« Sous les radars (2/12) ». Cachés ou invisibles, souterrains ou aux-dessus de nos têtes, L’Écornifleur s’est rendu dans des lieux qui échappent aux regards. Dans son atelier partagé du 3ᵉ arrondissement de Lyon, Spirale imagine une œuvre avant de la coller discrètement dans les rues, une fois la nuit tombée. Entre techniques de créations et contraintes économiques, l’artiste met en lumière les faces cachées du métier.

Les derniers instants de préparation avant de partir coller dans la rue. Photo Clémence Boissier

Spirale, Tang, Mani et Les gants noirs sont quatre artistes lyonnais. C’est au 26 de la rue Baraban, dans le 3ème arrondissement de Lyon, que se trouve leur atelier. Toiles, palettes en bois, pinceaux, pots de peintures sont exposés sur l’intégralité des étagères. Tableaux, sculptures et objets customisés se côtoient sur les murs de l’atelier.

Sous son sweat à capuche gris recouvert d’éclats de peinture, Spirale – un nom d’artiste qu’il a choisi il y a 26 ans, à seulement 10 ans – s’aventure à l’étage de l’atelier, dans la pièce qui lui est réservée. Il est 18 heures. L’artiste se pose devant son bureau, lui aussi marqué par des tâches de peinture : l’heure de la création a sonné. Cela fait maintenant six ans que Spirale s’est réinventé : en 2018, il décide de quitter son poste de monteur-lunetier et de satisfaire son besoin « de retourner dans la rue pour coller »

Le jeudi 12 décembre, l’atelier a ouvert ses portes au public pour un moment d’échanges. Photo Clémence Boissier

« On est obligés de multiplier les activités pour pouvoir vivre en tant qu’artiste »

Seulement au long terme, vivre uniquement du street art, « c’est impossible ». Dès qu’il devient plus qu’un loisir, la nécessité de diversifier ses activités devient rapidement inévitable « pour payer son loyer à la fin du mois ». Sur ses genoux, il tient sa prochaine œuvre : une tête de mort orange dont il dessine les contours à l’aide d’un feutre marron. « Pour voir ce que vaut ton art, il faut passer par des festivals, des expositions ou des ventes aux enchères. Il faut sortir un peu de la rue et vendre », raconte-t-il en restant minutieux dans ses gestes. Selon le support utilisé, d’un cadre classique à une planche de surf, la valeur de ses œuvres varient de 60 à 800 euros pour certaines. À Lyon, il a participé au festival AiRT de famille et au Peinture Fraiche Festival.

« Plus on a de place, plus on s’étale », confie l’artiste. Photo Clémence Boissier

La vie en collectif représente un soutien précieux. « Travailler dans des ateliers t’apporte des conseils techniques, artistiques et des astuces pour trouver les fournitures les plus abordables », explique-t-il. Les quatre locataires se sont rencontrés quelques années plus tôt. Ils travaillaient dans un atelier réunissant 47 artistes dans un fort de la Croix-Rousse, un quartier qu’il a fini par quitter tant il était « vu et revu pour le street-art ». Aujourd’hui, ils partagent le 26 rue Baraban cinq jours par semaine.

La musique peine à couvrir le grincement du feutre glissant sur le carton plume, son support de prédilection. « Je dévoile tous mes secrets de création ce soir », sourit-il. Facile à découper au scalpel, le carton plume s’adapte à toutes les formes. Pour créer, peinture acrylique, bombes en spray, Posca, feutre, stylo. Tout y passe, sauf la peinture à l’huile. Mais pour travailler dans la rue, l’élément clé est le tube de colle Cléopâtre. Toujours à portée de mains, elle est la promesse d’une œuvre qui reste dans le temps.

La future habitante de la rue Aubigny, dans le 3ème arrondissement. Photo Clémence Boissier

« Il faut être discret, on ne voit pas qui arrive derrière nous »

Quelques minutes de sèche-cheveux suffisent pour fixer les contours peints de l’œuvre. « Si le street art à tendance à être de plus en plus toléré, je me fais quand même engueuler », confesse-t-il. Souvent, des habitants crient depuis leur fenêtre ou menacent d’appeler la police. Loin des regards curieux, Spirale se rend certaines fois à l’extérieur de la ville pour réaliser des fresques dans des lieux abandonnés.

L’œuvre dans une main, une échelle dans l’autre : il est maintenant l’heure de partir à la recherche du meilleur spot, celui qui sera à la fois visible de tous et accessible au collage. Alors qu’il descend les escaliers, Spirale prévient Tang : « Je pars coller ! ». « T’es un vandale toi. Appelle-moi si tu finis en garde à vue ! », ironise le second.

Prendre un peu de hauteur. Photo Clémence Boissier

La nuit est tombée. « Ici c’est stylé, le mur est trop bien, mais c’est juste à côté du feu rouge, on ne va pas le tenter ». Les voitures sont trop nombreuses à s’arrêter pour risquer d’être démasqué. L’échelle est dépliée jusqu’au dernier cran. À même le sol, le premier objectif est d’étaler la colle au dos de l’œuvre en jetant un œil par-dessus l’épaule pour faire le guet. Quelques intrigués passent par là. Une joggeuse ralentit le pas. Une vieille dame, qui traine son caddie derrière elle, espionne les gestes de l’artiste. Prochaines étapes : grimper sur l’échelle, choisir l’emplacement et laisser agir la colle. Une opération à répéter à trois reprises : pour la tête de mort, sa couronne et la bulle signature.

Quelques minutes après le départ de l’artiste, un vieil homme, les deux mains derrière le dos, semble pensif : « J’ai l’impression qu’elle se moque de moi cette couronne, non ? », rit-il.

C’est en levant la tête le long de la rue d’Aubigny que vous pourrez l’observer. Photo Clémence Boissier