La programmation du Festival Lumière 2025 met à l’honneur sept ciné-concerts. Entre travail de préparation, improvisation et conditions techniques, ces projections de films muets demandent une maîtrise rigoureuse de l’exercice.
« Je me suis dit : “un film de 1926 programmé à 9h15, il n’y aura personne”. La salle doit faire 300 places, c’était blindé. » Pour le tout premier ciné-concert de sa carrière, Didier Martel a accompagné au piano Nana (1926) de Jean Renoir à l’Institut Lumière (Lyon 8e), dans le cadre du Festival Lumière 2018.
« La musique fait tout. Elle remplace les dialogues. Elle accentue l’émotion de ce qu’il se passe à l’écran », raconte le pianiste. Lors d’un ciné-concert, l’alliance entre la musique et l’image est toute particulière voire « magique ». « On a cette possibilité là avec la musique de donner différents niveaux de lecture ou de guider un peu le spectateur dans une certaine forme de narration », explique Grégoire Rolland, organiste.
Un engouement au service du cinéma de patrimoine
Pour le Festival Lumière 2025, Didier Martel accompagnera deux films muets : Les Filles de Kohlhiesel (1920), à l’Institut Lumière et Les Aventures du Prince Ahmed (1926), au Pathé Bellecour (Lyon 2e). Quant à La Charrette Fantôme (1921), elle prendra vie sous le son de l’orgue de Grégoire Rolland à l’Auditorium de Lyon (Lyon 3e).
« C’est une sorte de grande fenêtre de popularisation de ce cinéma patrimonial », indique Laurent Croizier, secrétaire général de l’Auditorium de Lyon. Le public du Festival Lumière découvrira également Le Vent (1928) dans cette salle de 2100 places. « L’idée, c’est à la fois de donner vie à des films muets, c’est-à-dire des grands films du patrimoine cinématographique, et de leur permettre de prendre vie avec de la musique en direct. » Ces événements sont l’occasion de (re)découvrir les films muets. On estime que 80 % de la production de ces films a disparu ou a été détruite, selon un rapport du Sénat.
L’Auditorium propose des ciné-concerts dans sa programmation annuelle depuis 2000. « C’est un travail d’équipe qui mobilise évidemment notre équipe technique, puisqu’il y a les régisseurs lumière, les régisseurs de scène, qui vont coordonner, lancer l’image, régler la diminution de la lumière dans la salle », explique Laurent Croizier.
Comment se prépare un ciné-concert ?
Rencontrés début octobre, les deux musiciens étaient déjà en pleine préparation. « Je garde le plaisir de la découverte. C’est un petit peu comme quand on ouvre une boîte de chocolat », confie Didier Martel, pianiste depuis ses 17 ans. La première chose qu’il fait lorsqu’il travaille sur un nouveau film, avant même de le regarder, c’est un travail de recherche. « Je regarde l’histoire, le synopsis, où ça s’est passé. Je situe tout ça dans le contexte historique », explicite-t-il.
La Charrette Fantôme, Grégoire Rolland ne l’avait jamais vu. Ce film auquel Stanley Kubrick a rendu hommage dans Shining (1980), est pourtant un classique du cinéma du réalisateur suédois Victor Sjöström.
Puis, les musiciens jonglent entre l’histoire du film et leur créativité musicale. Dans un tableau, Grégoire Rolland note ses idées, scène par scène. « Il y a un moment où le personnage principal prie. Je me suis dit, peut-être que je pourrais jouer une musique d’église », détaille l’organiste. Il ajoute : « En fait, je n’en sais rien encore parce que peut-être que ça ne va pas du tout coller avec le reste, avec la scène d’après. »
Lors de ciné-concerts, différents publics se mélangent dans la salle : cinéphiles, habitués de l’auditorium, public plus jeune. Alors Grégoire Rolland ajuste son jeu : « J’essaye d’avoir au moins un thème dans le film qui est déjà connu des spectateurs. » Dans une scène de mariage du Pêcheur d’Islande de Jacques de Baroncelli (1924), c’est la Marche Nuptiale de Mendelssohn qu’il avait choisie.
L’organiste se souvient de compliments du public qui l’ont marqué, comme lors de la projection de Malec chez les fantômes de Buster Keaton (1921). « Il m’arrive parfois que les personnes viennent me voir à la fin et me disent : “On était très content, on vous a presque oublié !” », s’amuse-t-il.
Des pros de l’impro
« J’élabore un langage musical et puis ensuite, je me laisse guider par ce qui se passe à l’écran, explique Didier Martel. Je traduis les images en musique. » Au-delà d’un accompagnement du film en musique, les deux artistes poursuivent la tradition de l’improvisation. Démocratiser l’orgue pour l’un, jouer un nouveau style « old school » pour l’autre, l’improvisation lors de ciné-concerts a marqué une étape dans leur carrière. Jouer « comme en 1920 », est tout particulier pour Didier Martel : « C’est vraiment un langage. Il y a des choses un peu désuètes comme le style opérette. »
« La beauté de l’improvisation, c’est que c’est éphémère, ça n’existe qu’à un moment », évoque le pianiste en souriant. Celui qui a joué lors d’une soixantaine de ciné-concerts garde un souvenir particulier de Metropolis de Fritz Lang (1927). Ce film de 2h30 a été le plus marquant pour lui, la longueur du film lui demandant une maîtrise technique conséquente.
Installés sur le côté de la scène, habillés en noir, les improvisateurs se fondent dans la salle… Lorsque ce n’est pas un problème technique qui les fait disparaître, bien malgré eux. « Pour un Charlie Chaplin, j’avais quelques notes écrites sur une feuille de partition, et puis j’ai ma loupiote, qui me donne une petite lumière, raconte Didier Martel. Au bout de dix minutes, la lumière s’éteint. La pile n’était pas assez chargée ! »
