Cette année, Wes Anderson, au style classe et excentrique est l’invité d’honneur du festival Lumière. L’Ecornifleur vous propose de le découvrir à travers son intérêt pour la famille, celle que l’on ne choisit pas et celle que l’on se choisit.
Années 70 à Houston au Texas. Un jeune garçon, fan de Star Wars et de Hitchcock, emprunte régulièrement la caméra Super 8 de son père, en recrutant ses deux frères et ses voisins pour jouer dans ses films. Lorsqu’il a huit ans, ses parents divorcent, forgeant sans doute ce qui deviendra une trentaine d’années plus tard le thème le plus représentatif de sa cinématographie. La famille, dysfonctionnelle surtout… mais aussi, la famille qu’on se choisit.
Le cinéma est présent dès l’enfance de Wes Anderson, pourtant il ne s’oriente ni vers le cinéma, ni vers l’écriture (sa première ambition) pour les études. Il entre à l’université pour une licence en philosophie. C’est en cours d’écriture dramatique qu’il rencontre un membre de sa nouvelle famille, Owen Wilson, étudiant en anglais dans le même département, en 1989. De colocs à la fac, ils deviennent rapidement collaborateurs de cinéma. En naît un premier court puis long métrage, Bottle Rocket, au début des années 1990. Le film raconte les péripéties d’Anthony et de Dignan, dont le premier est en hôpital psychiatrique. Dignan le fait échapper, alors qu’Anthony y séjournait librement. Ensuite, les deux amis s’essayent au casse et à une carrière de voleurs, mais les acteurs n’ayant pas le look de bad boys, le film devient plutôt comique. Les traits du cinéma « à la Wes Anderson » s’ouvrent déjà. Les personnages sont des adultes qui se comportent comme des enfants. Ils ont très peu de liens avec leurs familles, mais se constituent une famille entre eux, par leur amitié.
Wes Anderson sur le tournage du film “A bord du Darjeeling Limited” @20th century Fox
« Il aime cette ambiance familiale »
Dès son deuxième film, Rushmore (1998), Wes Anderson forme une équipe. Il obtient que Bill Murray joue dans son film, ayant écrit le scénario en pensant à lui. Depuis, l’acteur a joué dans tous les films du réalisateur, sauf le dernier, Asteroid City. Jason Schwartzman, également, a joué dans sept de ses films. Des équipes de sons, de scénaristes, de montage ne quitteront plus non plus Wes Anderson, comme Randall Poster, pour la musique, et bien sûr Owen Wilson. Pour Jason Schwartzman, « Wes a souvent travaillé avec les mêmes personnes, je pense qu’il aime cette ambiance familiale. Il prend aussi beaucoup de plaisir à faire ses films, il veut en profiter avec les personnes qu’il apprécie ». Aujourd’hui réalisateur de onze longs-métrages, reconnu notamment en Europe, il a peut-être enfin conquis sa quête ; celle de se former une famille.
Même sa « vraie » famille est proche de lui lors de ses films. Son frère cadet, Eric Anderson est illustrateur et aide Wes pour quatre de ses premiers films. Sa femme, Juman Malouf, a croqué les personnages de The Grand Budapest Hotel, désigné les livres de Moonrise Kingdom et même prêté sa voix à un personnage de Fantastic Mr. Fox. Elle est autrice, illustratrice et costumière, entre autres. Wes Anderson et elle sont en couple depuis plus de 15 ans, et sont parents depuis près de 7 ans.
« Il reste estampillé indépendant, réal qui trouve des financements mais sans les moyens des grands studios »
L’avantage de pouvoir garder son équipe, sa famille, c’est celui qu’à le réalisateur en restant indépendant. Sans formation de cinéma, ni de producteur attaché, il reste libre dans sa création et peut collaborer avec qui il veut. Cependant, ses films sont donc autofinancés. Julie Assouly, maître de conférences notamment spécialiste de l’histoire du cinéma étatsunien développe l’autonomie avec laquelle Wes Anderson a commencé le cinéma : « Il a fait de la publicité pour financer ses films, jusqu’à The Grand Budapest Hotel. […] Il y a eu des hauts et des bas sur le financement. Son dernier film est sur Netflix, pas dans les salles directement. Il reste estampillé indépendant, réal qui trouve des financements mais sans les moyens donnés par les grands studios. »
C’est donc, avec plus d’argent, pour son troisième (La Famille Tenenbaum, 2001) et quatrième film (La Vie Aquatique, 2004) que Wes Anderson peut enfin plus se lâcher, voire expérimenter. Même si ses thèmes et sa patte étaient présents sur les films précédents, c’est aussi là qu’il trouve un style, le style « andersonien ».
Un style et des thèmes andersoniens
Le thème de la famille est devenu une caractéristique du style andersonien, notamment avec La Famille Tenenbaum. Anderson a une obsession pour les rapports familiaux dysfonctionnels, les parents encore enfants, les enfants débrouillards et qui se trouvent une nouvelle famille, par l’amour, l’amitié, le voyage. Dans Moonrise Kingdom (2012), cela transparaît par les aventures de Sam, orphelin, et de Suzy, deux enfants amoureux qui cherchent à s’échapper de leur quotidien. Montrant la dichotomie entre la débrouillardise des enfants, qui réussissent à survivre, et les adultes, qui n’arrivent pas à les rattraper, ce film montre aussi que la famille n’est pas forcément celle du sang. C’est ce qu’en dit Sam, à Suzy « J’ai l’impression d’être dans une vraie famille maintenant ». Julie Assouly parle du « coming of age » dans les films d’Anderson, l’atteinte d’une certaine maturité, l’aboutissement d’une quête qui permet aux personnages de grandir. Le voyage peut être une de ces quêtes, comme le montre A bord du Darjeeling Limited, de 2007, où trois frères voyagent en Inde pour renouer des liens, après ne pas s’être revu depuis la mort de leur père.
Cadre précis et couleurs pastels, la marque de fabrique de Wes Anderson. Ici dans son dernier long-métrage, Asteroid City, sorti en 2023. @Asteroid City – POP. 87 PRODUCTIONS FOCUS FEATURES
Wes Anderson, c’est aussi et surtout une esthétique épurée et bien rodée, aux couleurs ocres et pastels. Ce sont des décors et des costumes farfelus, excentriques mais assumés, comme ceux des gérants du Grand Budapest Hotel. Le réalisateur utilise même de la symétrie dans ses plans, cassant les codes de ce que l’on attend au cinéma. Son style s’apparente au théâtre ; entouré d’une troupe, il fractionne ses films en plusieurs scènes alimentées de décors (parfois en effet carton-pâte, amenés sur l’estrade pour une scène précise) et des costumes. Pour lui, chaque film est un monde : il faut que ce monde soit cohérent dans son esthétique, que les acteurs y soient convaincus, que chaque plan y raconte un moment de vie. Chaque plan est d’ailleurs mesuré et répété avec détail jusqu’à ce qu’il convienne à Wes Anderson. C’est ce qu’expliquait Bryan Cranston, à l’occasion de la sortie du dernier film du réalisateur, Asteroid City. « Il ne se contente pas d’un ‘je pense qu’on l’a’ ou d’un ‘c’était plutôt bien’, ce n’est pas dans son vocabulaire. Il faut continuer de travailler pour atteindre ce qu’il vise ».
Le tournant de The Grand Budapest Hotel
The Grand Budapest Hotel. C’est l’apogée du style andersonien, et le film qui marque une rupture dans sa carrière par le succès que le film entraine. Désormais entouré d’une famille cinématographique, aguerri sur son style, Wes Anderson sort ce qui sera son plus gros succès au box-office, The Grand Budapest Hotel, en 2014. C’est dans l’entre-deux-guerres, dans ce pays imaginaire, avec les acteurs phares de Wes Anderson, que se joue son cinéma. Couleurs pastel, personnages enfermés dans des cadres (de cinéma et de vie), relations interpersonnelles, la recette andersonienne.
Exemple de plan “à la Wes Anderson”, The Grand Budapest Hotel @The Grand Budapest Hotel – 20th century fox copyright all rights reserved
Entre temps, le réalisateur s’essaye à deux reprises au cinéma d’animation, en stop motion. L’une pour adapter le roman de Roald Dahl (dont il est fan depuis petit), Fantastic Mr. Fox, en 2009, l’autre pour mettre en scène des chiens bannis sur une île, dans un futur dystopique, dans L’île aux chiens, en 2018. Le premier est un succès critique, reconnaissant notamment le talent des animateurs, choisis par Wes Anderson. Cependant, le deuxième film est parfois critiqué pour son scénario, un élément récurrent chez le réalisateur.
Cinéma de bulle mélancolique
Décrit par l’historien du cinéma Jean-Baptiste Thoret comme ayant pour style du « burlesque contemporain, plutôt dépressif, un peu mélancolique ». Wes Anderson a la nécessité de trouver « une bande, devant [ses personnages] ou derrière [son équipe] la caméra ». Selon l’historien, il utilise le « cinéma de la bulle, qui enferme les personnages dans les cadres ». Wes Anderson revendique que c’est le personnage qui fait l’histoire, non pas l’inverse.
Mais son style signature lui vaut aussi des critiques. Le très attendu L’île aux chiens a déçu par sa structure narrative simple. La plupart de ses films montre des groupes qui après de nombreuses aventures, parfois terribles, se rassemblent dans un happy ending. De même, ses deux derniers films, The French Dispatch (2021) et Asteroid City (2023), typiques de son cinéma, ont pu laisser un manque aux spectateurs. Le beau suffit-il ? Wes Anderson aurait-il fait le tour de sa cinématographie ? Sur les réseaux sociaux, il devient célèbre par son style, et est même l’objet d’une trend sur sa colorimétrie et sa symétrie de plans. À l’aune d’une nouvelle série de quatre courts-métrages que propose Wes Anderson, c’est donc cette question qui habite la plupart des cinéphiles : un nouveau film à la sauce Anderson ou « enfin » une expérimentation d’autre chose ?
Cette année, après plusieurs trophées remportés au cours de sa carrière, c’est Lyon qui l’acclame. Il est l’invité d’honneur du Festival Lumière 2023. L’opportunité pour le réalisateur d’approfondir son intérêt pour la France, lui qui y réside, et d’assister à un festival familial et exigeant, à son image. Il a aussi l’occasion d’y présenter le premier de ses quatre courts-métrages, La merveilleuse histoire de Henry Sugar, basé sur un recueil de nouvelles de Roald Dahl. Une autre manière de se réconcilier avec son enfance.
- La merveilleuse histoire de Henry Sugar et trois autres court-métrages de Wes Anderson sont disponibles sur Netflix
- Une soirée avec Wes Anderson : lundi 16 octobre 2023, 19h30. Auditorium de Lyon. Rencontre avec Wes Anderson et projection de La merveilleuse histoire de Henry Sugar (40 min) et The Grand Budapest Hotel (1h40).
Judith Dargère
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