Minuit vendredi 15 octobre. Il n’était pas l’heure de rentrer du bal mais de se rendre à l’Institut Lumière, pour la nuit de la « J-Horror », où trois classiques du cinéma d’horreur japonais étaient projetés. L’Écornifleur a frissonné pour vous jusqu’à l’aube. Récit.

Extrait du film d'horreur Dark Water de Hideo Nakata
Extrait du film Dark Water de Hideo Nakata (2002

23h20 Une queue s’est déjà formée pour accéder à la première salle de l’Institut Lumière, où trois films sont projetés. Ring (1998) de Hideo Nakata, Audition (1999) de Takashi Miike et Dark Water (2002) de Hideo Nakata constituent trois piliers du cinéma d’horreur japonais. Il fait nuit noire, et le public est essentiellement constitué de jeunes, motivés par leur passion pour le genre de l’horreur ou par le cinéma en général.

C’est ce qu’explique Maxime, 28 ans : « J’ai vu une vingtaine de films au Festival cette semaine. Je connais déjà le remake américain de Ring, mais aucun des trois qu’on va découvrir ce soir ». Gaël, étudiant de 22 ans à l’INSA, apprécie également le format de la séance. « Ce n’est pas la première fois que j’assiste à un marathon de films de la sorte. Je l’avais fait pour Avengers et Le Seigneur des Anneaux, version longue ! » Tous sont préparés pour ne pas dormir, à grands renforts de caféine, et sont venus bien équipés. D’ailleurs, dans la salle, les spectateurs s’installent confortablement, plaids sur les genoux et gourde à la main. 

00h00 J’ouvre les yeux après une petite sieste imprévue de dix minutes – les sièges sont très confortables – pour écouter l’introduction au programme. Tous les fauteuils portent des noms de personnalités du cinéma, et comme le hasard fait bien les choses je suis à la place Bertrand Tavernier. Avec une bonne vue sur les macabres évènements qui vont se dérouler à l’écran. Le premier film à passer, c’est Ring. Une étrange vidéo circule dans un lycée japonais, et les adolescents l’ayant visionnée meurent les uns après les autres, sept jours après l’avoir découverte. La journaliste Reiko Asakawa mène l’enquête après la disparition de sa nièce dans d’étranges circonstances, et finit par elle-même voir la cassette maudite… Les deux films de Nakata ont presque inventé à eux seuls la tendance des yurei, fantômes revenant hanter les vivants.

1h50 Ma voisine a les mains collées au visage depuis vingt minutes. C’est bien connu, cette technique qui permet de voir moins bien à travers les doigts diminue la peur. Bien plus terrifiant que son remake américain, Ring et ses sinistres bruitages m’ont fait grincer des dents. Comme l’avait promis l’intervenante du Festival, les apparitions hors-champ rendaient l’épouvante bien plus terrifiante que les habituels screamers des récents films du genre. En tout cas, plus question de faire une sieste, je suis bien réveillée et je ne risque pas de m’endormir de sitôt. C’est la fin du premier film, on annonce une demi-heure de pause avant la suite, et la file d’attente pour la machine à café et les toilettes est déjà longue. 

Le Japon, initiateur de l’épouvante au XXIe siècle

Film d'horreur The Ring 2002
Affiche du remake américain de Ring, par Gore Verbinski (2002)

Les deux long-métrages de Hideo Nakata projetés au Festival ont fait l’objet d’une adaptation américaine. En 2002, The Ring, réalisé par Gore Verbinski, connaît un succès immense aux États-Unis. En 2005, c’est au tour de Dark Water d’être l’objet d’un remake. Les œuvres de Nakata se sont inscrites dans la culture populaire internationale. Elles ont marqué une génération de spectateur, directement ou par le biais des adaptations. On peut par exemple voir une parodie de Sadaka, la femme fantôme de Ring, dans le troisième volet de la saga Scary Movie réalisé par David Zucker. L’histoire de la vidéo maudite est aussi reprise dans un nouveau Ring américain, sorti en 2017. 

« Ring est vraiment emblématique de la J-Horror parce qu’il s’est exporté au-delà du Japon et a posé les jalons d’un nouveau cinéma d’horreur », explique Lucie, l’animatrice de la séance. En effet, à partir des histoires de fantômes et de la mythologie nippone, une nouvelle génération de films se développe. « Contrairement au cinéma d’horreur américain du début du siècle, la J-Horror est plus dans la suggestion que dans la démonstration », poursuit la référente du Festival. C’est ce qu’on retrouve aujourd’hui dans des séries à succès comme Conjuring de James Wan, qui en est à son troisième opus. Les créateurs jouent beaucoup sur des revenants à l’aspect cadavérique, sur le pouvoir de voyance et des malédictions. 

2h40 L’entracte a été bien plus longue que prévue, et une bousculade générale a lieu pour trouver de meilleures places qu’avant. Pendant que tous jouent aux chaises musicales, je perds ma voisine et un autre s’installe. Il se plaint des rires des personnes derrière lui pendant toute la projection précédente – mais lui-même va ricaner pendant les deux heures à venir. 

4h42 Auditionde Takashi Miike, c’est long, et à la hauteur de ses promesses. Au vu des commentaires de la salle et des nombreux fous rires nerveux face à la violence des scènes – c’est le seul film interdit aux moins de 16 ans -, tout le monde est d’accord. Après un long début entre drame et comédie, parsemé de quelques scènes étranges pour donner l’alerte, la dernière demi-heure nous plonge dans une atmosphère tellement gore que ç’en est burlesque. Le dernier mot n’est pas de moi, c’est le groupe d’étudiants stupéfaits par la violence du film d’horreur, qui fume une cigarette sur le parvis de l’Institut. Aoyama, un producteur de films, a perdu sa femme il y a plusieurs années. En organisant une fausse audition pour retrouver l’amour, il rencontre Asami, une étrange jeune femme habillée de blanc, qui cache des secrets inexplicables. 

J’avoue, je suis à deux doigts d’aller me coucher. Plus qu’un film, mais la journée de samedi promet d’être entrecoupée de siestes et d’un malaise constant (UPDATE 18h30 : finalement, ça va). J’hésite encore, mais le premier métro est dans trente longues minutes, il fait 6° dehors et on nous a promis un petit-déjeuner pour clore le programme. Priorité au reportage, le sommeil c’est pour les faibles. Et puis, après avoir vu une jeune femme découper ses amants au fil de boucher, la nuit noire ne me tente pas. 

Nuit d'horreur japonaise à l'institut Lumière
Les sièges sont de plus en plus vides à l’heure du troisième film. @jlebihan

5h10 On finit le programme d’horreur avec Dark Waterun autre film de Hideo Nakata, tiré d’un roman du même écrivain que pour Ring. Une femme élève encore une fois seule son enfant en bas âge, et se bat cette fois pour sa garde. En emménageant dans un nouvel appartement, elle devient obsédée par les évènements surnaturels qui s’y passent, et surtout par cette eau qui coule sans arrêt depuis le plafond. Pourtant, personne n’habite plus à l’étage… 

Dans cette trilogie terrifiante, on trouve de nombreux points communs : la présence de l’eau, croupie ou agitée, le blanc des vêtements qui rappelle le deuil au Japon et des personnages féminins ou enfantins dans le rôle des protagonistes et des esprits malveillants. Pour entrer dans la salle, plus de bagarre pour les places puisque la moitié des spectateurs a déclaré forfait durant l’entracte. Ceux qui restent gardent coûte que coûte les yeux ouverts. 

6h50 C’est fini ! Amen ! Heureusement, l’équipe du Festival a prévu du café et des viennoiseries pour les vaillants spectateurs restés jusqu’au bout. Heureuse d’en faire partie ! Malgré le jour qui ne va pas tarder à pointer le bout de son nez, le sommeil s’annonce agité. Je ne sais pas de quoi j’ai le plus peur, de voir un enfant en ciré jaune devant la bouche de métro, une femme en blanc devant chez moi ou de l’eau croupie remplie de mèches de cheveux dans mon évier. 


Ring, Hideo Nakata, 1998

Audition, Takashi Miike, 1999

Dark Water, Hideo Nakata, 2002

Ressortie en salle en mars 2022 par La Rabbia