Lauréat du Prix Lumière 2025, Michael Mann doit une partie de sa renommée au Dernier des Mohicans, adaptation du célèbre roman de James Fenimore Cooper. Un film qui revendique l’authenticité historique et la défense de la culture amérindienne, mais bien vite rattrapé par les codes hollywoodiens.

Archétype du film d’aventure à la sauce hollywoodienne, Le Dernier des Mohicans est le cinquième long-métrage du réalisateur Michael Mann. Sortie en 1992, l’œuvre est aussi la neuvième adaptation du célèbre roman de James Fenimore Cooper, qui raconte l’histoire d’un orphelin d’origine européenne recueilli par la tribu des Mohicans.
Le personnage principal, Nathaniel, incarné par Daniel Day-Lewis, tombe sous le charme d’une jeune aristocrate anglaise, Cora. Après lui avoir sauvé la vie lors d’une embuscade, le héros et sa famille adoptive se retrouvent malgré eux propulsés au cœur du conflit qui oppose armées française et britannique, jusqu’au tragique affrontement avec les Indiens Hurons.
Tout comme pour le chef-d’œuvre de Stanley Kubrick, Barry Lyndon (1976), la guerre de Sept ans (1756-1763) est à l’arrière-plan du scénario adapté par Michael Mann. Mais cette fois, l’histoire se déroule sur le continent nord-américain, disputé à l’époque entre les puissances coloniales : la France et ses alliés Hurons d’un côté, les Britanniques appuyés par leur milice coloniale de l’autre. Quant aux Mohicans, habitants ancestraux de la vallée de l’Hudson (État de New York), ils se retrouvent pris en étau entre les deux rivaux.
Une méticuleuse reconstitution historique
Avec pour décor les splendides forêts de Caroline du Nord, l’adaptation de Michael Mann témoigne d’une attention particulière aux détails historiques. La bataille de Fort William Henry fait notamment l’objet d’une reconstitution méticuleuse allant des tenues militaires à la stratégie de siège adoptée par l’armée française.
Daniel Day-Lewis on the set of The Last of the Mohicans (1992)
byu/bil_sabab inOldSchoolCool
Mais le cinéaste insiste surtout sur sa recherche de réalisme dans la mise en scène des tribus amérindiennes : « J’ai tenté de me placer du côté des Mohicans, de raconter l’histoire du point de vue de leur culture. Ce n’étaient ni des sauvages, ni des primitifs », relate RTS à partir du making of du film. En amont du tournage, les vêtements et les tatouages ont été choisis par des spécialistes de la culture amérindienne.
Auprès de ces derniers, Daniel Day-Lewis suit un entraînement intensif de plusieurs mois pour se préparer à sa performance : c’est là qu’il apprend à chasser au fusil et dépecer des animaux, combattre avec un Tomahawk ou encore construire un canoë.
Réhabiliter la culture amérindienne ?
Emblème du cinéma néoclassique, Le Dernier des Mohicans aspire à réhabiliter l’histoire des Amérindiens dans la culture états-unienne. En cela, il s’inscrit dans la droite lignée de Danse avec les loups (1990), parmi les films voulant croire à la coexistence pacifique entre les Amérindiens, les colons et leurs descendants.
Face à eux, des Européens qui instrumentalisent les rivalités entre tribus amérindiennes et oppressent les braves frontiersmen, pionniers et trappeurs dont on sent poindre les premières velléités d’indépendance. En cherchant à marier le mythe de la Frontière à celui du « bon sauvage », Michael Mann renoue donc avec l’imaginaire romantique de l’homme à l’état de nature face aux puissances coloniales hostiles.
Ce n’est pourtant que lors de la scène finale – celle qui acte l’extinction de l’Ancien au profit du Nouveau Monde – que le spectateur parvient à comprendre cette toile de fond. Car, en dépit du titre, le regard du réalisateur s’attarde trop peu sur les Mohicans pour en retranscrire pleinement le drame et l’injustice de leur disparition.
Les Mohicans sacrifiés au profit de la recette hollywoodienne
Là où Michael Mann aurait pu proposer une relecture d’un livre dont le héros se trouve être un « Blanc indianisé », il préfère au contraire recentrer l’attention sur son acteur phare : Daniel Day-Lewis, courant poitrine dénudée dans la forêt, accapare ainsi près de la moitié du film. Ce souci d’adéquation au scénario original aurait pu être excusé s’il n’avait été à géométrie variable : le personnage de Cora, décrite comme métisse par James Fenimore Cooper, est interprété sur grand écran par Madeleine Stowe, une actrice blanche.
Car s’il puise son inspiration dans un classique de la littérature états-unienne, le réalisateur ne s’est pour autant pas privé de prendre quelques libertés dans son adaptation pour se conformer aux standards d’Hollywood. C’est ainsi que l’histoire d’amour entre Nathaniel et Cora, inexistante dans le roman, se retrouve au cœur du scénario, jusqu’à en éclipser le destin tragique des Amérindiens.
Résultat : l’ensemble des personnages et des intrigues gravite autour du héros principal, sans que l’effort pour coller à la réalité historique ne transparaisse. À trop se soucier du détail, Michael Mann en a oublié le fond de son scénario, et la place laissée aux Mohicans s’en retrouve réduite à peau de chagrin. Si telle était réellement sa volonté de réhabilitation des Amérindiens, le cinéaste l’a piétinée en se soumettant, encore une fois, aux conventions hollywoodiennes.
