Afin de découvrir qui se cache derrière les chasseurs d’autographes, L’Écornifleur s’est glissé parmi ceux qui, le 13 octobre 2025, attendaient Natalie Portman à l’entrée de l’Auditorium Maurice-Ravel. Tous sont venus avec un espoir : obtenir un selfie ou une signature de l’actrice américano-israélienne.

L’Auditorium Maurice-Ravel illuminé de bleu, à Lyon, lors du Festival Lumière 2025 où Natalie Portman a donné une master class.

L’entrée principale de l’Auditorium Maurice-Ravel, à Lyon, le 13 octobre 2025 vers 19h30. Une demi-heure plus tôt, Natalie Portman y a entamé sa master class dans le cadre du Festival Lumière. La place Charles-de-Gaulle, désormais déserte, s’est vidée de la file d’attente dont les spectateurs ont gagné les gradins.
Photo : Collin Sctrick.

Lundi 13 octobre 2025, Auditorium de Lyon, 17h30. Tandis que plus de 2 000 spectateurs se pressent devant l’entrée principale, une poignée de profils atypiques patiente à l’écart, près d’une porte dérobée : celle des artistes. Pascal, Amina, Antinéa, Marcin… Pour ces cinéphiles, les projections du Festival Lumière ne suffisent pas. Ils viennent aussi pour la rencontre, même fugace, avec ceux qui font le cinéma. 

Ce soir, c’est Natalie Portman qu’ils espèrent apercevoir – l’actrice oscarisée de Black Swan (2010), attendue pour une master class. Célébrée pour sa polyvalence, de V pour Vendetta (2005) à Jackie (2016), elle attire un public mêlé de passionnés et de curieux. Mais personne ne sait ni par où, ni quand elle arrivera.

Alors les chasseurs d’autographes s’organisent : messages échangés sur les boucles Facebook, rumeurs recoupées, intuition partagée. Et quand rien ne filtre, il ne reste qu’à patienter, manteaux serrés, appareils photo en main, les yeux rivés sur la rue. À 17 h 30, ils sont quatre ; une heure plus tard, déjà une dizaine. Le froid tombe, les doigts tapotent sur les téléphones, les bouches restent muettes.

Chasse à l’autographe rime avec patience

Trois hommes et une femme. Voilà, 1 h 30 avant son arrivée, le comité d’accueil de la star, campé sur le trottoir de la rue de Bonnel. Ce qu’ils espèrent d’elle ? Un simple autographe. Ou un selfie, selon les affects.

Certes, un écriteau indique “Entrée des artistes” au-dessus de la porte vitrée au bout de l’impasse. Mais on imagine mal Natalie Portman emprunter une entrée aussi ordinaire. En l’absence de meilleure piste, les chasseurs d’autographes préfèrent mettre toutes les chances de leur côté : ils tiennent leur position, et resteront ici aussi longtemps qu’il le faudra. 

À 18 h 30, deux agents de sécurité demandent de libérer l’axe de l’impasse qui mène à la porte. Dans l’attente, le silence règne. Puis une voix chaude le rompt : « Tu vois ce que c’est, le quotidien d’un chasseur d’autographes ? Attendre. »

Devant l’entrée des artistes de l’Auditorium de Lyon, un groupe de chasseurs d’autographes attend l’arrivée de Natalie Portman, le 13 octobre 2025, pendant le Festival Lumière.

Sur consigne des agents de sécurité, les fans se tassent sur le trottoire, et libèrent l’artère centrale par laquelle est censée arriver la fourgonnette de Natalie Portman.
Photo : Collin Sctrick

Cette voix, c’est celle de Pascal. Trente ans de chasse, un premier autographe décroché dans les années 1990, du chanteur français William Sheller et, aujourd’hui, près de 700 signatures au compteur. Et ce, en grande partie grâce au Festival Lumière. « C’est une bénédiction, pour un cinéphile, d’avoir un festival comme ça à Lyon ! », s’enthousiasme-t-il.  « Jamais je n’aurais imaginé rencontrer Coppola ou Tim Burton », autant de personnalités dont il possède désormais les autographes.

Rien de compulsif pour autant : « Je ne fais que des gens que je connais et dont j’apprécie le travail. » Preuve à l’appui, Édouard Philippe, croisé l’avant-veille à l’Hôtel-Dieu, ne fait ainsi pas partie de la collection. À Lyon, Pascal fait partie d’un réseau d’une vingtaine de chasseurs, qui s’entraident via des boucles sur les réseaux sociaux, et sur les trottoirs des avant-premières lorsqu’ils s’y croisent.

Si Pascal assure en reconnaître plusieurs d’entre eux autour de lui, les interactions sont toutefois plutôt rares. Il les qualifie de « compagnons de cinéphilie » plus que d’amis.

Portrait de Pascal, chasseur d’autographes, devant l’Auditorium Maurice-Ravel à Lyon lors du Festival Lumière 2025.

Pascal, posté rue de Bonnel à l’entrée des artistes de l’Auditorium (lundi 13 septembre 2025), a près de 700 signatures au compteur
Photo : Collin Sctrick

Il décrit sa technique pour obtenir des autographes : « Le plus dur, c’est de sentir le moment où il faut y aller. Pas trop tôt, pas trop tard, c’est une question de feeling. » Et cette semaine, le Festival Lumière met ses réflexes à rude épreuve. Chaque année, il récolte entre 30 et 40 autographes. Mais Sean Penn, cette année, lui a résisté. « Une catastrophe. J’ai essayé trois fois ! J’adore Sean Penn en tant qu’acteur, mais humainement, ce n’est pas le plus chaleureux. » 

Quant à Natalie Portman, ses espoirs sont élevés : « Normalement, elle signe, mais on ne sait jamais… » Ses autographes, il les garde précieusement. Faute de murs à garnir chez lui, il les poste en privé sur ses réseaux sociaux. « Si je pouvais tous les encadrer, je le ferais », s’amuse-t-il. 

Entre-temps, le groupe a encore grossi : autour de quinze désormais. Cédric, présenté comme l’un des meilleurs chasseurs locaux, passe en coup de vent, glisse deux infos à Pascal, puis file vers l’entrée officielle de l’auditorium pour assister à la séance. Lui, son autographe de Portman, il l’a déjà eu. 

50 nuances de chasseurs 

À quelques mètres de lui, la logique change : place au collectionneur frénétique. Sylvain Gauthier arpente les trottoirs depuis trois décennies. Premier paraphe : Henri Salvador, il y a plus de 30 ans. Lui cumule signatures et photos, avec une vieille caméra compacte à écran réversible.

Pour lui, contrairement à Pascal, l’attachement à l’artiste n’est pas un impératif. C’est l’élan de la collection qui prime. Retraité, il a choisi de dédier intégralement sa semaine au festival. Pour l’aider, il connaît « toute une bande » de chasseurs qui lui envoient directement les informations depuis un groupe Facebook. Grâce à son réseau, il estime son taux de réussite d’obtention d’autographes à environ 50 %. 

À 18 h 50, une agente de sécurité annonce le retard de Natalie Portman. Un murmure parcourt les chasseurs. Quitte à avoir attendu jusqu’ici, tous restent ; mais tous comprennent aussi que la star n’aura probablement pas le temps de s’arrêter.

Sylvain Gauthier, collectionneur de selfies, devant l’Auditorium Maurice-Ravel à Lyon, appareil photo en main, avant l’arrivée de Natalie Portman au Festival Lumière 2025.

Sylvain Gauthier, collectionneur de selfies – environ 3 000 au total, dont plus de la moitié publiés sur son compte Instagram. De François Hollande à Woody Allen, sa collection compte une pièce maîtresse : Clint Eastwood, rencontré lors du Prix Lumière 2012.
Photo : Collin Sctrick

Plus loin, le selfie prend une autre valeur chez Amina : le souvenir. La jeune femme envisage davantage la photo comme un outil de mémoire personnelle que comme une pièce de collection. En plus de la rapidité et de la simplicité, « c’est plus stylé d’avoir un selfie plutôt qu’un autographe », avance-t-elle. 

Profitant de son chômage pour être présente, elle n’a pas oublié Tim Burton, manqué il y a trois ans, faute d’avoir pu se libérer de son travail. « J’ai eu les boules ! », commente-t-elle. Pascal renchérit : « En plus, il signait beaucoup lui. » Riant jaune, elle exhibe le fond bleu de son smartphone : une photo d’elle en compagnie de l’actrice américaine Lana Parrilla. Indiquant qu’il s’agit du meilleur de ses 50 selfies avec des stars à ce jour, elle précise toutefois que, Natalie Portman, « ça serait encore au-dessus ».

Dans la même veine de l’affect, mais matérialisé, Antinéa mise sur l’objet. Habituée des conventions européennes, de Londres à Dortmund, qu’elle fréquente régulièrement, elle en adopte aussi les codes. Contrairement aux chasseurs d’autographes classiques, elle privilégie ces événements spécialisés aux festivals généralistes.

Au Festival Lumière, c’est donc seulement pour Natalie Portman qu’elle s’est déplacée. Dans sa main, elle tient précieusement une vieille cassette VHS de Star Wars I – La Menace des clones, où l’actrice incarne la reine Padmé Amidala. C’est cet objet de collection, plus personnel et chargé de sens qu’une simple photo, qu’elle espère faire signer. 

Soudain, un agent se place au milieu de la rue, talkie-walkie en main. Malgré les consignes, la foule se rapproche par petits pas de l’impasse. Puis, quand une camionnette noire active son clignotant droit, c’est toute la rue retient son souffle.

Antinéa, chasseuse d’autographes, tient une jaquette VHS du film Star Wars I : La Menace fantôme, dans l’espoir de la faire signer par Natalie Portman.

Antinéa a rapporté une cassette VHS de Star Wars I – La Menace des clones, dans laquelle Natalie Portman y joue le rôle de Padmé Amidala, dans l’espoir qu’elle la signe.
Photo : Collin Sctrick

Il est 18 h 57 quand le van de Natalie Portman s’engage enfin dans l’impasse de l’entrée des artistes. À peine à l’arrêt, la file rompt, en définitive, les consignes et gagne la chaussée, par petits à-coups, pour ne pas braquer la sécurité.

Puis, quand la star s’extrait du véhicule, la retenue se dissipe : une nuée d’apostrophes cherchant à l’interpeller fuse. Mais rien n’y fait. Encadrée par les agents, elle file ainsi dans l’auditorium sans un regard pour celles et ceux qui l’attendaient. Visible une douzaine de secondes, pas davantage.

En images : l’arrivée de Natalie Portman à l’Auditorium de Lyon (13/10/2025)

À 18 h 57, le van de Natalie Portman se gare devant l’entrée des artistes. En en sortant, elle se dirige directement vers l’auditorium, sans un geste pour les fans qui l’attendaient.
Photo :  Collin Sctrick.

La bataille est perdue, pas la guerre

Sur le trottoir, la déception affleure ; quelques insultes se laissent entendre. Antinéa, qui dit ne pas être vexée, note pourtant que Natalie Portman n’était pas si en retard. Amina regrette l’absence du moindre signe – « même un petit coucou » – et cite Johnny Depp, « le roi des retards », qui salue même pressé. Elle aurait aimé « dix minutes » réservées à ceux venus juste pour elle, parfois de loin. 

Marcin, lui, a fait la route depuis la Pologne. C’est sa deuxième venue au Festival Lumière, la précédente remonte à dix ans. Ce « Cinemaniac » autoproclamé a prolongé son séjour en France pour revivre l’expérience du festival. En anglais, il raconte : « Je suis venu pour les vendanges. Mais la saison est finie – maintenant, c’est l’heure du festival ! », précise-t-il. Les autographes de responsables politiques ne l’intéressent pas : il ne chasse que les artistes de cinéma, les seuls « vrais » sujets à ses yeux. Pour lui, le Festival Lumière est une occasion rare d’approcher les grandes figures du 7e art. 

Marcin, passionné de cinéma, montre le programme officiel du Festival Lumière 2025 en attendant l’arrivée de Natalie Portman.

Marcin, cinéphile venu de Pologne, de retour au Festival Lumière dix ans après sa première venue, devant l’entrée des artistes de l’Auditorium de Lyon. 
Photo : Collin Sctrick.

Mais à l’instar d’Amina, il retentera sa chance dès le lendemain, au Pathé Bellecour, où Portman est attendue à 11 h. Sylvain Gauthier, pas résigné, décide, lui, d’attendre devant la porte jusqu’à la fin du show. Il espère qu’à la sortie, Portman sera moins prise par le temps et que sa fidèle caméra lui permettra d’ajouter une nouvelle prise de taille à sa collection. Et si ça ne suffit pas, il la suivra jusqu’à son restaurant. « Chez Léon de Lyon, au 1, rue Pleney, dans le 1er arrondissement », croit-il savoir.

  • Collin Sctrick

    Journaliste qui ne trinque qu'à la grenadine, curieux, précis et un peu bavard, ma caméra me sert de troisième bras. Un peu touche-à-tout, je m'intéresse aussi bien à la politique qu'aux matchs de foot.