Du scénario à la projection (4/12). À l’occasion du Festival Lumière, L’Écornifleur s’est glissé dans les coulisses du cinéma, pour un tour d’horizon de ses métiers. Ici retour sur le parcours d’un jeune cascadeur passionné et déterminé. 

Gabriel Grange en action sur le tournage de la fabuleuse histoire du Cognac. crédit: @_maevaaaaaa_

« Je suis technicien du risque, c’est-à-dire que je prends le risque à la place de la personne que je vais doubler. » Gabriel Grange, alias Gaby, se présente avec beaucoup d’entrain devant l’écran de son ordinateur, entre deux tournages à Paris. Enfant, il avait deux passions : le cinéma, nourrie par les films John Wick, James Bond et The Red – et le sport, que ce jeune homme n’a jamais cessé de pratiquer. Du judo au jujitsu en passant par le MMA, il a toujours aimé se bagarrer. C’est en classe de 6e que ses deux passions se sont rencontrées : « J’ai eu un coup de foudre avec le métier de cascadeur. Mélanger à la fois mes aptitudes physiques et le cinéma, je me suis directement dit, c’est ce que je veux faire ! »

Pas de formation reconnue en France

Car avant de devenir cascadeur, Gabriel est passé par les bancs du lycée, où il a obtenu son bac, une des conditions exigées par ses parents : « Quand j’ai des coups de mou, je me dis que je n’ai pas le droit de me plaindre, ce n’est pas possible. Surtout quand je repense à la période où je faisais des burgers pour neuf euros de l’heure. »

Le jeune homme a travaillé et économisé pour financer sa formation dans une des deux seules écoles qui existent en France. C’est au Campus Univers Cascades (CUC), dans les Hauts-de-France, du côté de Cateau-Cambrésis qu’il a appris les rudiments du métier. 

Ce cursus non reconnu par l’État s’étale sur deux ans à raison de dix semaines de stages intensives : « On apprend à chuter sans se faire mal, on a des cours de chorégraphie de combat pour apprendre à donner des coups, à simuler. On fait aussi de l’acting et du parcours. » Si beaucoup deviennent cascadeurs en autodidacte et se forment seuls, Gabriel a choisi la voie encadrée.

« Le plus compliqué dans ce métier… c’est d’en trouver »

Gabriel Grange

En 2023, à la moitié de son cursus, il réussit un casting pour le Parc Astérix, qui propose un spectacle de cascade reconnu dans la profession. La stabilité de ce poste le comble mais le cinéma l’attire davantage : « Le plus compliqué dans ce métier, c’est d’en trouver, il faut avoir les bons contacts. » Une fois la saison finie en septembre, il enchaîne entraînements et castings. Dans ce milieu dans lequel le bouche-à-oreille fait loi, il faut convaincre en quelques minutes « les régleurs cascade » (les coordinateurs qui organisent le casting et la performance des cascades en collaboration avec le réalisateur) de ses aptitudes à correspondre à un rôle. 

À 22 ans, son CV est déjà fourni : « Je suis très content d’être là où j’en suis à mon âge. Je vis de ma passion, ce qui me rend heureux me fait vivre. » Il a joué dans trois films et son expérience plateau sur un tournage de la Première Guerre mondiale, « avec une vraie tranchée, des figurants, de la fumée, des explosifs », l’a marqué. Les cachets sont conséquents, de « 600 à 700 euros brut pour douze heures. » Encore faut-il multiplier les films, certains cascadeurs en ont seulement trois par an, la précarité rôde. 

« Ma vie tourne autour de la cascade »

Comme ses collègues cascadeurs, Gabriel connaît aussi l’envers du décor : « Je me suis cassé un pied en tombant dans un ravin de trois mètres, arraché un tendon, déboité l’épaule de façon définitive. » Ce « palmarès », comme il s’amuse à le qualifier, l’a privé du tournage de Dracula de Luc Besson en lui imposant trois mois de convalescence. 

Pour réduire ces risques, il s’astreint à un quotidien similaire aux sportifs de haut niveau : « Ma vie tourne autour de la cascade, je m’entraîne physiquement tous les jours, en musculation, en boxe, en acrobatie, en chutes. »

Contrairement aux clichés, un cascadeur sait avoir peur et doit gérer son mental avec sang-froid. Une qualité clé pour Gabriel, originaire de Lyon et désormais installé à Paris. Car, vivre du cinéma a un coût : il voit moins sa famille et ses amis et admet la difficulté à entretenir des relations hors du milieu de la cascade.

C’est ce rythme décalé et ce train de vie toujours changeant qui le stimule. Il apprécie le fait de « ne pas avoir de patron » et de pouvoir « gérer son temps » comme il le veut. Ce jeune homme curieux est sans cesse en quête de nouvelles choses et espère que son métier le conduira à voyager. En attendant, Gabriel vit pleinement de sa passion :  « Je m’amuse dans ma tête comme quand j’étais enfant, avec les fausses bagarres, les jeux avec des faux pistolets. »

Le statut d’intermittent du spectacle 

Gabriel Grange, cascadeur, est intermittent du spectacle. Un statut spécifique accordé aux artistes et aux techniciens qui alternent entre périodes de travail et de chômage. Ce régime, unique au système social français, vise à compenser l’instabilité des emplois dans le milieu du spectacle et garantit un revenu entre deux missions. Pour y prétendre, il faut avoir cumulé au moins 507 heures de travail, soit l’équivalent de 43 cachets de douze heures en un an. Un « cachet » correspond à une rémunération pour un ensemble de temps travaillé, dans son cas une journée de douze heures au Parc Astérix.

  • Emilien Scano

    Des confins du beaujolais à l’avenue Berthelot, Emilien est un pur lyonnais. D’ailleurs, en semaine, il est correspondant local pour Le Progrès, où il s’entraîne pour son grand rêve : devenir le nouveau Romain Molina. Les week-ends, il ne quitte pas les travées du Groupama Stadium : il lui est même arrivé de se glisser dans la loge du capitaine de l’OL, dont il prétend toujours être le cousin…