Pour la 14ème édition du Festival Lumière, des milliers de spectateurs sont attendus dans les 46 cinémas partenaires pour visionner des grands classiques du 7ème art. Mais pour beaucoup de gens, la culture cinéphile est inaccessible. Pour mieux comprendre d’où vient ce décalage, L’Écornifleur s’est entretenu avec Max Sanier, maitre de conférence en sociologie à Sciences Po Lyon et spécialiste du cinéma.

Affiche du festival Lumière représentant l’actrice Patricia Arquette dans le film de David Lynch Lost Highway, 7ème arrondissement de Lyon, 13/10/2022 (Solène Du Roy)

Quand on ne va pas souvent au cinéma, le Festival Lumière a quelque chose d’hermétique. Cinéastes « mythiques », courants artistiques « majeurs », œuvres « incontournables » : ces références ne sont pas partagées par tous et la méconnaissance des films classiques peut produire un sentiment d’illégitimité face à un évènement tel que le Festival Lumière.

L’Écornifleur : Existe-t-il une séparation nette entre le public des festivals et celui des films plus « populaires » ?

Max Sanier : La frontière est très nette, pas seulement entre le grand public et le Festival Lumière. Dans les cinémas à Lyon, il y a une distinction claire des publics. Ce ne sont pas les mêmes personnes qui vont aux Alizés (cinéma d’art et d’essai à Bron, ndlr) et dans les multiplex.

La distinction entre « films grand public » et « films d’auteur » a-t-elle toujours existé ?

Non, elle date des années 1950 et s’est davantage accentuée au début des années 60 avec la Nouvelle Vague. Avant la notion de cinéma d’auteur n’existait pas.(…) Et puis il y a eu la politique d’André Malraux (Ministre de la Culture de 1959 à 1969, ndlr) pour faire du cinéma un 7ème art. Auparavant, le cinéma était un loisir populaire par excellence.

Comment se fait-il que la culture cinéphile soit si valorisée ?

Elle est valorisée car il y a une distinction qui s’opère. Au fond, être cultivé ça n’a de valeur que si on estime que d’autres ne le sont pas. C’est la même chose que dans la plupart des autres pratiques culturelles. Dans la musique par exemple, il y a la variété et puis la chanson à textes.

Quelles sont les caractéristiques et les attentes des différents publics ?

Le public cinéphile est celui qui va le plus souvent au cinéma et fréquente généralement des cinémas d’art et d’essai. C’est un public qui a un capital culturel important et donc dans lequel vous trouvez des étudiants, des enseignants, des gens qui travaillent dans le domaine éducatif et social notamment. Ils ont plus souvent l’exigence de voir les films étrangers en version originale, ils ne vont jamais dans les gigantesques multiplex. Ils veulent soutenir le cinéma indépendant.

Alors que le public en attente de divertissement va moins régulièrement au cinéma. Il y va quatre, cinq, six fois par an pour voir les films qui cartonnent, des films qui bénéficient du plus grand marketing publicitaire. Le reste du temps, il regarde beaucoup les films à la télévision.

Comment expliquer l’importance des festivals de cinéma, si leur public est minoritaire ?

Ils ont de l’importance surtout pour le milieu du cinéma. Quand vous avez un film primé au Festival de Cannes par exemple, en général, ce film ne va pas battre des records d’entrée. C’est important en termes de légitimité, de prestige. Les médias vont beaucoup en parler. Et puis, pour le réalisateur, c’est quasiment l’assurance de pouvoir faire un autre film.

Est-ce que la sphère du cinéma a tendance à se démocratiser ?

Au niveau du public, je ne pense pas que ça puisse vraiment s’élargir car ça correspond à deux types d’attentes et de vision du cinéma. Il existe par exemple un dispositif « Collège au cinéma ou « Lycée au cinéma » qui consiste à essayer de former les spectateurs de demain. Depuis que ça existe, je n’ai pas le sentiment que ça a beaucoup bousculé les barrières. En termes d’ouverture d’esprit de curiosité c’est très bien, mais je ne pense pas que ça puisse bousculer les barrières de ce qu’on appelle la « culture légitime. »

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N’est-ce pas aussi lié au regard porté par les cinéastes sur la société ?

Là, je suis plus optimiste, j’ai l’impression que ça bouge. Ce qui a changé, c’est que vous avez
aujourd’hui des réalisateurs et des réalisatrices issus de milieux différents. Autrefois, si on reprenait le parcours biographique de la plupart des réalisateurs, ils venaient de la bourgeoisie. Aujourd’hui, il y a plus de femmes, de cinéastes qui viennent de milieux populaires ou qui sont beaucoup plus sensibilisés à des questions politiques et sociales.
Autrefois, les milieux populaires étaient montrés sous un angle caricatural ou misérabiliste. Quand vous voyez des films comme Les Misérables (
réalisé par Ladj Ly en 2019 et César du meilleur film 2020, ndlr), ce sont des films qui n’auraient pas pu être réalisés de cette façon dans le cinéma français il y a vingt ans.

Le programme complet du Festival Lumière 2022 : https://www.festival-lumiere.org/media/festival-lumiere-2022/tract-prog-fl2022-web.pdf