en passant par les phases de séduction et de promesses, Ne dis rien démonte avec précision les schémas d’emprise. Précurseur, le film sorti en 2003 est aussi une ode à la sororité et au soutien entre sœurs et amies. 

Une cinéaste féministe et engagée

L’affaire Nevenka, le prochain long métrage de la madrilène, sort le 6 novembre dans les salles françaises. Spécialement pour le festival Lumière, Iciar Bollain en personne était ce lundi 14 octobre au Comoedia pour présenter ce film inspiré de faits réels. Engagée sur les questions de violences sexistes et sexuelles, Iciar Bollain revient sur une des premières affaires qui a secoué le monde politique espagnol. 

L’affiche du film L’Affaire Nevenka qui sortira en salle en France le 6 novembre. © Epicentre films

A lire aussi : Qui veut la peau des critiques cinéma

Dans les années 1990, Nevenka Fernandez, 25 ans, est élue conseillère municipale auprès d’Ismael Alvarez, maire de Ponferrada. Elle devient sa cible, victime d’un harcèlement sexuel sans relâche. “Il y a tellement de Nevenka et d’Ismaël dans la société” déclare la cinéaste lors de la présentation au public lyonnais en précisant que l’ancien maire est toujours une star locale malgré sa condamnation. Soucieuse de décortiquer les mécanismes de manipulation et de mise sous silence de l’affaire, Iciar Bollain signe un film poignant. 

Le cinéma d’Icair Bollain c’est une vision et un discours résolument féministe. Sa filmographie, fraîche, importante est à l’opposé de celle d’Alejandro Jodorowsky et fait d’elle un des piliers du cinéma post-MeToo. 

 


Les films de Bollain diffusés au Festival Lumière

Ne dis rien sera diffusé ce mercredi à 19 heures et samedi à 22 heures au Pathé Bellecour. Iciar Bollain présente également deux autres de ses films : Les Repentis, diffusé mercredi à 16 heures 30 au cinéma Lumière Terreaux et Même la pluie diffusé ce soir à l’UGC Astoria à 20 heures.