« Documentaires sur le cinéma » : une sélection de douze films est présentée pendant ce Festival Lumière. L’Écornifleur a interrogé Nicolas Billon, réalisateur de Casser la baraque et Dominique Bigle, producteur de Cartoons Bannis sur la fabrication d’un cinéma qui regarde le cinéma. Double entretien.

« J’ai eu envie de faire le film que j’aimerais voir au cinéma. Je vois beaucoup de documentaires sur le cinéma, et souvent je m’ennuie ». Nicolas Billon a un avis tranché. Mais il a fait un film sur ce qu’il affectionne et pour lequel on lui a donné une bonne dose de liberté. Le réalisateur présentera ce mardi à la Villa Lumière un film de 55 minutes consacré aux blockbusters, alias les superproductions cinématographiques : Casser la baraque.

Pendant tout le Festival Lumière, douze cinéastes dévoileront de nouvelles œuvres, pas encore sorties en salle ou diffusées à la télévision. Et l’on sait bien que les films « inédits » sont rares au Festival Lumière. Parmi ces douze films, Casser la baraque de Nicolas Billon et Cartoon Bannis de Michel Lerokourez, produit par Dominique Bigle, un film sur les cartoons disparus en raison de leur caractère immoraux, notamment sexistes et racistes.

 « Notre but, c’est de montrer la mémoire d’Hollywood »

Dominique Bigle est directeur de Classic Cool Media, une société de production installée en Californie qui opère en Belgique pour ses activités européennes. « À Classic Cool Media on est spécialisé sur le cinéma en général », explique-t-il. Il a déjà produit Hollywood Interdit, Terre Promise, et prépare un film sur le « Hollywood colonial » : « Notre but, c’est de montrer la mémoire d’Hollywood que nous centrons ensuite sur tel ou tel aspect », ajoute le passionné.

Ce film sur les cartoons, il en explique la genèse : « Les Cartoons Bannis, produits à l’époque avec de la bonne foi, avaient des attaques sur certains sujets, notamment avec des représentations stéréotypées sur les Noirs, ou les Asiatiques. Le principe, c’est bel est bien d’exploiter un stéréotype et faire des gags sur cela. Et évidemment, très vite, ça n’était pas drôle, alors ils ont été bannis ».

Nicolas Billon, un Nantais de 44 ans, monteur d’origine, s’est mis petit à petit à faire de la réalisation. Il a mené une interview de Michael Mann – Le Sixième Sens, Le Dernier des Mohicans, etc. – qui le motive alors à interroger un genre qu’il adore, le blockbuster. Son idée : ces superproductions constituent aussi du cinéma d’auteur : « Notre sujet, c’était de faire l’âge d’or, dans les années 1980-90 avec aussi l’idée qu’il y a une forme de déliquescence intellectuelle aujourd’hui » explique-t-il. La réalisation a été difficile, l’écriture a commencé en 2019, les tournages d’interviews ont été retardés avec les confinements successifs.

« À la base, Steven Spielberg montre des dinosaures à bon escient. Dans Jurassic World, il n’y a aucune inventivité »

Un point commun, à des époques différentes, entre les deux documentaires : ils s’attardent avant tout sur des créations du passé. « Ce format de cartoons, qui datent des années 1930 n’existe plus aujourd’hui. Ces cartoons duraient sept minutes parce qu’ils étaient diffusés pour les salles de cinéma avant les séances. Et un jour, on les a enlevés pour voir directement le grand film, ils sont allés à la télévision, mais étaient très peu diffusés », raconte Dominique Bigle.

Pour les blockbusters, c’est l’inverse, avec une véritable saturation aujourd’hui. Mais Nicolas Billon semble blasé, et n’en cite que deux qui, selon lui, se sont distingués récemment : Mad Max : Fury Road et Blade Runner 2049. Il n’a pas le même avis sur Jurassic Park, projeté le samedi 16 octobre au Festival Lumière, et son spin-off Jurassic Word, sorti en 2015 : « À la base, Steven Spielberg montre des dinosaures à bon escient. Dans le premier Jurassic Park, des tyrannosaures, ils n’y en a pas beaucoup. Mais alors dans Jurassic World, il y en a absolument partout, et il n’y a aucune inventivité. C’est un film très binaire avec des gentils et des méchants, ce que n’était pas Jurassic à la base ! », souffle-t-il. Il pense aussi à Christopher Nolan, qui a fait du cinéma « intelligent » un élément marketing, par exemple avec Tenet, son dernier film, « devenu une caricature ».

« Ce documentaire, c’est un témoignage »

Mais pourquoi s’obstiner à faire des documentaires sur le cinéma ? Dominique Bigle explique posséder des centaines d’archives, et souhaiter les exploiter : « Nous on veut témoigner, pas donner des leçons. On a des archives, parfois rares. Alors on les utilise. On ne fait pas de commentaire, pour dire ce qui est bien ou ce qu’il ne l’est pas. Pour nous, même si on a un film nul mais qui constitue une archive intéressante pour notre projet, alors on le montre ! », résume Dominique Bigle. Nicolas Billon raconte : « Moi l’idée, c’est que je prends les mots des autres avec une dose de subjectivité. Ce que j’essaye de faire quand je mets les trois critiques ensemble c’est d’apporter de la subjectivité et à la fin, on garde le moment où ils se coupent la parole, là c’est vivant ! ».

Dominique Bigle poursuit : « Ce documentaire, c’est un témoignage et c’est aux spectateurs de s’en emparer ! Quand on regarde des dessins animés dans les années 1930, il faut se souvenir qu’ils ont été réalisés en pleine période de ségrégation. Et il a fallu attendre 1967 pour qu’un homme noir épouse une blanche au cinéma avec Devine qui vient dîner…. À l’époque, c’était un courage terrible de faire ce genre de film aux États-Unis ! » pense-t-il.

Les deux films seront diffusés sur OCS. Toute la série de Classic Cool Media est en partenariat avec la chaîne. Le film de Nicolas Billon viendra quant à lui encadrer une soirée consacrée au sujet des blockbusters, au cours de l’année 2022.

Quelques personnes ont vu Casser la Baraque, « je le présente ce soir à l’équipe », confie Nicolas Billon : « Le meilleur compliment que j’ai eu, c’est celui de mon fils de neuf ans. J’ai essayé de lui faire voir Retour vers le futur, mais il n’en a jamais eu envie. Quand il a vu le documentaire, quand il y avait justement les images de Retour vers le futur, il m’a demandé  « C’est quoi ce film ? », et je lui ai dit Retour vers le futur ! Et bien on l’a vu, et il a beaucoup aimé ! », raconte-t-il. Comme quoi, les documentaires sur le cinéma peuvent amener à s’intéresser à d’autres cinémas… !

Les 12 films de la sélection, dans l’ordre de leur présentation pendant le Festival

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