Le 12 octobre, Into the Wild revient sur grand écran à la Halle Tony Garnier. 18 ans après sa sortie, l’errance de Christopher McCandless n’apparaît plus seulement comme l’histoire tragique d’un marginal et fait écho aux préoccupations de la nouvelle génération.

Ce 12 octobre, à l’occasion de la 17e édition du Festival Lumière, la Halle Tony Garnier accueillera la projection d’Into the Wild en présence de Sean Penn, son réalisateur. Sorti en 2007, le film culte est une adaptation du livre écrit par Jon Krakauer, publié en 1996. Il retrace l’errance de Christopher McCandless à travers l’Amérique. Into the Wild semblait alors raconter l’histoire singulière d’un marginal en quête d’absolu. 18 ans plus tard, le film résonne autrement. Ses thèmes comme l’urgence écologique, le rejet du consumérisme ou la quête de sens paraissent aujourd’hui préfigurer les préoccupations centrales de la jeunesse.
Diplômé brillant de l’université Emory en 1990, Christopher McCandless décide de tourner le dos à la société consumériste et aux normes sociales pour vivre une existence radicalement libre et parcourir les États-Unis. À 22 ans, il fait don de ses économies à une organisation non gouvernementale (ONG), détruit ses papiers d’identité et prend la route sous le pseudonyme d’Alexander Supertramp. Pendant deux ans, il parcourt l’Ouest américain, de la Géorgie à l’Alaska en passant par six autres États, dans un périple autant extérieur qu’introspectif, confronté à la nature et à lui-même.
Comme l’écrit Saad Chakali dans son ouvrage Une nouvelle Amérique encore inapprochable, Into the Wild est « spontané et fragmentaire, convulsif et affolé ». Salué par la critique et ayant généré 56 millions de dollars de recettes mondiales, le film captive par son énergie foisonnante. Christopher traverse déserts, forêts et rivières, jusqu’à s’installer dans un bus abandonné en Alaska, seul face aux éléments. C’est là qu’il trouvera la mort en 1992, à 24 ans, affaibli par la faim. La nature, qu’il considérait comme refuge et alliée, devient également une force implacable. Sean Penn choisit de ne pas transformer cette tragédie en simple sensationnalisme : il filme la beauté du voyage, les rencontres marquantes et la vitalité de l’errance.
« Ce film a fait presque autant de dégâts que la méthamphétamine »
Héros, visionnaire pour certains, inconscient et imprudent pour d’autres, McCandless n’en reste pas moins une figure ambiguë. À Slab City, communauté alternative qu’il a fréquentée, certains dénoncent la « glorification nuisible » de son parcours qui pourrait selon eux pervertir la jeunesse.
On peut lire sur le Reddit des internautes de la région : « Je trouve qu’on passe beaucoup trop de temps à glorifier un idiot » ou encore « ce film a fait presque autant de dégâts là où je vis (Slab City) que la méthamphétamine. Beaucoup trop de gens viennent ici et suivent les traces de Chris McCandless comme s’il était un prophète. » Pour d’autres spectateurs, en revanche sa décision est une inspiration : « Je ne comprends pas pourquoi les gens n’arrivent pas à saisir ça. Il n’était pas naïf d’aller dans la nature “non préparé”. »
« Into the Wild changed my life »
L’influence d’Into the Wild va même plus loin. Sur les réseaux sociaux, des communautés entières perpétuent la mémoire de McCandless. La page « Into the Wild changed my life » rassemble plus de 7000 membres, tandis que le groupe « Into the Wild » compte près d’un millier de participants. Citations tatouées, voyages inspirés du film, carnets de route numériques : son histoire continue de résonner auprès de milliers d’admirateurs.
Les commentaires témoignent de cette puissance d’inspiration. Certains spectateurs racontent : « Ce film m’a donné envie de voyager, de quitter mon job, de chercher autre chose. Il a changé ma vie. » D’autres vont plus loin, transformant le récit en véritable manifeste spirituel et politique : « Dans ces temps où les lois renforcent le pouvoir des contrôleurs, Mère Nature nous offre le seul refuge […]. Mettons nos ressources en commun pour bâtir un sanctuaire caché parmi les arbres, une société alternative. » Ces prises de parole montrent que Into the Wild dépasse la simple fascination pour un destin individuel.
L’errance devenue référence de l’Amérique moderne
Plus de 30 ans après sa mort, la figure de McCandless reste vivante surtout aux yeux de la jeune génération, semblant plus encline à comprendre sa philosophie. Le bus 142, symbole de sa dernière étape en Alaska, a même été héliporté hors de la forêt afin d’être préservé dans un musée et ses rénovations ont été financées via une cagnotte.
Sa sœur Carine continue, quant à elle, d’entretenir cette mémoire en ligne. Elle lui confère une dimension presque mystique en écrivant sur Facebook : « Je souhaite, chaque jour, que mon frère n’ait pas eu besoin de quitter la maison pour survivre. Mais en fin de compte, je suis reconnaissante qu’il ait été en paix, immergé dans la pureté de la nature et tenu dans les bras de la Terre-Mère quand il est parti. »
Finalement, l’errance de McCandless s’inscrit presque comme une légende de l’Amérique moderne. Thomas Sotinel, critique au Monde, le résume ainsi dans son article TV : « Into the Wild », voyage au bout de la solitude : « Into the Wild n’est pas une tragédie mais une ode à cette tradition américaine de la route, de Lewis et Clark à Jack Kerouac. »
Ce regard transparaît dans la structure fragmentée du film, où flashbacks familiaux et rencontres de voyage se répondent, portés par la caméra sensible d’Éric Gautier, la voix d’Eddie Vedder et l’intensité d’Emile Hirsch, donnant à cette aventure l’allure d’un hymne intemporel. Sa recherche d’une existence dépouillée, proche de la nature, annonce l’essor des modes de vie alternatifs de la vanlife aux communautés écologiques et continue d’inspirer ceux qui veulent se libérer du carcan consumériste pour renouer avec l’essentiel.
