Vos professeurs, vos parents vous l’ont sûrement rabâché toute votre scolarité : pour progresser en langue, regardez vos films et séries en version originale ! Mais à quel point la méthode s’avère-t-elle efficace ? Décryptage.

« – Comment on les appelle déjà ? – Les Makkuro Kurosuke. En traduction française, les noirauds, je trouve ça moche ». Vêtus de ces pantoufles à l’effigie des petites créatures du Voyage de Chihiro (2001), Romain Quellier nous accueille dans son appartement lyonnais. En véritable passionné du Japon, le jeune homme de 23 ans possède une impressionnante collection de figurines, peluches et posters en hommage à la culture nippone.
« Quand j’étais petit, j’adorais regarder les animés sur W9. Puis, à l’adolescence, j’ai commencé à visionner sur des sites de streaming en japonais, avec les sous-titres en français ». Son hobby est tel que, une fois le baccalauréat en poche, Romain décide de rejoindre Sciences Po Lyon pour poursuivre son apprentissage de la langue. En 2023, il part étudier à l’Université de Senshu, sur le campus de Kanagawa, non loin de Tokyo. Dans la résidence où il vit, il rencontre d’autres fans d’animés : « Avec des potes, on passait notre temps à regarder Jujutsu Kaisen dès que les épisodes sortaient en VO. »
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Comme Romain, nombreux sont les Français à s’être lancés dans l’apprentissage d’une langue étrangère à partir des films et séries en version originale. La popularité croissante des plateformes de streaming n’y est pas pour rien dans l’adoption de cette méthode 2.0 : selon un sondage publié par Berlitz France Licorne en 2021, 56 % des Français estiment qu’elles figurent parmi les meilleurs canaux pour apprendre l’anglais, aux côtés des réseaux sociaux et de la télévision.
Des élèves meilleurs à l’oral
Shameless (2011), Rick et Morty (2013), The Walking Dead (2010)… Étudiante en Licence de langues, littérature et civilisations étrangères et régionales (LLCER) à l’Université Lyon 3, Lara Onur regarde des séries anglophones depuis le collège : « Ça m’a aidé à progresser en anglais, surtout pour la compréhension orale. À l’école, ce qu’on apprend est hyper standardisé, tandis que dans les séries, c’est plus concret et utile pour la vie de tous les jours. »
Les avantages tiendraient de la motivation suscitée par ce type de divertissement : « C’est plus rapide et plus agréable parce qu’on apprend inconsciemment, juste en regardant un film, témoigne Maddie, également étudiante en licence de langues. Même sans connaître les règles de grammaire, on habitue l’oreille à reconnaître certaines expressions. »
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« Regarder en VO, c’est important, même pour des collégiens qui ne comprennent pas tout, confirme Florence, professeure d’anglais dans un collège du Rhône (69). Petit à petit, cela leur permet d’affiner leur perception et de faire des inférences par rapport à l’image. » Selon l’enseignante, l’engouement pour les plateformes serait même à l’origine d’une évolution : « De nos jours, les élèves sont plus à l’aise à l’oral. Et très souvent, le fait de regarder des films en anglais joue un rôle. » À tel point que les œuvres cinématographiques s’inscrivent désormais parmi les enjeux pédagogiques, certains manuels allant jusqu’à proposer des séances construites entièrement à partir de films.
Les sous-titres pour améliorer la compréhension
« Les plateformes de streaming ont permis une augmentation du temps d’exposition aux langues étrangères, analyse Stéphanie Roussel, professeure en sciences du langage à l’université de Bordeaux. En revanche, on ne peut pas s’attendre à une opération magique simplement en regardant un film en anglais depuis son salon. » Dans L’apprentissage des langues (2017), coécrit avec Daniel Gaonac’h, l’universitaire explique que deux éléments essentiels sont à prendre en compte : le niveau initial du spectateur, qui doit avoir quelques connaissances de la langue, ainsi que l’engagement cognitif dans la tâche.
Un mythe, donc, que la possibilité d’apprendre une langue par le simple visionnage de films ou séries ? « Pour apprendre une langue étrangère, il ne faut pas avoir une attitude passive, poursuit Stéphanie Roussel. Dans l’idéal, on prend des notes dans un cahier et on cherche à exploiter ce qu’on a appris dans une situation réelle. » Une méthode déjà adoptée par Romain, dont les films lui servent de supports pour se constituer des fiches de vocabulaire. « Lorsque je regarde du cinéma japonais, j’essaie d’être dans une disposition d’esprit optimale », assure le jeune homme.
Car plus que l’expression orale, la version originale nous permet surtout d’améliorer nos compétences de compréhension. Pour la professeure en sciences du langage, ce sont ainsi les sous-titres en langue originale qui auraient le plus de potentiel pédagogique : « Cela permet de stocker l’image phonologique complète puisqu’on entend à l’oral ce qu’on lit à l’écrit. » En activant les sous-titres, un autre flux visuel s’ajoute à l’image. Pour éviter la surcharge cognitive, le cerveau se concentre sur la forme scripturale, qu’il retient avec plus de facilité. En résumé : regarder avec des sous-titres en français permet certes de mieux saisir le contenu, mais les effets sur l’apprentissage demeurent extrêmement limités.
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Reste que pour les autodidactes, le Graal consiste à s’affranchir complètement des sous-titres, y compris en langue originale : « Il y a un mois, je voulais absolument voir l’épisode d’un animé qui venait de sortir, confie Romain. Mais il n’avait pas été sous-titré. J’ai décidé de le regarder en VO et j’ai quand même réussi à comprendre dans les grandes lignes. J’étais super content ! »
« La VO reste limitée »
Pourtant, même en adoptant une posture active, difficile de considérer l’écoute en version originale comme un support suffisant pour progresser en langue. Romain, qui consacre plusieurs heures par semaine à ses cahiers d’écriture, le sait bien : « Pour travailler l’écrit, la VO reste limitée. Il faut compléter par une dimension plus académique et pratiquer la conversation avec d’autres personnes. » Quant à Florence, elle estime que si ses collégiens ont une expression plus fluide, le vocabulaire tiré des séries qu’ils visionnent relève trop souvent de « l’argot américain ».
« C’est ennuyeux ce mythe selon lequel on pourrait apprendre simplement en s’amusant, s’agace Stéphanie Roussel. Apprendre nécessite un effort, ou au moins un engagement conscient. » Les films et séries en version originale, oui, mais pour accompagner l’apprentissage scolaire qui, lui, reste indispensable. Mais alors, n’y aurait-il pas un autre intérêt à cette pratique ? C’est ce qu’explique Maddie, dont la passion pour Friends (1994) a été un révélateur : « C’est là que je me suis rendu compte que j’aimais beaucoup l’anglais. »
L’immersion dans des mondes fictifs ouvre à d’autres cultures, à leurs langues ainsi que leurs coutumes et mentalités. Parfois, jusqu’à susciter un véritable attrait susceptible d’influencer une vie. À son retour du Japon, Romain Quellier s’est offert un vidéoprojecteur : un moyen de replonger dans les animés de son enfance, pour retrouver un peu du Japon, où le jeune homme espère retourner prochainement.

