Il n’y avait pas que des fous de cinéma au Festival Lumière cette année. Non passionnée de cinéma depuis toujours, je me suis lancé le défi de vivre l’évènement à fond en regardant au moins une projection par jour. Une semaine de comédies, films anciens et autres grands classiques m’a-t-elle fait changer d’avis ? Retour d’expérience et verdict.

Thierry Frémeaux, directeur de l’Institut Lumière, présente Le Sud de Fernando Solanas. Pathé Bellecour, 13/10/2021, © Marion Torquebiau

« Je réalise que je suis ici, là où les Frères Lumière ont fait naître le cinéma. Je suis touchée de voir qu’ici vous aimez le cinéma comme je l’aime », a déclaré la réalisatrice Jane Campion face à un public lyonnais conquis, au moment de la remise du prix Lumière le 15 octobre. Justement, Jane, je ne suis pas sûre d’aimer le cinéma comme tu l’aimes. On ne peut pas dire que je sois une grande fan du 7e art. Je n’ai jamais vraiment compris ce consensus autour du cinéma.

Les « on se fait un cinoche ? », « il faut absolument que tu ailles voir ce film, il est gé-nial ! », « quoi mais tu ne l’as pas vu ? », ne m’ont jamais vraiment donné envie de m’y intéresser. Alors bien sûr j’y suis déjà allée – souvent fortement encouragée par des proches – mais j’en suis sortie de nombreuses fois avec l’amère impression d’avoir gâché douze euros sans avoir réellement aimé le film…

Pour tenter de comprendre cette passion autour du cinéma, je me suis donc lancé le défi de jouer le jeu à fond et de passer une semaine au Festival Lumière. Une sorte de marathon du grand écran pour faire l’expérience du 7e art et enfin comprendre ce qui anime les passionnés. Sur les conseils de mes camarades, j’ai décidé d’aller voir quelques classiques majeurs ou films d’auteurs mis à l’honneur.

Jour 1 : Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier

Mon marathon cinématographique commence donc le dimanche 10 octobre à 16 heures 30 avec un film de Bertrand Tavernier. Ancien président du Festival, le réalisateur mort cette année a particulièrement été mis à l’honneur durant cette édition. Et surprise, pour lancer le film, Raphaël Personnaz, l’acteur principal, est présent pour raconter les coulisses du tournage « où l’on se marrait tout le temps ». Les gorges se serrent à l’évocation de la mort du réalisateur.

Est également présent Antonin Baudry, diplomate français, à l’origine de la bande dessinée qui a inspiré le film. « Tavernier a su tout de suite quel angle prendre : il a observé à la fois en critiquant et en respectant l’institution ».

Après presque deux heures d’hilarité, le film semble avoir réussi son pari : rendre drôles les travers des institutions françaises.

Le plus : très bon casting et rire au rendez-vous.

Le moins : film un peu long.

Jour 2 : Les 400 coups de François Truffaut

Pour cette séance, me voilà propulsée dans une tout autre ambiance. Paris, fin des années 1950, le jeune Antoine Doinel et son ami René sèchent l’école et font Les 400 coups. François Truffaut, réalisateur et précurseur du mouvement cinématographique de la Nouvelle vague, s’est inspiré de sa propre enfance pour raconter celle de sa génération. Une plongée en noir et blanc dans la France d’après-guerre.

Le plus : un voyage dans le temps dans la France d’il y a 60 ans.

Le moins : le rythme parfois lent.

Jour 3 : Gare centrale de Youssef Chahine

Ce jour-là, c’est une séance matinale qui m’attend avec Gare centrale du réalisateur égyptien Youssef Chahine à 11h à l’UGC Confluence. Étant plutôt une grande consommatrice de comédie française, ce drame égyptien des années 1950 m’a quelque peu bousculée. Le film raconte l’histoire de Kenawi, vendeur de journaux à la gare du Caire, qui se prépare à commettre l’irréparable après un chagrin d’amour.

La musique et les dialogues nous immergent dans un autre univers, celui d’une Égypte pauvre où la femme s’émancipe peu à peu de la domination masculine à l’image d’Hanouma, personnage principal. Après une heure de projection, les lumières se rallument et une salve d’applaudissement retentit dans la salle.

Le plus : l’esthétique de l’Égypte au milieu du XXe siècle.

Le moins : le film a assez mal vieilli et ne résonne pas vraiment avec les enjeux contemporains.

Jour 4 : Le Sud de Fernando Solanas

Mercredi, c’est au tour du Sud, un film argentin réalisé en 1988 mais remastérisé pour l’occasion. Réalisateur argentin mort du covid en novembre 2020, Fernando Ezequiel Solanas a « marqué l’histoire du cinéma latinoaméricain », détaille Thierry Frémaux venu présenter le film. La courte présentation du directeur de l’Institut Lumière nous apprend que, lors de son exil en 1976, Fernando Solanas fuyant la dictature avait été recueilli par Bertrand Tavernier en France. « Je serais bien resté avec vous, bon film ! », lance Thierry Frémaux en sortant de la salle.

L’impatience est à son comble, tandis que se font entendre les premiers accords de « Vuelvo al sur » du compositeur argentin Astor Piazzolla. Le film raconte l’histoire de Floreal qui, après avoir passé cinq ans dans les geôles de la dictature argentine, erre dans les rues de Buenos Aires en se confrontant aux fantômes de son passé. On ne peut pas sortir indemne de ces deux heures de film. « Je retourne au sud comme on revient toujours à l’amour », les derniers mots de Fernando Solanas accompagnés de l’accordéon résonnent encore longtemps après la séance.

Le plus : la musique et les sonorités argentines.

Le moins : la salle pleine à craquer du Pathé Bellecour.

Jour 5 : Nos plus belles années de Sydney Pollack

Le Festival Lumière a mis à l’honneur cette année le réalisateur américain Sydney Pollack avec un film de 1973. Comme à son habitude depuis le début du Festival, la salle est comble. Je me faufile entre les sièges et réussis à me mettre sur le côté. Venu présenter la projection, le réalisateur Jean-Paul Salomé rappelle les grands films de Sydney Pollack avant de s’installer avec le public pour regarder le film.

Les premières images des rues de New-York nous plongent directement dans l’Amérique de 1945. On entend les murmures du public lorsque Robert Redford apparaît à l’écran. La musique, les décors, les costumes, tout y est pour nous faire croire à cette belle histoire d’amour entre Hubbel Gardiner, jeune étudiant, et Katie Morosky, une militante communiste. Au-delà de l’épopée romantique, se jouent en fond le contexte de la Guerre froide aux États-Unis et les débuts de la chasse aux sorcières contre les communistes.

Le plus : Robert Redford, les paysages étatsuniens et la musique.

Le moins : le contexte politique de lutte contre les communistes est finalement peu approfondi par le réalisateur.

Jour 6 : Les trois jours du condor de Sydney Pollack.

Vendredi, dernier jour du marathon, je continue sur ma lancée des grands classiques. Cette fois-ci, pas de comédie romantique mais un film d’espionnage dans l’Amérique des années 1970. On suit les aventures trépidantes de Joseph Turner, agent de la CIA, pour qui un évènement brutal va faire changer le cours de sa vie.

Tiré du livre Les six jours du condor de James Grady, le film s’inscrit dans l’imaginaire post scandale du Watergate où s’opère une « prise de conscience des travers de la démocratie américaine », détaille Jean-Paul Salomé.

Le plus : les acteurs : Faye Dunaway et toujours Robert Redford.

Le moins : l’intrigue un peu compliquée à suivre.

Bilan d’une semaine dans les salles obscures

Six jours, six films, autant vous dire que c’est le nombre de films que je vois en dix ans. Mais après une semaine, on peut dire que le bilan est globalement très positif. Malgré un rythme effréné, j’ai découvert des films que je n’aurais sûrement jamais vus en dehors du festival. Deux projections me restent notamment en tête, je recommanderais sûrement Le Sud de Fernando Solanas et Nos plus belles années de Sydney Pollack.

Au-delà de la qualité des films, j’ai été agréablement surprise par l’organisation et l’ambiance du festival. L’accueil des bénévoles, la complicité entre le public et les personnalités venues présenter le film, les applaudissements nourris lorsque les notes du piano du générique résonnent, intègrent rapidement au monde des passionnés du 7e art. L’évènement parvient à remplir sa mission : faire du cinéma un moment privilégié tout en restant accessible aux Lyonnais. Payer sept euros sa séance est toujours moins rageant que d’en dépenser douze si l’on n’aime que moyennement un film.

On peut dire que je me suis réconciliée avec les séances de cinéma. L’abonnement annuel au Gaumont Pathé n’est pas encore à l’ordre du jour, mais je ne refuserai pas systématiquement une sortie ciné entre amis. Quant au festival, j’y retournerai sûrement si l’occasion se présente pour me replonger dans l’ambiance et sortir pour quelques heures de mon quotidien.