Des T-rex, des tricératops, des diplodocus… pour le premier Jurassic Park sorti en 1993, les équipes du film ont réalisés des marionnettes plus vraies que nature. À tel point que ces dino-acteurs ont marqué l’histoire du septième art. À Lyon et ailleurs, l’Ecornifleur a retrouvé leur trace et sondé leurs perspectives d’avenir.
« J’ai beau l’avoir regardée des dizaines de fois, je suis toujours comme un gamin devant la scène de chasse des vélociraptors ». Dan Ohlman, ébéniste et passionné de cinéma, a fondé en 2005 le célèbre musée lyonnais Miniature et Cinéma. S’il est aussi admiratif devant Jurassic Park (1993), c’est avant tout pour le travail de Stan Winston, capable de vous faire frissonner d’effroi face à un T-rex qui est en réalité… une grande marionnette.
Pour la saga reptilienne, le spécialiste américain des effets spéciaux animatroniques a réalisé des dizaines de dinosaures en latex et plastiline. Certains comme les vélociraptors étaient dotés d’articulation mécaniques fluidifiant leurs mouvements, tandis que d’autres, tels que le tricératops malade, étaient animés à la main par quelques personnes cachées sous leurs écailles.
Si vous avez eu la chance de les admirer lors de la Nuit Jurassic Park proposée par le Festival Lumière, vous vous demandez sans doute ce que sont devenues toutes ces créatures. En réalité, il s’agit d’autant d’objets de tournage qui n’ont pas été conçus pour survivre des millénaires durant. Comme l’explique Dan Ohlman, les matériaux qui les composent devaient tenir environ huit ans. Au-delà, les rois des lézards ont commencé à se désagréger et à perdre de leur superbe.
Des stars en retraite anticipée
Avec cette durée de vie très limitée, les dino-acteurs ont donc connu des carrières aussi intenses que fulgurantes. Mais malheureusement tous n’ont pas eu le droit à la même retraite. Certains décors, maquettes et marionnettes ont envahi les salles d’enchères. En 2014, il était par exemple possible de s’acheter l’un des célèbres vélociraptors idéalement livré dans sa cage. Ces objets de collections étaient alors cédés pour plusieurs dizaines de milliers d’euros. Aujourd’hui encore, certaines pièces de collection peuvent être retrouvées sur différents sites de vente en ligne.
Ecorchées, tombant en lambeaux, à des années lumières de leur état de forme de jeunes dinos… quelques années après les tournages, d’autres stars semblaient bien incapables de candidater à ces retraites dorées. C’était le cas du tricératops apparaissant malade dans le tout premier Jurassic Park. « Son corps tout entier était désagrégé, alors les studios Universal nous ont proposé de récupérer sa tête dont il manquait aussi tout le bas-joue et la langue », explique Dan Ohlman. Depuis 2005 son atelier recueille les gueules cassées du septième art léguées par des studios du monde entier.
« Nous avons mené un long travail de restauration qui a permis de lui redonner sa splendeur d’antan ». C’est avec passion que Dan Ohlman explique comment lui et son équipe ont travaillé d’arrache-pied pour ce tricératops. Ce retour à la vie a notamment été rendu possible par l’utilisation d’une silicone liquide développée exclusivement pour les usages du musée par la société industrielle Bluestar Silicones. Cette technique a permis de reconstruire toutes les parties manquantes de la tête et d’en faire l’une des pièces maîtresses de l’exposition.
Une nouvelle extinction sur les plateaux ?
Ces dinosaures ont-ils ouvert la voie à une nouvelle génération de dino-acteurs ? Dans les années 1990, le modèle hydride de Jurassic Park mélangeant effets numériques et mécaniques présentait de nombreux avantages. Par l’utilisation de certains matériaux très malléables tels que le latex, il permettait de créer des créatures plus vraies que nature ensuite incrustées sur fond vert. Les quelques imperfections étaient donc corrigées sur des logiciels de post-production. « C’était bien plus réaliste que les effets tout numériques de l’époque qui étaient encore très souvent bancals », juge Dan Ohlman.
Mais les années 2010 ont été celles d’une catastrophe fulgurante pour les dino-acteurs et autres stars mécaniques. Véritable météorite dans le monde des effets visuels, la sortie d’Avatar (2009) de James Cameron a marqué le début d’un nouveau cinéma. « C’est un film composé de 70 % d’images de synthèse pour 30 % de prises de vue réelles […] Cameron dirigeait ses acteurs dans un monde totalement virtuel sans décor concret », explique le scénariste Pascal Pinteau dans son livre Effets spéciaux, 2 siècles d’histoires.
Peu à peu, les maquettes et les effets mécaniques ont été dépassés par cette nouvelle vague. Trop volumineux, trop contraignants et trop coûteux par rapport à des outils permettant de tout corriger et modifier sans avoir à reconstruire un nouveau décor. Avec 2012 de Roland Emmerich (2009), même les films catastrophes ont emprunté le chemin du tout numérique. Dépassés, les dino-acteurs semblaient alors condamnés à un exil digne des stars déchues, courant les ventes aux enchères et les expositions, mais ne remettant plus les pattes sur les plateaux de tournage.
« Créer de l’existence là où il n’y en a pas »
Pourtant, la parenthèse fut de courte durée. C’est à nouveau une avancée technique qui a remis les artisans maquettistes et marionnettistes sur le devant de la scène. Dès 2012, quelques films ont eu recours à des imprimantes 3D pour construire de toute pièce leurs décors. Dan Ohlman y voit de nombreux avantages : « C’est beaucoup moins coûteux et chronophage que les outils traditionnels. Une fois le décor dessiné, on appuie sur un bouton et on laisse l’imprimante tourner une nuit pour avoir un résultat incroyable ».
Finalement, le mélange d’effets numériques et mécaniques s’est progressivement refait un nom dans le milieu qui l’avait vu naître. Et quel autre film que Jurassic World pouvait mieux porter ce retour sous le feu des projecteurs ? Sorti en 2015, la résurrection de la saga a bénéficié du travail du designer Martin Rezard, rendu célèbre par ses créations pour les derniers Star Wars ou encore la série Game of Thrones. C’est lui qui a dessiné et sculpté le vélociraptor espiègle « Blue » qui, comme pour les premiers opus, a ensuite été complété numériquement.
« Ce cinéma tout numérique ne pouvait pas tenir tout simplement parce que les réalisateurs sont de grands enfants, ils font aussi ce travail pour pouvoir se balader et filmer dans un Manhattan miniaturisé », estime Dan Ohlman, convaincu que l’extinction des dinosaures n’est pas pour tout de suite. D’après lui, les effets visuels des Jurassic World sont de véritables réussites puisqu’ils « créent de l’existence là où il n’y en a pas ». Alors tant que l’illusion des rugissements continuera de faire frémir les spectateurs, les dino-acteurs auront vraisemblablement un bel avenir devant eux.