Du scénario à la projection (2/12). À l’occasion du Festival Lumière, L’Écornifleur s’est glissé dans les coulisses du cinéma, pour un tour d’horizon de ses métiers. Crystèle Vermorel raconte comment, entre flair artistique et débrouille de terrain, elle transforme des lieux ordinaires en univers de cinéma.

Pendant les repérages, Crystèle Vermorel a toujours son téléphone pour prendre des photos, mais aussi un mètre pour mesurer les endroits qu’elle déniche. Photo de Anna Boulinguiez

« J’ai visité un paquet d’appartements dans cette rue », commente Crystèle Vermorel lorsqu’elle passe dans la rue Chevreul. Pour le film De Grandes espérances, mettant en scène deux étudiants tout juste diplômés de Sciences Po Lyon, elle devait trouver un appartement. Elle s’est mise dans la peau d’une jeune qui cherche son logement et a arpenté la ville jusqu’à trouver le lieu idéal.

En tant que repéreuse spécialisée, Crystèle Vermorel est embauchée pour trouver les décors des films : pour chaque nouvelle production, elle se balade, elle observe, elle déniche. C’est un métier qui imprègne son quotidien : « Tout à l’heure, en venant, j’ai repéré un bâtiment. À vrai dire, à chaque fois que je me promène, je vois le potentiel pour faire un décor. » Pour exercer ce métier, « il faut se projeter dans le lieu qu’on a en face de nous, avoir un œil artistique, mais aussi un œil de régisseuse pour imaginer les contraintes de tournages et les ajustements qu’il faudra faire ». Ça tombe bien, car son cœur de métier, c’est la régie, autrement dit, l’organisation logistique du tournage. Aujourd’hui, à 51 ans, elle combine les deux, régisseuse pour certains films, repéreuse pour d’autres, cela lui permet de « faire valoir sa patte artistique ».

De l’imagination et de l’artistique certes, mais « la matière principale, c’est d’abord le scénario », estime Crystèle Vermorel. Trouver le décor idéal pour chaque scénario se révèle parfois être un vrai casse-tête. Pour le film Anatomie d’une chute, palme d’or 2023, Crystèle Vermorel était de la partie pour repérer les décors. Pour coller au scénario, « il fallait de la neige, ce qui n’est pas assuré quand on commence un tournage au mois de mars ». Mais ce n’est pas tout, « il fallait un chalet suffisamment haut pour qu’on puisse imaginer la chute et disponible pendant presque un mois et demi. Tout cela en imaginant qu’il est complètement paumé au milieu de la montagne ».

« Sillonner le territoire et mettre des papiers dans les boîtes aux lettres »

Pour relever un tel défi, Crystèle Vermorel a commencé par regarder les annonces sur Le Bon Coin et contacter des agences immobilières. Mais, son expérience lui a prouvé que « ce qui marche le mieux c’est de partir avec sa voiture et une carte, sillonner le territoire et mettre des papiers dans les boîtes aux lettres ». Les lieux trouvés au hasard sont les plus faciles à exploiter, car ils ont déjà une identité. Dans les boîtes aux lettres, elle laisse ses coordonnées et explique le projet de tournage. Si elle reste parfois sans réponse, souvent, les propriétaires la rappellent pour en savoir plus. Un travail relationnel commence alors pour la repéreuse afin de les convaincre de quitter leur bien le temps du tournage. Et pour ça, « il faut que le courant passe bien », explique Crystèle Vermorel.

L’un de ses derniers repérages s’est déroulé dans le Cantal pour un téléfilm. Elle avait trois semaines pour trouver une ferme en activité pour huit jours de tournage, une maison en centre-ville, une autre maison en campagne et d’autres décors pour des scènes annexes. « C’est chaud en trois semaines, surtout que j’ai débarqué en ne connaissant pas du tout le coin », concède Crystèle Vermorel, « à ce moment-là, il faut avoir la tchatche pour en apprendre plus sur le quotidien des gens, se faire un réseau », ajoute-t-elle.

« Les lieux les plus compliqués: les prisons, les hôpitaux, les aéroports »

Certains lieux ne se trouvent pas au hasard des rencontres. Selon la repéreuse, « les lieux les plus compliqués sont ceux qui supposent une coactivité : les prisons, les hôpitaux ou encore les aéroports ». Si une autorisation d’occupation de l’espace public est nécessaire pour chaque tournage, transformer ces derniers lieux en studios de cinéma s’avère encore plus complexe : « Par exemple, quand on tourne dans un hôpital, c’est forcément dans un service fermé pour manque de personnel ou un lieu désaffecté en cours de travaux. »

Face à la difficulté de la coactivité, la repéreuse se voit obligée d’innover. Dans le film De Grandes Espérances, les scènes de prison ont pu être tournées dans le maison d’arrêt de Lyon Corbas mais « comme au départ on n’avait pas de retour de la prison, j’ai proposé d’utiliser le lycée de la Martinière Diderot à Lyon », raconte Crystèle Vermorel. Un lycée à la place d’une prison ? « Je trouve qu’en termes d’architecture, quand on rentre, on dirait une prison. Certaines chambres de l’internat me font penser à des petites cellules. »