« Sous les radars » (10/12). Cachés ou invisibles, souterrains ou au-dessus de nos têtes, L’Écornifleur s’est rendu dans des lieux qui échappent aux regards. Depuis 2022, en plein cœur du 13ème arrondissement de Paris, une ferme urbaine se niche sur les hauteurs du gymnase de Choisy Masséna. Reportage d’une initiative étudiante qui vise à rapprocher agriculture et ville.

Perché sur le toit du gymnase Choisy Masséna, le potager aérien de l’association Cultiv’Toit est en jachère hivernale (Paris, 13e). Photo Agathe Carrier

Il faut lever les yeux pour apercevoir ce petit trou de verdure entouré de hautes tours de plus de 30 étages. Après la descente de quelques marches, le passage par un gymnase animé où basketteurs et grimpeurs s’exercent, puis la montée d’une soixantaine de marches supplémentaires, une ferme urbaine de 600 m² se révèle sur le toit du gymnase de Choisy Masséna (Paris, 13ᵉ). Elle est le fruit d’une initiative portée par deux étudiants en commerce, Maxence et Ariel, désireux de « renouer avec la nature ».

L’idée naît en 2018, au sein de l’école ESSCA de Boulogne-Billancourt, où les deux amis, lassés des associations festives, rêvent de projets tournés vers l’écologie. En 2020, ils entendent parler de l’Appel à Projets Parisculteurs de la Ville de Paris, qui « met les moyens » pour remplir son objectif de végétalisation du bâti parisien lancé en 2014. Chaque année, elle livre des autorisations d’aménagement de toits parisiens. Avec leur toute nouvelle association, Cultiv’Toit, qui vise à construire un potager suspendu, Maxence et Ariel participent à ce concours en postulant pour le plus petit des toits. Ils sont retenus.

Quand manger urbain, sain et à moindre coût devient possible

Dès lors, il leur faut trouver 90 000 euros pour réaliser leurs travaux. Pour cela, ils bénéficient du soutien de l’Agence de l’eau Seine-Normandie, qui fournit la moitié des fonds. Le Crous de Paris, la Ville de Paris et la fondation Nature & Découvertes, qui propose des arrondis en caisse pendant neuf mois au sein de deux enseignes parisiennes, complètent le budget.

Puis, aidés de Cultures en Ville, l’une des entreprises parisiennes d’agriculture urbaine déjà bien implantées, ils choisissent les substrats. Les bacs de culture en bois sont conçus par un étudiant ingénieur spécialisé en menuiserie. « Ce n’était pas une mince affaire de monter ces kilos de terre et de substrat », se souvient Maxence. La hauteur a compliqué les défis logistiques liés aux travaux. Autre problème auquel ils ont dû faire face : les déchets. Téléphone, bouteille de vodka, conserve de petits pois s’entassent sur le toit. Ce jour-là, on découvre même un drapeau français dans le bac de fèves. « Même si les habitants en jettent beaucoup moins maintenant, nous avons bien fait d’installer des filets au-dessus des cultures pour les protéger, à l’origine des oiseaux, mais finalement surtout des déchets », relève-t-il.

Malgré les filets de protection, des déchets atterrissent dans les bacs de culture comme ce drapeau français. Photo Agathe Carrier

Après un chantier participatif de trois semaines, mobilisant des étudiants de l’ESSCA et d’AgroParisTech, leurs proches et quelques habitants du quartier, les premières plantations voient le jour en novembre 2022. En 2023, Cultiv’Toit livre ses récoltes à une quinzaine de résidences CROUS du 13ᵉ arrondissement. « Enfin… c’est surtout Joris, notre super responsable d’exploitation, qui acheminait à vélo les deux-trois cagettes de légumes récoltées par semaine », avoue le cofondateur. Fidèle à son objectif de rendre l’agriculture urbaine accessible, pour ses ventes, l’association adopte un modèle de prix libre, où les étudiants paient selon leurs moyens et leur appréciation de la valeur. « Quand tu ne contrains pas les gens, ils donnent souvent plus », observe Maxence. Les récoltes sont aussi vendues avec le même principe lors de marchés hebdomadaires organisés directement au sein du jardin.

« Le vivant est robuste »

2024, en revanche, est une année « jachère », s’amuse Maxence. C’est Linnea, une habitante du quartier, qui s’est occupée, avec son compagnon, de la remise en état, des semis et de l’arrosage. Ils ont même réussi à récolter de l’ail, quelques fraises et des tomates. « Il y en avait tellement qu’on n’a pas pu toutes les manger. Beaucoup ont pourri », raconte-t-elle, avant de se tourner vers Maxence : « Il faudra que tu m’apprennes comment fonctionne la vente pour l’année prochaine. »

Vestiges des plants de tomates qui ont fonctionné à l’été 2024. Photo Agathe Carrier

La jachère fera place aux récoltes en 2025. « Le vivant est robuste donc même après un an de friche, la nature se réorganise », explique le passionné. « Regarde, des champignons. Et il reste des stolons sur les fraisiers, c’est ouf. »

Des Rhodocollybia butyracea ont élu domicile à côté du romarin. Photo Agathe Carrier

Donc pour la suite ? « Il nous faut juste un autre Joris », lance le vingtenaire, un brin rieur. Les 8 000 euros restants sur le compte de l’association devraient suffire à payer l’unique employé qui œuvre pour la période active, de mars à novembre. Pour le reste, ils proposeront des activités de sensibilisation pour des salariés d’entreprises privées. Aussi, à l’été 2024, l’association a été reconnue d’intérêt général, permettant aux futurs dons d’être défiscalisés. « Ah, et on a reçu un financement de la Ville de Paris », poursuit-il, encore étonné. Toutes les conditions sont réunies, il ne reste plus qu’à semer.