À l’occasion d’une soirée spéciale dimanche 10 octobre, le monde du cinéma rendra un dernier hommage à Bertrand Tavernier. Retour sur la vie d’un monument du grand écran français. 

Par où commencer ? Raconter la vie de Bertrand Tavernier est une immense tâche et incombe à qui s’y risque une humilité de circonstance. Le cinéaste ne peut être réduit aux métiers qu’il a exercé, à sa filmographie colossale ou encore à ses amis aux noms aussi prestigieux que Scorsese, Eastwood… Simple gamin né à Lyon, il est parvenu à incarner à lui seul plusieurs tomes de l’histoire du cinéma français. 

La passion, Bertrand 

Bertrand Tavernier naît à Lyon le 25 avril 1941. Cinq années plus tard, toute sa famille est contrainte de déménager à Paris. Ses parents le placent en pension à l’école Saint-Martin-de-France à Pontoise, dirigée par la congrégation des Oratoriens. De ces années, le bambin garde en mémoire le sadisme et l’humiliation de ses professeurs de gymnastique. Le sport : très peu pour lui. Son truc : les livres qu’ils dévorent, le jazz qu’il écoute et le cinéma qui le passionne, déjà. Tavernier s’accroche et étudie au lycée Henri IV puis le droit à la Sorbonne. Dans cette université parisienne, il y fonde le ciné-club Nickelodéon avec celui qui deviendra programmateur, Bernard Martinand, et le poète Yves Martin. Les trois amis veulent ensemble redorer le cinéma américain des années 40 et 50 et se mettent en marge des cinéastes de la Nouvelle Vague. 

Aux prémices de sa carrière Tavernier vend des piges en tant que journaliste à Télérama et devient critique. Petit à petit, il se rapproche de la pellicule et devient l’assistant du réalisateur Jean-Pierre Melville puis l’attaché de presse d’un certain Stanley Kubrick, tout en produisant des films peu connus. En 1974, il entre dans la cour des grands et parvient à tourner son premier long-métrage dans sa ville natale, « L’Horloger de Saint-Paul », son premier succès. De ce film, l’on retiendra les premières images d’une petite fille à bord d’un train regardant une voiture en flamme sur une musique de Philippe Sarde. Fille qui n’est autre que la sienne, Tiffany. 

Affiche du film « L’Horloger de Saint-Paul », premier long-métrage de B. Tavernier 1974

L’indigné des salles obscures 

Tavernier réalisateur, c’est 22 films tous aussi aboutis les uns que les autres, à la manière d’un véritable artisan. Sa matière première, il la puise partout à chaque instant. Tout est objet à cadrer, à monter. Du western au polar, rien ne l’impressionne, tout l’intéresse. Ses pairs le couronnent tout au long de sa vie. Tavernier, c’est cinq César, une nomination aux Oscars, le Prix de la mise en scène à Cannes en 1984 pour Un dimanche à la campagne, un Lion d’or à la Mostra de Venise pour l’ensemble de sa carrière et deux Prix de l’Académie française. Un monstre qui a su marquer son temps et inspirer ses successeurs. En 1993 et en 2001, il publie deux ouvrages qui feront référence dans le milieu cinématographique : 30 ans de cinéma américain et 50 ans de cinéma américain. 

Cela aurait pu suffire. Tavernier ne s’arrête pas là. On dit de lui qu’il aime manger autant qu’il aime débattre. Il n’est pas homme à se taire et use de sa notoriété pour s’engager dans des causes qui le touchent. Héritage paternel assurément : son père René résista durant la Seconde Guerre mondiale en publiant au sein de sa revue Confluences des poèmes d’Éluard et d’Aragon, qu’il abrite avec Elsa Triolet. Nourri de cette grandeur d’âme, Bertrand Tavernier dénonce la torture pendant la guerre d’Algérie, défend la légalisation des sans-papiers et fait de la lutte contre le Front National l’une de ses épopées. Encarté nulle part, à gauche jusqu’à la moelle, Tavernier était la grande gueule du cinéma français dont il était le conservateur en chef depuis 1982. 

Tavernier, mémoire du cinéma mondial

À 41 ans, Bertrand Tavernier fonde l’Institut Lumière en lieu et place où le premier Cinématographe des frangins Lumière a été conçu, au cœur de Monplaisir à Lyon. Son rôle n’est autre que de conserver tout le patrimoine cinématographique mondial, désormais classé au registre mémoire du monde de l’Unesco. En 2009 Tavernier et son ami Thierry Frémaux organisent la première édition du festival Lumière où le Prix du même nom reconnaît une contribution exceptionnelle à l’histoire du cinéma, l’équivalent d’un Nobel. Cette année c’est la néo-zélandaise Jane Campion qui recevra la distinction lors de la 13ème édition, marquée par l’absence de son fondateur disparu en mars dernier.

trand Tavernier était le fondateur et le président de l’Institut Lumière à Lyon © DR

Dimanche 10 octobre, une soirée hommage lui sera rendue à l’auditorium de Lyon. Quelques-uns de ses films seront projetés dont L’Horloger de Saint-Paul, L’Appât, La Princesse de Montpensier et Quai d’Orsay, en compagnie de ses plus fidèles actrices et acteurs. À l’annonce de sa mort, son ami Thierry Frémaux qui animera cette soirée s’était déjà exprimé par voie de communiqué « C’est un géant qui est parti, un grand chêne qui s’est envolé vers le ciel ».