Samedi 18 octobre, le Festival Lumière organisait la nuit Japanime à la Halle Tony Garnier (Lyon 8e). Au programme, quatre chefs-d’œuvre du cinéma d’animation japonais diffusés les uns à la suite des autres en version originale sous-titrée : Princesse Mononoké (1997), Your Name (2016), Belladonna (1973) et Paprika (2006). De retour d’un an au pays du soleil levant, je me devais d’y jeter un œil. Je vous raconte mon expérience.

Samedi soir, 20h30. Les portiques d’entrée de la Halle Tony Garnier franchis, j’ignore volontairement le stand de snacks et boissons pour rejoindre rapidement la salle de projection déjà remplie. Les bénévoles m’indiquent le haut des gradins droits. Circulant entre les plaids, les oreillers et les paquets de chips, je rejoins une rangée libre. Lorsque je m’assois sur la chaise en bois rigide, je regrette aussitôt de ne pas m’être aussi bien équipée que mes voisins, emmitouflés dans leur couverture. «Bonsoir à tous et à toutes ! », lance Thierry Frémaux, directeur de l’Institut Lumière, avant de faire monter l’invité d’honneur sur scène.

Samedi 18 octobre 2025, 20h50, la Halle Tony Garnier accueille près de 5 000 spectateurs. Photo Floriane Mourrat

Cette année, c’est Orelsan qui est chargé d’introduire la nuit lumière. « C’est marrant de vous voir assis », lance-t-il, habitué des concerts à la Halle Tony Garnier. 

Dans un premier temps, le voir à la nuit de l’animation m’a surprise. Mais je me suis rapidement souvenue avoir entendu sa voix en regardant un épisode de One Punch Man (2016). Orelsan y double Saitama, héros principal de l’adaptation animée du manga. 

Mais le rappeur n’est pas simplement venu en tant que fan d’animation japonaise. Le 29 octobre prochain sortira en salles le film Yoroï  de David Tomaszewski, tourné au Japon, et dans lequel il tient le premier rôle. Simple coup de promo ? L’occasion aussi de rappeler à quel point l’animation japonaise est pour lui une source d’inspiration – le clip de son titre Paradis (2017) s’inspire directement du film Your Name (2016), projeté ce soir. Avant de quitter la scène sous les applaudissements, il conclut simplement : « Profitez bien ! »

Orelsan ouvre la nuit de l’animation, samedi 18 octobre 2025. Photo Floriane Mourrat

21h. Cela fait dix minutes que le film a commencé, et la salle applaudit l’apparition de la princesse Mononoké à l’écran. Quoi de mieux pour démarrer cette nuit d’animation japonaise qu’une œuvre du célèbre Hayao Miyazaki ? Le fondateur du studio Ghibli est sans aucun doute le réalisateur le plus reconnu de l’animation japonaise, voire de l’animation tout entière.Je me revois encore petite, dévorer les films de Miyazaki devant l’ordinateur de mon père, à bord du train, en route pour les vacances. Je suis donc ravie d’applaudir aux côtés des autres spectateurs au rythme du générique de Princesse Mononoké (1997). La soirée vient de commencer et les spectateurs sont encore bien réveillés et enthousiastes. « Pas obligé d’applaudir à chaque fois », soupire pourtant mon voisin de derrière.

Princesse Mononoké est la première projection de la Japanime. Photo : Floriane Mourrat

23h. Première pause. « À la fin, c’était un peu long », me confie ma voisine sur le chemin des toilettes. À mon retour, j’en profite pour me placer sur les gradins face à l’écran. Avant le lancement du second film, une rapide vidéo d’introduction produite par AlloCiné est diffusée. Pendant trois minutes, les clichés collés à l’animation japonaise – de la taille des yeux des personnages, à l’âge du public ciblé – sont déconstruits sur un ton léger et humoristique. 

« Kimi no namae wa…?»

Le présentateur de la Japanime monte ensuite sur scène pour annoncer le deuxième film projeté : Your Name (2016). Il dépeint l’animé en véritable phénomène. « Avec plus de 380 millions de dollars de recettes, c’est le plus grand succès du genre derrière Le Voyage de Chihiro. » Parmi les chefs-d’œuvre qui ont su faire rayonner l’animation nipponne, il est vrai que Your Name se hisse en haut du classement. La romance entre deux adolescents au quotidien que tout oppose et qui échangent leurs corps du jour au lendemain a remporté à plusieurs reprises le prix du meilleur long métrage d’animation, ainsi que le grand prix de l’animation au Japan Media Arts Festival. « 1h50 de bonheur », promet le présentateur. 

1h du matin. La fameuse réplique finale du film retentit : « Kimi no namae wa…? ». Pour ceux qui n’auraient pas fait LV2 Japonais : « Quel est ton nom ? » La salle applaudit. 

Ça n’est pas la première fois que je vois Your Name – ni la deuxième ou la troisième – mais cette scène ne me laisse jamais indifférente. Une voix annonce de nouveau 25 minutes de pause. J’ai réussi à ne pas fermer l’œil durant le film, mais je sens que la fatigue commence à monter. Par curiosité, je décide de me lever pour aller faire un tour au dortoir. La sécurité m’empêche de m’approcher, pour ne pas déranger ceux qui se reposent, mais m’autorise à observer de loin.

Des néons bordent l’allée menant au dortoir situé derrière la salle de projection. L’accès est gratuit mais le couchage se fait à même le sol. Photo : Floriane Mourrat

« Il y avait des enfants, et de nombreuses femmes qui n’ont pas supporté de rester »

1h40. Le troisième film n’a même pas encore démarré que je commence déjà à somnoler. Des cris et des gémissements retentissent dans la salle. Ce sont ceux de Jeanne, le personnage principal de Belladonna (1973). Dès les premières minutes, j’entends les sièges se replier et des spectateurs quitter la salle hâtivement. En ouvrant les yeux, je découvre une animation quasi immobile, faite d’aquarelles sensuelles et de plans figés. 

Après avoir été agressée et brisée par le châtelain alors qu’elle voulait se marier avec Jean, Jeanne commence à dialoguer avec un démon espiègle. Tandis que la guerre emporte les hommes du village, elle conclut un pacte avec Satan, acquiert des pouvoirs surnaturels et devient une figure redoutée. Devenue une sorte d’ange vengeur, Jeanne mène une rébellion contre la classe dirigeante. 

Mélange d’un féminisme érotique et psychédélique, le long-métrage signé Eiichi Yamamoto me stupéfait tant par sa beauté graphique que par la violence crue de son récit.  Dans la salle, le choc se fait sentir. « Il y avait des enfants, et de nombreuses femmes qui n’ont pas supporté de rester, commentera quelques heures plus tard une spectatrice sur Instagram. Ils se réfugiaient dans les toilettes, parfois en pleurs, à en vomir. »

Extrait de Belladonna, réalisé par Eiichi Yamamoto. ©Eurozoom


Et d’ajouter : « J’accuse le Festival Lumière d’avoir eu un manque de professionnalisme auprès d’un public de près de 5 000 personnes. »

Bien que déconseillé au moins de 12 ans, l’Institut Lumière n’a pas souhaité faire de prévention sur ce film : « On a hésité à mettre un avertissement, mais bon, vous êtes grands », indiquait le présentateur avant le début de la projection. Pourtant, Belladonna met clairement  en scène des violences sexistes et sexuelles à de multiples reprises. Dans la salle, certains spectateurs pensaient sans doute assister à un film léger, adapté aux enfants. Au lieu de cela, ils découvrent une ouverture marquée par une scène de viol collectif violente, l’apparition d’un démon prenant la forme d’un phallus se glissant entre les jambes de Jeanne. Tout cela au milieu de visions d’orgies surréalistes, une méditation sur la guerre, les hiérarchies sociales et le féminisme. 

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Prise de fatigue, et n’ayant pas le courage d’affronter la brutalité des images qui m’étaient imposées, je mets la tête dans mes genoux et décide de faire l’impasse sur les 70 prochaines minutes de projection.

Les spectateurs aménagent des lits de fortune. Photo : Floriane Mourrat

2h50. Je me réveille au son des timides applaudissements. Lorsque j’ouvre les yeux, la dernière séquence de Belladona offre un plan rapproché progressif du célèbre tableau d’Eugène Delacroix, La liberté guidant le peuple (1830). Un peu perdue, j’écoute le narrateur peindre le personnage de Jeanne en héros féministe, et rappeler le rôle des femmes dans la révolution française. « Je n’ai jamais rien vu de pareil », confie mon collègue après le générique de fin. Il m’avoue ne pas savoir quelle émotion ressentir entre le rire, les pleurs et la colère.  

3h30. Enfin. Il ne reste plus qu’un film avant la fin.. Mais ma fatigue me quitte soudainement lorsque j’entends pour la première fois la bande originale de Paprika (2006). Composée par Susumu Hirasawa, la musique crée une atmosphère fusionnant technologie et émotion, grâce à un mélange entre musique électronique, voix samplées et rythmes hypnotiques. Cette atmosphère me donne l’impression de flotter, depuis mon siège jusqu’au monde des rêves de Paprika

Le film de Satoshi Kon, adapté d’un roman de l’auteur Yasutaka Tsutsui (1993) se déroule dans un futur proche, où une étrange machine, la DC-Mini, permet de pénétrer dans l’inconscient des individus pour enregistrer leurs songes. D’abord destinée à un usage thérapeutique, elle est rapidement dérobée par un mystérieux « terroriste des rêves », qui s’en sert pour déclencher des cauchemars mortels et déformer la réalité. C’est tout à fait le genre de scénario tortueux dont je raffole.

Le personnage de Paprika tombe du royaume des rêves ©Cinematheque.fr

5h. Je n’ai pas fermé l’œil un seul instant. Comme dans un véritable labyrinthe visuel et mental, je me suis perdue entre le monde du rêve et de la réalité. J’applaudis, sourire au lèvres, avec le reste de la salle. « J’ai adoré ! », dis-je à mon collègue. « J’ai pas tout compris », répond-t-il. 

La moindre somnolence est fatale si l’on veut comprendre l’entremêlement de l’intrigue. Chaque image, chaque transition entre les songes et le réel compte. Comme pour Inception (2010) – dont Christopher Nolan a d’ailleurs avoué avoir imaginé le scénario en s’inspirant de  Paprika – il ne faut pas en louper une goutte pour saisir le film. Je quitte mon siège en me promettant de le revoir… le film. 

5h15. En sortant de la salle, je ne pense qu’à rejoindre mon lit. Avant de sauter dans le premier tram, j’ai le temps d’attrapper un croissant offert par les bénévoles à ceux qui ont eu le courage de rester jusqu’à la dernière projection. J’espère qu’aucun « terroriste des rêves » ne viendra perturber mon sommeil. Ce qui est sûr, c’est que je rêverai coloré, et en japonais.