Depuis le mois d’avril, une tendance a explosé sur la plateforme chinoise TikTok : #AccidentallyWesAnderson. Iels sont plusieurs milliers d’utilisateur·rices à avoir repris les codes cinématographiques du réalisateur états-unien pour romantiser leur vie. Un phénomène qui met en lumière les nouvelles stratégies des professionnel·les du cinéma pour promouvoir les films sur les réseaux sociaux avant leur sortie en salle.
Lundi, 18h30, une longue file d’attente se dessine à l’entrée de l’Auditorium de Lyon. Plusieurs dizaines de personnes attendent impatiemment l’ouverture des portes dans l’espoir d’avoir la place la plus proche de la scène. Le Festival Lumière a invité les Lyonnais·es à une soirée exceptionnelle en compagnie de Wes Anderson. « Je suis tombée amoureuse de son univers, témoigne l’une des festivalières dans la queue, le fait qu’avec une seule photo on puisse déterminer que c’est lui qui a fait le film, c’est ce qui me plaît le plus. »
Une recette miracle
Avec sa patte reconnaissable entre mille, Wes Anderson a su conquérir le cœur des cinéphiles au-delà des salles obscures. Depuis avril, iels sont des centaines de milliers d’utilisateur·rices à romantiser leur vie sur TikTok à la manière du réalisateur états-unien. La recette miracle : des plans aux couleurs pastels rafraîchissantes, une composition d’images à la symétrie bien léchée et un enchaînement de plans rythmés sur une mélodie d’Alexandre Desplat.
« C’est un cinéma qui est esthétiquement très précis », indique Julie Assouly, maîtresse de conférences à l’université d’Artois, spécialisée dans la civilisation et le cinéma états-unien. Simple à reproduire, cette tendance s’adapte parfaitement aux attentes du public du réseau social : rapide, fluide et satisfaisante. Une mode qui n’est cependant pas au goût de Wes Anderson. Il se confie dans une interview accordée au Times : « Je ne veux pas trop voir quelqu’un d’autre penser à ce que j’essaie d’être parce que, qui sait, je pourrais alors commencer à me conformer à cette image. »
@danclemt Vacations but #wesanderson #wesandersontrend #colors #accidentallywesanderson #foryou #pourtoi #foryoupage #summer ♬ Obituary – Alexandre Desplat
Inspirée du compte Instagram @AccidentallyWesAnderson (1,8 millions d’abonné·es), qui partage depuis plusieurs années des photos dont l’esthétique ressemble « accidentellement » à celle de Wes Anderson, cette tendance a su dépasser la frontière des cinéphiles de TikTok pour devenir un véritable phénomène. Jusqu’à conquérir les services de communication… du Quai d’Orsay !
@franceintheus Go behind the scenes of the French ministry for Europe and Foreign Affairs in Paris (aka the Quai d'Orsay) à la Wes Anderson #wesanderson #wesandersonedit #wesandersontrend #paris #francediplo ♬ original sound – 🇫🇷 in the 🇺🇸
Le #AccidentallyWesAnderson cumule à ce jour plus de 99 millions de vues sur la plateforme chinoise. « C’est devenu un petit peu incontrôlable. Aujourd’hui, c’est complètement dingue », analyse Julie Assouly. Elle tempère cependant l’impact réel sur la fréquentation en salle : « Il y a quand même un effet de mode, d’esthétique et de style, qui dépasse l’intérêt pour le cinéma en lui-même. » Sylvain Bethenod, PDG de Vertigo, institut spécialisé dans l’analyse des loisirs, acquiesce : « Quand vous étudiez le public du film The French Dispatch [de Wes Anderson], il y a 15% de 15-24 ans. Alors qu’il y a 50% de 50 ans et plus. » Par ailleurs, selon Médiamétrie, les réseaux sociaux accueillent quotidiennement 83% des 15-24 ans.
« Il faut aller au-delà du buzz qu’on ressent et qu’on pressent et arriver à mesurer objectivement l’impact réel de tout ça », poursuit-il.
Si le hashtag n’a pas nécessairement attiré un nouveau public en salle, son omniprésence ces derniers mois sur les réseaux sociaux traduit la place importante qu’y occupe désormais le cinéma. Cela pousse les professionnel·les à apprendre à manier au mieux ces nouveaux outils. « Ils [les réseaux sociaux] participent fortement à la création de notoriété des différents titres qu’on va défendre », décrit ainsi Damien Golla, directeur de la distribution chez Wild Bunch, le plus important distributeur français de cinéma indépendant.
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« Les réseaux sociaux amplifient le succès ou l’échec d’un film »
Bien qu’elles s’adressent principalement aux jeunes, ces plateformes sociales restent un incontournable pour communiquer sur les prochaines sorties en salle. « Avoir une stratégie de diffusion est aujourd’hui forcément liée aux réseaux sociaux. Elle est importante pour tous les éditeurs de cinéma », observe Damien Golla. Un exercice qui peut s’avérer périlleux.
« Tout va très vite sur les réseaux sociaux, ajoute Sylvain Bethenod, ils amplifient le succès ou l’échec d’un film. »
Les distributeurs et producteurs doivent donc s’adapter dare-dare afin de toucher le plus grand nombre possible de spectateur·rices. La stratégie : publier des contenus adaptés au public selon le film diffusé. « C’est très dur de mentir sur l’appréciation d’un film, car tout se sait rapidement », déclare Sylvain Bethenod. Aujourd’hui, plus besoin d’attendre l’avis d’un·e expert·e pour se forger une opinion sur un film. Un simple tweet et le tour est joué : l’avis de chacun·e peut faire le tour de la toile en quelques minutes. Les distributeurs n’ont donc plus toutes les cartes en main. Tout se joue en amont. Le PDG de Vertigo confirme : « Il vaut mieux avoir un film qui donne envie sur les réseaux sociaux, et qui finalement ne plaît pas, qu’avoir un film qui ne donne pas envie mais qui plaît. » Damien Golla indique quant à lui qu’il faut « adapter son mode de communication pour pouvoir répondre aux exigences et aux opportunités que génèrent effectivement les réseaux. »
Des conséquences difficilement quantifiables
En réalité, « il est compliqué, voire quasiment impossible, de définir si les gens se sont plus déplacés en salle pour voir des films d’Anderson suite à la tendance », nuance Mylène Frogé, spécialiste de l’utilisation du numérique chez les plus jeunes. « Si on se fie aux chiffres des entrées, on peut cependant observer qu’Asteroïd City a fait bien moins d’entrées que ses précédents films », renchérit-elle.
Pour rendre compte de qui se rend réellement au cinéma, il existe différentes méthodes. « Chaque semaine, on arrive à interroger environ 2 000 personnes qui sont allées au cinéma au cours des sept derniers jours », amorce Sylvain Bethenod. « On leur demande ce qu’elles sont allées voir, dans quelles salles de cinéma et comment elles en avaient entendu parler », enchaîne-t-il. Le pouvoir qu’ont les réseaux sociaux pour attirer du public au cinéma reste néanmoins incertain. « C’est difficile à analyser », concède ainsi Damien Golla.
Malgré la place de plus en plus importante qu’occupent les plateformes dans la distribution, les moyens traditionnels de communication restent toujours de mise. En ligne de mire : le bouche à oreille. « S’il n’y a pas assez de bouches pour faire la promotion du film, il n’y aura pas d’oreille », témoigne Sylvain Bethenod. Rien de mieux, donc, que le contact humain pour aider à faire vivre les films en salle.
Léa HOUËL et Eléna RONEY
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