Alors qu’on décompte seulement une dizaine de coordinatrices d’intimité en France, Noëmy Soffys, lyonnaise, est une des premières à s’être lancée dans ce métier il y a presque deux ans. Depuis, elle enchaîne les tournages pour accompagner les acteurs, parfois très jeunes, sur le tournage des scènes de sexe ou de violence. Portrait.

« J’ai travaillé sur une vingtaine de films et séries en deux ans ». Coordinatrice d’intimité lyonnaise, pionnière en France, Noëmy Soffys est devenue une incontournable des tournages de cinéma. « En ce moment, je bosse sur une série qui s’appelle Merteuil, une adaptation des liaisons dangereuses pour HBO », raconte-t-elle. « J’ai énormément de travail car quasiment tous les rôles sont concernés par de la nudité ou des scènes de sexe », précise celle qui s’assure que les relations sexuelles simulées se déroulent en toute sécurité.
De la politique au cinéma
« Je n’étais pas vouée à faire ça », raconte Noëmy, tombée presque par accident dans le cinéma. Employée auprès d’un député-maire à la fin de ses études, Noëmy a une carrière toute tracée : elle fera de la politique. Tout bascule en 2010. « Je tenais un stand institutionnel au salon de l’agriculture à Paris. Je devais accueillir les personnalités politiques ». Rapidement, son stand devient le repère des équipes de France 3 venues couvrir l’évènement. « Ils faisaient leurs pauses avec moi, ils venaient se maquiller avant les tournages. Bref, on sympathise, à tel point que le réalisateur m’a proposé de bosser avec eux ». Alors sur un coup de tête, Noëmy plaque tout. « J’ai foncé. Deux semaines après, j’ai commencé à bosser à France 3 sur les émissions en direct. J’ai toujours suivi mon instinct. Je suis du genre à penser qu’on n’a rien à perdre ».
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Touche-à-tout, Noëmy se débrouille mais a soif d’en apprendre plus sur le métier. C’est comme ça qu’elle atterrit à Lyon où elle se forme en production audiovisuelle. « À la fin de l’année je devais faire un stage. Je l’ai fait sur un long-métrage. J’ai rencontré une directrice de casting et j’ai commencé à bosser avec elle ». Passionnée par ce nouvel univers qui s’ouvre à elle, Noëmy gravit les échelons et devient à son tour directrice de casting.
Noëmy ou le profil idéal
En 2020, après treize ans d’expérience, elle décide de se former à la sophrologie et à la gestion du stress pour affronter les gros challenges d’un métier éreintant. Au même moment, la vague MeToo déferle sur le cinéma français. Milieu très permissif des agressions sexistes et sexuelles sur les plateaux pendant des décennies, le cinéma doit se transformer, prendre conscience de l’ampleur du problème. Alors pour répondre aux scandales qui éclaboussent l’industrie, le métier de coordinatrice d’intimité devient essentiel pour encadrer les acteurs dans les scènes de sexe simulées. Problème : il n’y en a pas en France. Noëmy, avec sa détermination, son profil de directrice de casting et sa formation en sophrologie, devient vite une option prisée par les grosses plateformes qui cherchent des équivalents français à ce métier né aux États-Unis. « Netflix me repère et me demande de rejoindre le tournage de la série Anthracite pour accompagner les acteurs dans les scènes d’intimité et de violence », raconte-t-elle.
« L’allaitement ça fait aussi partie de l’intimité »
Après cette première expérience comme coordinatrice d’intimité, Noëmy apprend, se renseigne et cherche à renforcer ses connaissances. Elle enchaîne les formations, souvent américaines, de secouriste en santé mentale et de spécialistes des violences sexistes et sexuelles.
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« Mais l’intimité n’est pas qu’une scène de sexe. Des jeunes actrices qu’on enferme dans un coffre, les scènes de douche, d’accouchement, d’allaitement, ça fait partie de l’intimité », explique-t-elle d’une voix posée, rassurante. « Un enfant ne peut pas donner un consentement éclairé, donc j’en réfère aux parents. Je suis maman et à la place des parents, j’aurais aimé qu’on m’explique comment un acteur va poser ses mains sur mon enfant. Éthiquement, c’est plus propre de bosser comme ça », ajoute-t-elle.
Entre le réalisateur et ses acteurs
« Moi, je suis là pour expliquer la vision d’un réalisateur ou le degré de nudité dans une scène. Le consentement des comédiens sur ce qui va être fait doit être pris en amont. Ça nécessite des discussions au préalable et des répétitions dans le meilleur des cas ».
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Ce dialogue avec les acteurs, parfois très jeunes, est avant tout une question de confiance. « Donc la relation entre moi et les comédiens est forcément intime. On parle de leur corps, de leurs complexes. Ils peuvent tout me dire ». Tampon entre la figure tutélaire du réalisateur et ses acteurs, elle « écarte l’ascendant, la relation de pouvoir. Je peux mettre les formes et poser des mots sur leurs préoccupations. L’objectif, c’est qu’aucun comédien ne se retrouve à devoir dire non devant toute l’équipe en tournage ou devoir se mettre en porte-à-faux avec le réalisateur. »
Vers une certification
Métier en plein essor, il n’y a qu’une dizaine de coordinatrices d’intimité dans le pays. Et ce n’est pas de tout repos. Entre Marseille, Lyon et Paris, Noëmy enchaîne les tournages, et pas que. « J’ai reçu un mail il y a quelques jours pour participer à des groupes de réflexion sur la création d’une certification. On évolue dans un métier qui n’existe pas encore concrètement. C’est à nous de trouver notre format français », développe-t-elle. Si cette certification voit le jour, elle sera destinée aux professionnels du cinéma déjà expérimentés. « De par la nature des conversations, de par le degré de responsabilité, de par l’expérience humaine nécessaire, une coordinatrice d’intimité ne peut pas être quelqu’un qui sort d’école. Là, on a une fenêtre ouverte, il faut rentrer dedans et rentrer bien, car sinon ça risque de se renfermer et on peut perdre 10 à 15 ans sur ces questions. » Encadrer le métier, c’est lui donner une chance de perdurer.
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Quand elle parle du futur, Noëmy ne ferme aucune porte, fidèle à son instinct, comme toujours. Et malgré le rythme effréné des tournages qui se succèdent, « c’est dur de dire non », affirme-t-elle. « On sait qu’on est très peu à faire ce job et quand un film demande l’aide d’une coordinatrice d’intimité, c’est plutôt bon signe, ça va dans le bon sens ». Alors qu’importe la fatigue, être coordinatrice d’intimité c’est permettre de changer les choses. Insuffler un nouveau souffle dans un milieu qui a tout à reconstruire après le tremblement de terre MeToo. Elle conclut : « être coordinatrice d’intimité, pour moi, c’est comme être investie d’une mission ».
Salomé Hembert