Bilans carbones obligatoires, labels, primes à l’éco-production… L’écologie s’impose désormais comme un enjeu financier dans le cinéma. L’Écornifleur vous aide à comprendre cette tendance écolo… qui fait l’affaire de certains.

Aux côtés de la Palme d’or et du Prix du jury, un petit nouveau a fait son entrée au Festival de Cannes : le Prix Ecoprod. Chaque année depuis quatre ans, il est décerné au long-métrage le plus éco-responsable. Parmi les derniers lauréats : Acide de Just Philippot en 2023 ou encore Le Roman de Jim d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu ex aequo avec Maria de Jessica Palud en 2024.
« La remise de ce prix n’a pas beaucoup de visibilité », remarque Mathieu Thill, éco-référent et membre du jury du Prix Ecoprod 2025. Ce n’est certes pas la star de la Croisette, mais l’écologie fait son chemin sur le tapis rouge. Le maître mot : l’éco-production, ou « comment repenser la création en prenant en compte les enjeux climatiques », selon l’éco-référent.
Il faut dire qu’en matière d’écologie, le cinéma n’est pas le premier de la classe. En France, l’empreinte carbone d’un long-métrage s’élève en moyenne à 750 tonnes d’équivalent CO2 d’après le think tank, The Shift Project, soit l’équivalent de 364 allers-retours Paris-New York en avion (par passager) selon le simulateur de l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie).
Dans l’histoire du cinéma, les tournages ont souvent été des espaces de créativité sans limite, loin de toute préoccupation environnementale. « Sur un de mes premiers tournages, en 2003, j’étais encore régisseur stagiaire, on a monté 300 arbres en hélicoptère en haut d’un glacier », raconte Mathieu Delahousse. Il ajoute : « C’était trop cher de descendre les arbres, donc on a fait cramer les 300 arbres en haut du glacier. » Un tel constat l’amène à cofonder Flying Secoya en 2018, une société de conseil spécialisée dans l’éco-production. Sur le site de la société, l’accroche est la suivante : « Chaque euro investi dans une production de contenu doit créer un rendement positif, mesurable et durable. »
Près de deux décennies plus tard, le développement de l’éco-production rend probablement impossible ce genre d’aberration écologique. Et ce, grâce à la création de l’association Ecoprod en 2009, soutenue par de grands groupes audiovisuels (Canal+, France TV, TF1…). Elle a posé les bases de l’éco-production en développant des outils, mis gratuitement au service des acteurs du cinéma, et en développant le label Ecoprod, attribué aux productions qui remplissent des critères d’éco-responsabilité (empreinte carbone, gestion des déchets, mobilités…). C’est de ce label qu’est né le prix cannois.
D’importantes sommes à la clé…
Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), financeur public du cinéma en France, se met lui aussi au vert. Depuis 2021, ses aides financières sont délivrées à condition de rendre un bilan carbone prévisionnel et définitif. Dossier 137 de Dominik Moll, présenté en avant-première au Festival Lumière 2025, Le Procès Goldman (2023) de Cédric Kahn, ou encore L’Intérêt d’Adam (2025) de Laura Wandel sont tous de bons élèves en la matière.
À côté de cette obligation, l’apparition de primes crée une vraie course à l’écologie dans le cinéma. Le CNC a annoncé une aide de 28 000 euros, la prime « RSE+ », attribuée automatiquement aux « productions responsables » depuis septembre 2025.
Le label Ecoprod a lui aussi son volet financier grâce à un partenariat avec Cofiloisirs, une filiale de BNP Paribas finançant des projets de cinéma. Les cinq œuvres financées ayant obtenu les meilleurs scores du label Ecoprod pourront gagner une prime de 20 000 euros à partir de début 2026. Pour Mathieu Thill, « c’est très incitatif, surtout en ce moment, les productions ont de moins en moins de budget ».
L’éco-production est devenue incontournable, y compris à l’international avec la mise en place de réseaux de coopération. « Je crois qu’on est pas loin de 180 structures à travers le monde à prendre part à des groupes de travail », témoigne Mathieu Delahousse. En France, des dizaines de professionnels du cinéma se sont formés au métier d’éco-référent. Ils accompagnent les productions, directement sur le terrain, en proposant des solutions pour réduire leur impact environnemental. Par exemple, sur le film, Le Roman de Jim (2024), pour lequel Mathieu Thill était éco-référent, il a mis en place une politique de réduction des déchets, en bannissant les bouteilles plastiques du tournage, en achetant les produits alimentaires localement et en vrac et en proposant des repas végétariens.
« La start-up nation s’est emparé de la question »
En parallèle de cette démarche ancrée sur le terrain, un autre modèle s’est développé: celui des sociétés de conseils, faisant de l’éco-production la base même de leur business. « Ce n’est pas facile d’exercer le métier d’éco-référent, d’autant plus que la start-up nation s’est emparée de la question. Ils font du marketing et travaillent leur exposition, ils ont une force d’entreprise qu’on n’a pas », déplore Mathieu Thill. Par « start up nation », l’éco-référent désigne les sociétés de conseil telles que Flying Secoya, A Better Prod ou encore Greenly (qui n’intervient pas uniquement dans le secteur du cinéma). Celles-ci proposent des formules d’accompagnement en ligne et des formations à destination des équipes de production. C’est le cas de Flying Secoya, créée en 2018, qui dispose d’une plateforme en ligne (Seco2), ou encore A Better Prod, créée en 2022, qui a créé une application.
Sur le site Prime RSE+ de Flying Secoya, on peut lire: « Avec Flying Secoya, vous obtiendrez à coup sûr votre prime RSE. Découvrez notre accompagnement complet vers la production responsable. » Le prix de ces formules ? Comptez 89 € pour un simple bilan carbone sur la plateforme et jusqu’à 6128 € pour une formule all inclusive et un accompagnement personnalisé.
« Avoir quelqu’un chargé de l’éco-production à plein temps, c’est un salaire à fournir, il n’y a pas forcément les budgets. Avec Flying Secoya, t’auras pas quelqu’un sur le terrain, t’auras un consultant, mais ça coûte potentiellement moins cher », témoigne Crystèle Vermorel, régisseuse formée à l’éco-production. Mathieu Thill, lui, explique être payé 1000 € brut par semaine pour un accompagnement sur le terrain. En se rendant sur place, il assiste en direct les équipes en faisant des suggestions. « L’environnement c’est une toile de fond, l’humain est au centre de tout. »
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En quelques années, la stratégie de Flying Secoya est devenue, elle, principalement virtuelle : « On ne va plus sur le terrain parce que c’est trop cher en temps humain. […] Il vaut mieux former directement les gens de l’équipe de production », explique son cofondateur, Mathieu Delahousse. Son but : « planter des petites graines » dans l’esprit des équipes de production en faisant d’abord appel à leurs intérêts stratégiques et financiers. Il ne cache pas la dimension marketing de sa société : « Nous sommes des gens de business qui parlons à des gens de business. » En 2023, Flying Secoya réalise un bénéfice de 73 748 €, pas loin derrière celui de A Better Prod atteignant 77 462 €.
« Nous sommes des gens de business qui parlons à des gens de business »
Une nouvelle manière de faire du cinéma
Société de conseil ou éco-référent sur le terrain, les données de l’association Ecoprod montrent des résultats similaires. Lorsque les productions externalisent des services à des sociétés de conseil comme Flying Secoya, le score moyen obtenu pour le label Ecoprod est de 71 %, alors qu’il est de 70 % lorsqu’une personne chargée de l’éco-production est déployée sur le terrain.
L’éco-production ouvre la voie à une nouvelle manière de produire les films. Le film C’est le monde à l’envers ! (2024) de Nicolas Vanier, a été accompagné par Flying Secoya. « On a réussi à produire plus d’électricité que le film n’en a consommé », raconte Mathieu Delahousse. Pour la dernière saison de la série Maigret, qui « sortira sûrement en 2026 », Mathieu Thill était éco-référent : « Il n’y a pas un seul déplacement en véhicule motorisé, Maigret marche et sort des bouches de métro. »
Au festival de Cannes 2025, le prix Ecoprod a été remis au film Jeunes mères des frères Dardenne. Son bilan carbone a été estimé à 122 tonnes d’équivalent CO2, un résultat loin des 750 tonnes émises en moyenne par les films français.
