À Lyon, où les frères Lumière ont inventé le cinématographe, l’Institut Lumière fait bien plus que conserver des bobines : il transmet une mémoire collective. Entre musée, bibliothèque, projections et festival international, cette cinémathèque unique célèbre un art qui continue de rayonner.

« C’est un peu comme ma deuxième maison », Elisa, étudiante en cinéma.
Pour comprendre ce qui fait de l’Institut Lumière un lieu à part, il faut d’abord définir ce qu’est une cinémathèque : une organisation dédiée à la conservation, la restauration et la diffusion du patrimoine cinématographique. C’est précisément la triple mission que l’institut s’est donnée. Implanté au cœur du quartier Monplaisir à Lyon, il perpétue la passion du cinéma depuis sa fondation en 1982, tout en la renouvelant à chaque génération.
Un héritage qui se visite… et se vit
La visite de la cinémathèque débute au Musée Lumière, ancienne villa familiale des frères Lumière. Dans ces pièces chargées d’histoire, le visiteur explore l’évolution de l’image en mouvement. Il découvre le tout premier cinématographe, le Kinétoscope d’Edison ou encore les autochromes, premières photographies en couleur. Certaines salles offrent des expériences interactives : observer des images en relief à travers des lunettes anaglyphes (communément appelées « lunettes 3D ») ou encore créer une illusion d’optique à partir de la persistance rétinienne. Sur un mur plongé dans le noir, une mosaïque projetée rassemble les 1422 films tournés par Auguste et Louis Lumière entre 1895 et 1905 – une fresque des débuts de l’art filmique. « Je viens ici depuis plus de quatre ans. Chaque visite est un voyage dans le temps et j’apprends toujours de nouvelles choses. », confie Élisa, en observant les appareils photo de la pièce dédiée à la photographie industrielle.
Une fois le rez-de-chaussée et le premier étage visités, l’expérience se prolonge à la bibliothèque Raymond Chirat, installée sur les deux étages supérieurs de la Villa. Bien que fermée au public jusqu’en novembre, elle réunit des milliers d’ouvrages et de dossiers de personnalités, de photos, d’affiches. Le Poste de Consultation Inathèque donne accès à plus de 50 000 films et les 20 places de lecture au centre des pièces permettent de se perdre dans la multitude de documents. Autant d’éléments qui font de cette bibliothèque un lieu de mémoire actif, où la recherche et la curiosité s’entremêlent.
À quelques pas de là, le Hangar du Premier-Film replonge le visiteur aux origines du septième art. Racheté par les frères Lumière en 1881, ce bâtiment devient en 1895 le décor du tout premier film de l’histoire du cinéma : « La Sortie de l’usine Lumière à Lyon ». Classé monument historique, il est aujourd’hui transformé en salle de projection. À l’intérieur, ne subsistent que la charpente en bois couverte de tôles qui filtrent la lumière, ainsi qu’un règlement intérieur datant de 1946, vestiges des anciennes usines. « Je suis venu ici avec mon petit-fils. On oublie souvent que le cinéma, avant d’être une industrie, c’est une invention familiale », témoigne Albert, professeur d’histoire à la retraite.
Autour de la Villa, la galerie Cinéma et la librairie du Premier-Film complètent la cinémathèque. La galerie, longue d’une vingtaine de mètres, expose actuellement des portraits issus des films Lumière. Tandis que la librairie, la plus grande de France consacrée au cinéma, propose plus de 6600 ouvrages, 9500 DVD. Ici, chaque espace participe ainsi à cette idée : le patrimoine n’a pas vocation à être figé derrière une vitrine, il continue d’être projeté.
La cinémathèque en action : diffuser, transmettre, faire vivre le cinéma
L’Institut Lumière ne se contente pas de préserver : il diffuse et réinvente le cinéma de patrimoine. Ses trois salles d’art et essai, toutes situées dans le centre-ville de Lyon (Bellecour, Terreaux et Fourmi) diffusent tout au long de l’année des classiques restaurés, des rétrospectives et des films d’auteur contemporains, créant un dialogue constant entre passé et présent.
Mais c’est durant l’automne, avec le Festival Lumière, que l’institut s’exprime pleinement en tant que cinémathèque. Durant cette période, Lyon devient la capitale mondiale du cinéma de patrimoine. Créé en 2009 et organisé par l’institut en collaboration avec la Métropole de Lyon, l’événement rassemble pendant neuf jours professionnels et passionnés. Pour l’édition 2025, du 11 au 19 octobre, le Festival Lumière met à l’honneur le cinéaste américain Michael Mann, distingué par le Prix Lumière 2025 pour la profondeur de ses personnages et la maîtrise de son style visuel.
Pendant une semaine, plus de 450 séances – projections, films muets, master class, rencontres et avant-premières – transforment la ville en une immense salle obscure. Des fanions et des guirlandes décorent le quartier, comme une invitation à rejoindre la fête. L’atmosphère y est à la fois populaire et érudite : cinéphiles, étudiants et réalisateurs s’y croisent pour faire vivre la mémoire du cinéma.
« L’ambiance est incroyable et c’est plutôt accessible. En plus, ça nous permet de voir des célébrités qu’on n’aurait jamais pu approcher autrement », sourit Vincent, étudiant en communication digitale, en achetant un billet au Hangar. Dans un espace installé près du musée, le village du Festival Lumière étend les lieux de rencontres et d’échanges entre les différents acteurs du festival.
Une cinémathèque vivante, entre mémoire et avenir
Au-delà de ses murs et de ses archives, l’institut s’affirme comme une maison du cinéma vivant. En plus de ses activités de diffusion, il édite des ouvrages de référence – biographies, entretiens de cinéastes, essais sur le cinéma – et coédite avec Actes Sud une collection dédiée aux grands auteurs du septième art. Il publie aussi Positif, revue mensuelle, pilier de la critique cinématographique.
En s’adressant autant aux chercheurs qu’au grand public, l’institut incarne une cinémathèque ouverte et partagée. Avec plus de 730 000 visiteurs par an et une quarantaine de salariés permanents, il repose sur une communauté fidèle. Ses abonnements accessibles, comme l’offre « Solo » à 48 € par an, encouragent une fidélisation culturelle plutôt qu’un simple accès commercial.
Plus qu’un musée du cinéma, l’Institut Lumière est un pont entre mémoire et modernité. En conservant, diffusant et transmettant le patrimoine filmique, cette cinémathèque fait du passé un moteur pour comprendre le présent et imaginer l’avenir.
