Édouard Baer a présenté son dernier long-métrage au Festival Lumière. Le film sur l’amitié qui s’étiole avec les années réunit les grands acteurs d’une génération dans une comédie frénétique.
Des hommes, célèbres, qui vieillissent, désillusionnent et tombent de leur piédestal. Pour ce film presque à huis clos, le cinéaste et producteur s’est accordé un budget serré et un tournage de courte durée. En deux semaines, Édouard Baer a filmé les retrouvailles annuelles de huit vieux amis, dont l’âge émiette les conversations et la santé d’esprit. Une histoire sur le temps qui passe et la peur de vieillir qu’on noie dans l’alcool et les bavardages.
À l’image de son auteur, la comédie est bouillonnante, les acteurs gravitent en électrons libres autour d’une caméra à l’épaule qui ne sait plus où donner de la tête. De l’absurde au tragique, le spectateur passe par toutes les émotions possibles et ne sait plus quoi en tirer. Édouard Baer dit toute son admiration pour cette génération d’acteurs qui ont marqué son expérience, sans tomber dans le mélodrame ni oublier de célébrer la génération à venir.
Hommage à des pointures du cinéma français
Au menu, un casting des plus représentatifs du basculement générationnel qui s’opère dans la grande famille du cinéma : on retrouve Daniel Prévost, fantastique dans son cynisme guilleret à toute épreuve, et on lui donnerait des airs de Gilbert Montagné avec ses lunettes de soleil. Pierre Arditi a du mal à accepter tout changement et voudrait retrouver son corps de petit garçon, quand son fidèle ami Bernard Murat doit sniffer dans les toilettes pour garder la forme en début d’après-midi.
Gérard Depardieu, écarté du groupe, trouve dans son isolement une plénitude longtemps recherchée. Quand enfin les faux-semblants et le regard des autres sont chassés, puisque ça n’a plus vraiment d’importance, on se sent bien avec soi-même. Entre jeunes et moins jeunes, Baer tisse et détisse le lien de l’apprentissage et du passage de flambeau.
Pour renforcer cette impression d’un monde déchu, Édouard Baer a choisi d’intégrer au récit Benoît Poelvoorde et François Damiens. Ce sont eux, les acteurs d’aujourd’hui dont les vieux amis peinent à accepter l’humour et la créativité. Adieu Paris, bonjour Bruxelles… Poelvoorde incarne avec force un personnage dont le rire est la meilleure arme, bousculé par ses pairs et manquant de confiance en lui. Chaque année, la joyeuse bande d’artistes invite un autre personnage à les rejoindre pour le procès de Yoshi, une mise en scène qui n’est pas sans rappeler le film de Francis Veber. Il est d’ailleurs directement fait allusion au Dîner de Cons dans le film.
D’un monde à l’autre
Dans le long-métrage, les femmes sont renvoyées à l’obscurité des personnages secondaires et au travail du «care». Infirmières, filles ou femmes dévouées, les rôles féminins subissent en effet le carcan de la charge mentale face à ces hommes qui se réunissent dans l’entre-soi. Chaque apparition d’Isabelle Nanty, de Léa Drucker ou de Ludivine Sagnier – qu’on a vu dans 8 Femmes et qu’on retrouve avec huit hommes – est un délice pour le spectateur. Qui d’autre pour jouer la compagne de Poelvoorde que Nanty, dont les courtes scènes déclenchent l’hilarité générale. Professeure d’Édouard Baer aux cours Florent, elle a trouvé dans son élève une dynamique hors pair qui les lie depuis plus de trente ans.
Huit hommes, âgés, blancs, qui ne peuvent ni ne veulent se soumettre aux changements sociétaux. Une image qui témoigne non sans finesse des évènements qui ont secoué le cinéma français ces dernières années, du César de Roman Polanski à la force des films de Céline Sciamma. Moi, si je devais résumer Adieu Paris ! aujourd’hui avec vous, je dirais que c’est d’abord des rencontres, et que l’âge, c’est dans la tête.
Adieu Paris ! d’Édouard Baer, au cinéma le 26 janvier 2022