Du scénario à la projection (9/12). À l’occasion du Festival Lumière, l’Écornifleur s’est glissé dans les coulisses du cinéma, pour un tour d’horizon de ses métiers. Focus sur Nicolas Bret-Morel qui lève le voile sur son quotidien de voix off, un métier de l’ombre où tout passe par la voix.

Rencontre avec Nicolas Bret-Morel, au Café de la Mairie de Jean Macé, le 26 septembre 2025. © Orand Antoine

À ses débuts, pour un film américain, Nicolas Bret-Morel découvre en studio que le personnage auquel il prête sa voix est un homme noir, massif, bien plus âgé que lui. « J’étais surpris. Je me demandais si ça allait coller. Et au final, c’était une super expérience de jouer un autre physique, un autre personnage. » Cet épisode n’a fait que renforcer sa conviction : « Pour être voix off, il faut être comédien », souligne Nicolas. 

De tels projets viennent ponctuer un emploi du temps qu’il décrit comme mouvant. Un équilibre instable que Nicolas revendique : « La voix off me prend un bon tiers de mon année. Ça dépend des moments, de la demande, mais c’est vaste : courts-métrages, pubs, webinaires, livres audio… »

Nicolas est un artiste aux multiples casquettes : comédien, réalisateur, metteur en scène, formateur et voix off. Il n’est pas arrivé par hasard dans l’univers sonore. Autodidacte, il a exploré le cinéma et le théâtre pendant plus de 20 ans, enchaînant les apparitions à l’écran (Mademoiselle de Philippe Lioret, Lundi matin d’Otar Iosseliani…).

En 2020, il fonde sa propre troupe, Les Pendrillons Rouges, où il écrit et met en scène. Il nous explique : « Je voulais étendre le champ de compétence du comédien pour me diversifier. » C’est dans cette logique qu’il intègre Vox Populi, la formation professionnelle de l’École de la Voix. « Et je suis tombé dans le côté voix off, j’ai trouvé ça vraiment super de donner vie à des personnages ou à un scénario. »

La voix devient alors pour lui un outil, mais aussi une identité : « On m’a toujours dit que les gens appréciaient ma voix, alors j’ai joué là-dessus. »

Une voix incarnée par le corps

Pour lui, une voix ne vit vraiment que lorsqu’elle passe par le corps. « Ça va dépendre de la personne que tu joues. S’il est feutré ou s’il manque de confiance, tu vas jouer une gestuelle collée, très souple. Quand il est extravagant, tu le joues avec ton corps derrière le micro, sinon ça ne rend pas naturel. »

Si l’on imagine parfois que le travail de doublage se réduit à parler devant un micro, la réalité est bien plus physique : elle engage le corps tout entier.

En 2023, il participe au court métrage Charnier, qui sera présenté à la 13e édition du Nikon Film Festival. Dans cette dystopie en plan-séquence, sa voix accompagne un homme chargé de vider les charniers, devenus symboles d’une société où la vie et la mort ont perdu leur sens. « Il fallait interpréter une voix d’abord calme et grave, puis très vite rentrer dans un personnage un peu fou. Là, tu vas chercher dans tes profondeurs, tu incarnes à fond. »

La technique, elle aussi, conditionne le travail. En studio, il suit la bande rythmographique, plus communément appelée « bande rythmo ». C’est une ligne de texte qui défile horizontalement sur l’écran. Celle-ci contient les répliques synchronisées avec l’image et permet de prononcer, à la syllabe près, les propos de l’individu qu’il va jouer. Chaque enregistrement nécessite une multiplication des prises : ajuster l’intention, la vitesse, en fonction des indications du réalisateur. « On fait toujours deux ou trois essais pour trouver la profondeur à mettre en avant. »

Son rituel, lui, reste immuable : une simple bouteille d’eau à portée de main. « Tu as ton eau à côté de toi et tu t’hydrates beaucoup pour libérer tes cordes vocales, c’est important. »

« L’IA copie bien, mais elle ne joue pas »

Derrière le micro, la passion ne suffit pas toujours à masquer la précarité du métier. « C’est un métier de l’ombre. On ne te voit pas, et c’est pour ça que c’est moins payé aussi. » L’homme de 46 ans ne cache pas les difficultés économiques : forfaits très bas pour les courts-métrages, rémunération à l’heure d’écoute pour les livres audio : « 120 € pour une heure d’enregistrement, mais derrière, c’est cinq à six heures de travail. C’est aussi pour ça que j’étends mon métier à différents domaines. »

Malgré tout, la passion domine. Nicolas insiste sur la rigueur que demande son métier : « C’est tout aussi exigeant que de faire comédien. Sur scène, on exprime des émotions. Là, on ne nous voit pas : tout doit passer par la voix. »

Le futur, lui, reste incertain. À l’heure où l’intelligence artificielle gagne du terrain dans le secteur de l’audiovisuel, capable d’imiter des voix, le comédien garde confiance.

« L’IA copie bien, mais elle ne joue pas », précise-t-il avec énergie. Avant d’ajouter : « Ce qui fait la force de notre métier, c’est la perfection de l’intention, de l’émotion, ce petit quelque chose que l’IA ne sait pas encore reproduire. »

En parallèle, il transmet son savoir dans ses formations, convaincu que la maîtrise de la voix est une arme pour tous : « Ça aide à s’imposer, à gérer des conflits. Beaucoup n’ont pas conscience de la portée de leur voix. » Et quand on lui demande son rêve ? « Prêter ma voix à un acteur dans une série qui dure dans le temps. » Puis il sourit : « Vivre avec lui, grandir avec lui. »

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  • Antoine Orand

    Intéressé par la politique depuis l’enfance — en 2010, il croyait entendre « le peuple au ratapo » dans les slogans des manifs contre la réforme des retraites. Curieux et indigné, il aime rencontrer les gens et écouter leurs histoires, tout en cherchant à comprendre comment fonctionne ce monde.