Le cinéaste hollywoodien Michael Mann reçoit le prix Lumière, mettant à l’honneur sa carrière à l’occasion de la 17ème édition du Festival. Alors que la cérémonie aura lieu ce vendredi 17 octobre, L’Ecornifleur revient sur ce choix auprès d’experts et de novices du cinéma.

« Michael Mann, ça nous parle pas du tout », lance un couple de cinquantenaire, feuilletant les ouvrages de la librairie du Premier Film, centre névralgique du quartier Monplaisir-Lumière. Si le nom de ce cinéaste états-unien ne résonne pas comme celui de Scorsese ou Coppola, son visage non plus ne porte pas la célébrité. Si bien que parmi les figures sur l’affiche, celle de Michael Mann n’est pas présente. Seul son nom est exhibé timidement en bas, au-dessus de l’inscription « 17e prix Lumière ».

Sur la place Ambroise Courtois, la banderole du Musée Lumière annonce le lauréat… en bas. Photo Jade Lucas

À la rédaction, nous étions perplexes sur cette décision. Et pour cause, nombre d’entre nous ne connaissaient pas Michael Mann. Mais pour Clément Colliaux, critique cinéma pour Libération et la revue indépendante Critikat, octroyer au cinéaste le prix Lumière est un « choix judicieux ». Il souligne sa « filmographie inclassable » oscillant entre des blockbusters tels que Miami Vice ou des films radicaux comme Révélations. François Huzar, historien du cinéma à l’Institut de recherche sur le cinéma et l’audiovisuel (IRCAV) voit même en lui « l’un des plus grands cinéastes contemporains des États-Unis ». 

Un cinéaste « novateur »

Le cinéma mannien est défini par un grand nombre de spécialistes comme « novateur ». « Collatéral, sorti en 2004, est l’un des premiers grands films tourné avec des caméras numériques HD, ce qui lui a permis d’avoir un rendu exceptionnel sur les scènes de nuit à Los Angeles », juge l’historien. Ces innovations techniques ont fait de lui un cinéaste de premier plan qui « rebat les cartes », indique pour sa part Clément Colliaux.

Maître du polar états-unien pour ses admirateurs, le réalisateur de 82 ans traîne derrière lui une carrière d’envergure qui a influencé les plus grands : Christopher Nolan, dans The Dark Knight, Denis Villeneuve dans Prisoners ou Sicario. Selon François Huzar, les « décors froids et les fusillades âpres » de Mann se retrouvent dans ces films cultes. 

Alors que son œuvre repose sur une atmosphère tirée des romans noirs et trempée de pessimisme, les sujets n’en sont pas moins engagés. Le militantisme du réalisateur, qui l’a poussé à quitter les États-Unis dans les années 1970 par opposition à la guerre au Vietnam, se retranscrit-il dans ses films ? S’il assure dans des interviews que sa filmographie n’a aucune dimension politique, Clément Colliaux reconnaît « une radicalité et un regard acéré sur le monde contemporain »

« Les moments de gloire de Michael Mann ont été très brefs »

Entre deux siècles, Michael Mann montre avec Révélations (1999) la puissance des lobbys de l’industrie du tabac et ses pratiques sulfureuses face à un lanceur d’alerte joué par Al Pacino. Un film estimé pour sa profondeur avec sept nominations aux Oscars dont celle du meilleur réalisateur, mais qui a peu touché le public français, comptabilisant moins de 400 000 entrées. 

Alors que ses films proposent un casting d’acteurs stars comme Robert De Niro, Will Smith, ou Tom Cruise, les « moments de gloire de Michael Mann ont été très brefs », d’après le critique de Libération, qui reconnaît le manque de notoriété publique du réalisateur. À l’inverse de Clint Eastwood ou Quentin Tarantino, deux des 17 prix Lumière qui s’adonnent à des rôles dans leurs propres films, pas sûr de reconnaître Michael Mann au coin d’une rue. Et pourtant, son œuvre peut-être considérée « grand public » : Le Dernier des Mohicans, Heat, Ali, Collateral, Miami Vice ont tous atteint le million d’entrées en France. 

Mais tout est affaire de génération. Pour François Huzar, les « films populaires » de Mann commencent à dater, à l’inverse de Tim Burton, lauréat du prix Lumière en 2022, bien connu des enfants des années 2000. Mais ce n’est pas une mauvaise chose pour l’historien, qui invite la Gen Z à découvrir Heat ou Le Dernier des Mohicans : « Ce cinéaste peut rassembler retraités et étudiants. Ce festival, c’est l’occasion de faire l’héritage. »

« Du cinéma poussiéreux, phallocentré, viriliste et d’un pessimisme niais » 

Une injonction comprise par le public novice du réalisateur. Pour la comédienne de 19 ans Julie Taraquois, le nom de Michael Mann sonnait comme un extrait de conversation avec son père cinéphile. Assise à une table du Café Lumière avec ses amis, elle confie ne pas avoir été en premier lieu « attirée » par ses films. « Finalement, ça m’a permis de découvrir un cinéaste sans apriori. »

Si l’artiste a apprécié découvrir une carrière, d’autres ont été moins convaincus. « Ils étaient tous déjà pris ? », s’interroge Françoise Blein, habituée du lieu. Après l’annonce du lauréat, l’astrologue de 65 ans n’a pas tardé avant de visionner la filmographie du cinéaste hollywoodien. Et elle n’a pas été marquée. Pourquoi ? Elle ne sait pas, elle a oublié. 

Joseph Boinay, journaliste cinéma chez Télérama, va encore plus loin dans la critique. « Je m’interroge sur la pertinence de célébrer un type qui fait du cinéma poussiéreux, phallocentré, viriliste et d’un pessimisme niais ». Et pour cause, l’univers très masculin cliché du polar, c’est la spécialité du réalisateur. « Un film comme Heat est aujourd’hui critiquable car les personnages féminins sont des accessoires », d’après Clément Colliaux. 

En tout cas, le cinéma mannien n’est pas du goût de Margaux, rédactrice de L’Écornifleur : « C’est un réalisateur obsédé par les hommes ».

À la librairie du festival, une étagère est dédiée au réalisateur hollywoodien. Photo Jade Lucas