Sans elles et eux, un film ne pourrait pas passer les frontières. Les sous-titreur·rices font partie de ces métiers de l’ombre du cinéma, offrant aux cinéphiles du monde entier l’accès aux œuvres en langue étrangère. Un métier fourmillant de règles et de normes, menacé par l’ubérisation et l’arrivée des intelligences artificielles. 

Les sous-titres sont d’une aide précieuse pour la compréhension du film, à l’image du public du Festival Lumière venu voir “Tallons Aiguilles” de Pedro Almodóvar. © Alex Talandier – PRODUCTION EL DESEO S.A

Version originale sous-titrée en français (VOSTFR), ou version doublée ? Si vous faites partie de la première école de spectateur·ices, il est fort probable que le visionnage d’un film ou d’une série se soit déjà transformé en une folle course contre la montre avec les sous-titres qui défilent rapidement, au risque de perdre l’image de vue. 

« Même si on est habitué à regarder des écrans remplis de textes, l’œil a besoin de voir et de traduire ces informations jusqu’au cerveau », explique Dagmar Jacobsen, gérante de la société de traduction allemande Alias Film & Sprachtransfer. « Le spectateur ne doit pas lire les sous-titres, mais juste avoir un soutien pour comprendre les dialogues ». 

Dans un français parfait, la traductrice et productrice de documentaire allemande raconte qu’elle travaillait récemment sur les deux derniers films de Wim Wenders, Anselm et Perfect Days, tous deux diffusés à Cannes ainsi qu’au Festival Lumière et attendus en salles d’ici la fin de l’année. Selon elle, cela ne fait aucun doute : « le sous-titrage n’est pas un exercice qui peut être effectué par n’importe qui, c’est un métier ».

Un processus long et précis

En moyenne, un œil ne peut lire que 12 à 15 caractères par seconde. Alors les règles de sous-titrage sont strictes : pas plus de deux lignes, un maximum de 41 caractères, une durée du texte à l’écran inférieure à 5 secondes… un travail rigoureux de la langue est nécessaire. 

Pour Anselm comme pour chacun de ses films, Wim Wenders est très présent dans la phase des sous-titres. « C’est un plaisir de travailler avec lui. On essaye toujours de trouver un troisième mot qui convient à tous. Il est très attentif aux langues, très respectueux », affirme Dogmar Jacobsen. Crédit : Les Films du Losange.

Dernière étape de la postproduction d’un film, le sous-titrage se fait parfois dans l’urgence. « Ça m’est déjà arrivé de finir le sous-titrage d’un film dans le train avant d’aller à Cannes », se souvient Joël Chapron, sous-titreur quasi-exclusif des films russes sortis en France, ayant notamment travaillé sur les films de Kirill Serebrennikov (Léto, La Fièvre de Petrov), ou d’Andreï Zviaguintsev (Faute d’amour). 

Payé·es au sous-titre plutôt qu’à l’heure, les professionel·les sont sujet·tes à une situation assez précaire. Pour le temps nécessaire à la traduction d’un film, « il n’y a pas vraiment de recette », indique Joël Chapron. « Je peux traduire 15 minutes de film en 30 minutes, et ensuite un seul sous-titre va me prendre une heure. Par exemple, “Le Disciple” [de Kirill Serebrennikov] est rempli de citations de la Bible, donc ça prend du temps. » Un travail qui nécessite beaucoup de documentation, le russophone assurant jongler entre les quatre différentes traductions de la Bible qu’il possède. 


99, voyager par le documentaire sous-titré

La plateforme de 99 propose une offre large et audacieuse de courts-métrages du monde entier et sous-titrés en français. Capture d’écran.

Les sous-titres, une des grandes missions de 99. Association lyonnaise créée en 2015, ses membres se sont donné·es pour mission de diffuser en salles, dans les centres sociaux, culturels, les prisons et sur leur plateforme en ligne des courts-métrages documentaires du monde entier. 

Immersion dans un salon de coiffure à Jérusalem ou remue-ménage dans un appartement indien envahit par un coq, l’offre est large et audacieuse. « On recherche une grande diversité linguistique. Le but du jeu c’est d’entendre des langues d’ailleurs », promeut Jérôme Plan, directeur de l’association et sélectionneur au FIPADOC de Biarritz. 

Former les sous-titreur·rices de demain

Composée d’une équipe internationale de 70 sous-titreur·rices professionnel·les et bénévoles, cette petite structure a noué des partenariats forts avec les universités de Madrid, Milan ou Zurich pour permettre à leurs étudiant·es de se former aux techniques du sous-titrage. À leur disposition, des formats courts – environ 15 minutes – à traduire, par binômes, encadrés par des professeur·es. Un travail essentiel pour donner vie à l’offre de documentaires de 99, comme le souligne son directeur : « comme on a ces sous-titres, on peut voyager partout. » 


 « Netflix et Amazon ont des normes inacceptables »

Malgré l’expérience et les compétences requises pour exercer la profession, les sous-titreur·ices semblent plus que jamais précaires et menacé·es. Située dans les dernières étapes de la post-production, de moins en moins de moyens sont alloués au sous-titrage. Une crise qui va jusqu’à menacer la qualité des sous-titres des films. 

Netflix a trouvé la technique pour réduire les coûts : payer des traducteur·rices à la minute et leur donner des délais serrés. Ainsi pour sous-titrer un épisode d’Emily in Paris ou le dernier Scorsese, c’est le même temps qui est alloué au·à la sous-titreur·rice. « Le problème, ce n’est pas les travailleurs, c’est leurs conditions de travail », dénonce Joël Chapron. Ces travailleur·euses du clic au service de la plateforme ont des objectifs industriels, au détriment de la qualité des sous-titres. 

« Netflix et Amazon ont des normes inacceptables », dénonce Dagmar Jacobsen. « Ces plateformes ne respectent pas les règles : les lignes sont beaucoup trop larges, il y a 50 lettres, c’est beaucoup trop », ajoute-t-elle. « On doit bouger la tête pour lire (quand on regarde sur grand écran). Au meilleur des cas, on perçoit le texte. »

Une menace en cache une autre : avec l’arrivée des logiciels d’intelligence artificielle générateurs de texte et de traductions, un nouvel enjeu se pose pour cette profession en quête d’économies. « Beaucoup de métiers s’inquiètent de l’automatisation », note ainsi Jérôme Plan. 

« On a forcément besoin d’humains »

Sans exclure l’utilisation des IA, Joël Chapron souligne certains des problèmes qu’elle comporte. Par exemple, la majorité d’entre elles ont besoin « d’intégrer d’immenses quantités de contenus issus d’une langue afin de fonctionner, assure-t-il. La traduction de l’anglais au français sera meilleure que celle du russe au français, qui elle-même sera d’une meilleure qualité qu’une traduction du hongrois au français, et ainsi de suite ». 

Plusieurs IA ont été développées pour générer des sous-titres, à l’image de Kapwing. Il suffit d’insérer la vidéo, de préciser la langue originale et la langue des sous-titres. Le sous-titrage reste malgré tout littéral et très imparfait, insuffisant. Capture d’écran : Alex Talandier, logiciel Kapwing.

D’un point de vue qualitatif, « les subtilités du sous-titrage impliquent que l’on a forcément besoin d’humains », insiste le sous-titreur russophone. C’est le cas par exemple lors de la traduction de l’anglais au français, où « l’IA ne peut pas savoir si l’on parle au féminin ou au masculin », met en lumière Jérôme Plan. Une impasse qui est loin d’être une exception, parmi la diversité des langues et des incompatibilités qu’elles peuvent avoir entre elles.

Plus que de traduire les dialogues, la mission du·de la sous-titreur·rice est surtout d’interpréter leur sens. « Le dialogue de l’œuvre originale, c’est la prose ; le sous-titrage, c’est le poème », résume Dagmar Jacobsen. Un véritable « travail d’orfèvre » selon Jérôme Plan, réalisé par des professionnel·les passionné·es par les langues et leur diversité.  

« C’est peut-être démodé, mais notre travail est artisanal, on travaille avec nos mains », insiste Jacobsen. Elle assure : « Si l’on aime travailler avec la langue, le sous-titrage est forcément passionnant ». 

Paul BATTEZ et Alex TALANDIER

Anselm (le bruit du temps) et Perfect Days réalisés par Wim Wenders sortiront respectivement les 18 octobre et 29 novembre 2023 dans les salles obscures.