Du scénario à la projection (7/12). À l’occasion du Festival Lumière, L’Écornifleur s’est glissé dans les coulisses du cinéma, pour un tour d’horizon de ses métiers. Entre deux tournages, Milan Bruno-Mattiet revient sur son parcours vers le métier de comédien.
« Être comédien, c’est être un traducteur », dit-il après un moment d’hésitation. Assis, serré entre deux tables du café Slake près de Cordeliers (Lyon 2e), Milan Bruno-Mattiet, 22 ans, raconte son parcours au milieu des conversations et du va-et-vient des serveurs. Lorsqu’il décrit son métier, la passion qui l’anime contraste avec sa timidité apparente. Parfois, il se perd dans ses explications, a du mal à choisir ses mots, hésite, revient en arrière. Il explique : « J’ai été très, très timide. Jouer aide énormément. Je pense que si je n’avais pas fait du théâtre, ça aurait presque été une timidité exagérée. »
Enfant d’artistes, enfant d’artiste
Milan a grandi sur la colline lyonnaise de Fourvière (Lyon 5e), avec des parents comédiens et une demi-sœur danseuse. Une enfance durant laquelle monter sur scène est presque banal. Venue des Etats-Unis, sa mère commence à jouer dès son arrivée en France à l’âge de 25 ans pour la Commedia dell’arte, avant de rejoindre le Théâtre des Célestins (Lyon 2e). C’est là qu’elle fait la rencontre de son père, également comédien. Ensemble, ils co-écrivent une pièce : Combat de fauves au crépuscule. Un univers de décors et de projecteurs qui marque Milan avant même qu’il ait l’âge de monter sur scène. « Je les voyais prendre du plaisir en jouant. Même si la pièce n’était pas incroyable, il y avait cette aura, ce partage. C’est ça qui m’a happé. »
À l’âge de six ans, Milan se retrouve alors à enfiler des collants pour monter sur scène avec la Maisons des Jeunes et de la Culture de Saint Just (Lyon 5e). « J’avais tellement honte », se rappelle-t-il en souriant. De l’école primaire au lycée, il enchaîne compagnies de théâtre et professeurs indépendants, où il apprend progressivement à dépasser son trac.
Dans son parcours d’artiste, la musique aurait pu le détourner de la comédie. Élève assidu au conservatoire, Milan a longtemps pratiqué la contrebasse, jusqu’à délaisser le théâtre à partir de la classe de 3e pour rejoindre le double cursus Temp’O entre le lycée de Saint-Just et le Conservatoire à rayonnement régional (Lyon 5e). Pourtant, il n’oublie pas totalement le jeu : « Je continuais en parallèle à postuler à des castings pour pouvoir jouer dans des courts-métrages. J’ai eu quelques petits rôles un peu partout, dont des premiers rôles avec la Cinéfabrique [une école de cinéma réputée à Lyon, ndlr]. »
À la sortie du lycée, sa curiosité le pousse à passer de l’autre côté de la caméra. Direction 3IS, nouvelle école de cinéma lyonnaise, où il explore tous les métiers : caméra, montage, son, production. Passionné d’écriture, il se spécialise dans la réalisation-fiction où il réalise son court-métrage Les noces du dimanche soir, un projet ambitieux mais non sans difficultés. « C’était un gros apprentissage. Le court-métrage n’est pas mauvais en soi, mais un peu en deçà des attentes. C’est frustrant, mais ça me donne juste envie de faire mieux. » Après une alternance à Reverto, où il découvre le cinéma à 360° à travers la production en réalité virtuelle, Milan décide de retourner vers la comédie : « Parce que l’écriture, aussi bien que ce soit, c’est quand même beaucoup de pression. »
Double traducteur
Pour Milan, être comédien c’est être capable d’être « le traducteur » de la vision du réalisateur. « C’est comme un musicien. Il doit interpréter le mieux possible la partition qu’on lui donne, tout en gardant sa créativité. » Son passage derrière la caméra lui donne aujourd’hui un regard particulier sur son métier de comédien. Habitué à penser le film dans sa globalité, il comprend mieux les intentions d’un réalisateur, ses contraintes et son vocabulaire. À l’inverse, ses années de jeu nourrissent son écriture et sa mise en scène : il sait ce qu’un acteur peut donner, comment l’accompagner et jusqu’où le pousser. Une double expérience qui fait de lui un interprète sensible, mais aussi un partenaire de travail attentif.
Lorsqu’il n’est pas « traducteur » pour un réalisateur, il est en parallèle réellement traducteur d’anglais à temps partiel dans une entreprise médicale lyonnaise. À 22 ans, le comédien connaît déjà les revers d’un métier où l’irrégularité est la règle. Entre deux castings, il assure ses revenus grâce à ce poste qui lui laisse l’après-midi libre pour répéter ou chercher de nouveaux projets. Un équilibre précaire, mais assumé : « Le doute, ce n’est pas : est-ce que je veux être comédien ? C’est : est-ce que ça marchera ? » dit-il.
Parmi ses inspirations, un modèle revient : celui d’Albert Dupontel. « Si je pouvais être une voix dans [son] univers, je signerais des deux mains », confie-t-il. Pour Milan, l’humoriste, acteur et réalisateur français incarne l’intelligence, l’humilité et un univers satirique qui lui parle profondément. Ses films, burlesques et acérés à la fois, correspondent au type de comédies dans lesquelles il rêve de jouer. Une collègue lui a même transmis l’adresse mail du réalisateur, l’encourageant à le contacter. Il n’a encore jamais osé franchir le pas.
« Je pense qu’il ne faut jamais lâcher parce qu’il y a des comédiens qui se révèlent du jour au lendemain », explique-t-il en prenant l’exemple de Daniel Craig, devenu James Bond en 2006 avec Casino Royale. Le comédien continue donc à multiplier les castings, acceptant autant les petits projets conviviaux que les rôles plus exigeants. « Je ne me vois pas faire autre chose. Il n’y a rien d’autre qui me fait autant plaisir », confie-t-il.
