Du scénario à la projection (11/12). À l’occasion du Festival Lumière, L’Écornifleur s’est glissé dans les coulisses du cinéma. Luc Hernandez, critique à Tribune de Lyon, revendique une manière de parler des films qui privilégie la compréhension à l’opinion.

Poignée de main ferme, regard direct, voix qui porte. Dans un studio d’enregistrement de Tribune de Lyon, Luc Hernandez enchaîne des réponses longues et bien construites. « Je vois en moyenne un film par jour », clame-t-il. « À partir du moment où on fait une critique, il faut l’avoir vu », idéalement selon lui, en avant-première, pour publier dès la sortie.

Mais pour cela, encore faut-il pouvoir les voir. « C’est beaucoup moins évident que ce qu’on pourrait croire », explique le critique qui jongle entre emploi du temps serré, absence d’accréditation, et sorties qui se télescopent. Toutes ces contraintes rendent l’accès aux films « beaucoup moins évident que ce qu’on pourrait croire »

Luc Hernandez, critique à Tribune de Lyon, dans les locaux du journal.
Photo : Collin Sctrick.

De plus, couvrir les dix à quinze nouveautés du mercredi est impossible pour un homme seul. « Même les grosses rédactions comme Télérama n’arrivent pas à couvrir tous les films. » D’où une hiérarchie assumée : « On va toujours mettre en avant notre coup de cœur. »

Autre critère d’accessibilité : la fréquence des projections presse, qui trahissent la stratégie des distributeurs : « On voit ce qu’on veut absolument nous montrer, et ce qu’on préfère nous cacher. Des films auxquels croient des distributeurs ont plus d’avant-premières que des films auxquels ils ne croient pas. » Pour Luc Hernandez, être critique, c’est donc d’abord arbitrer, puis expliquer ces arbitrages.

Dire ce qu’est un film, pas ce qu’on en pense

Pour Luc Hernandez, la critique n’est pas un billet d’opinion. Elle doit « dire de quoi il est question dans le film, et comment il le dit ». Autrement dit, évaluer ce qu’il appelle « l’expressivité » : « ce que dit un film, et comment il le dit ». Cela, précise-t-il, est déterminé par le rythme, la durée des plans, l’angle de la caméra, le travail sonore, les motifs visuels, la direction des acteurs…

Dans sa critique de Call Me by Your Name, datée du 17 novembre 2022, il parle d’une « volupté nostalgique » pour décrire la manière dont le réalisateur italien Luca Guadagnino évoque le désir comme une attente. Grâce à des plans lents, le film installe une tension feutrée où tout se joue dans les interstices.

Luc Hernandez relie cette atmosphère à l’écriture du scénariste James Ivory, « le plus coquin », qui suggère plus qu’il ne montre. Il convoque ensuite une analogie limpide – « Sur la route de Madison version gay » – pour situer le ton du film, avant de conclure sur une image devenue symbole : « Vous ne mangerez plus jamais une pêche comme avant. »

Enfin, il note comment la chanson de Sufjan Stevens, Mystery of Love, vient sceller cette émotion dans le dernier plan, prolongeant la mélancolie au-delà du cadre. Dans ce processus d’écriture, la subjectivité demeure « malgré nous », avoue-t-il, mais il faut « penser contre soi-même » pour privilégier des constats vérifiables plutôt qu’un verdict de goût.

Chez lui, tout passe par l’écriture. « J’écrivais sur mes murs quand j’étais ado. » Il l’avoue sans détour : « Lire m’emmerde un peu. J’ai toujours préféré écrire à lire. » Très tôt, cette envie d’écrire se greffe à la salle : en 1998, il lance un fanzine, La Berlue, photocopié à la Corep, agrafé à la main et vendu à la sortie des cinémas nationaux populaires (CNP) et des cinémas indépendants – un « journal de spectateurs » où chacun peut écrire, pourvu que ce soit « à peu près correctement écrit ».

À l’époque, il partage son temps entre la cabine (CAP d’opérateur projectionniste audiovisuel), l’enseignement du piano et des études de lettres et de musique jusqu’au doctorat. Pas d’école de cinéma donc, mais une cinéphilie forgée empiriquement. Le fanzine circule et le fait repérer par France 3. Puis, quand Tribune de Lyon se crée en 2005, son cofondateur, Fabrice Arfi pense à lui pour le secteur culturel.

Il explique que l’écriture organise la pensée, favorise les nuances et permet les sous-entendus : « L’écriture peut absolument tout. », résume-t-il. Ce goût prononcé pour le verbe l’a mené là où il est aujourd’hui : en contrat à durée indéterminée (un poste stable) à Tribune de Lyon, dans une profession où les places sont chères . Il lui a aussi permis d’endurer plus de 20 ans de carrière sans se lasser.

Écrire n’est pas une fin, mais un passage entre un film et un lecteur : « Moi, je n’ai pas d’autre but que de partager du cinéma quand je fais une critique, même quand j’aime pas un film. »

La critique, « un art imparfait »

La publication d’une critique ouvre des discussions avec son lectorat. Il accorde de l’importance aux retours de ses lecteurs, à condition qu’ils soient constructifs. Il y répond toujours – promet-il – et s’en sert pour s’améliorer : « La critique est vraiment un art imparfait. Moi, je ne connais pas de papier parfait. »

Les compliments visent souvent l’ensemble du travail ; les désaccords se cristallisent quand une star est égratignée. Quant aux attaques ad personam, elles passent à la trappe : « Je suis complètement indifférent aux attaques personnelles », assure-t-il.

Un jour, à l’Opéra, une spectatrice lui confie son désaccord tout en saluant son « rôle de critique ». Bien loin de toute forme de rancœur, Luc Hernandez ressent au contraire une forme de satisfaction : celle d’avoir pu créer une discussion. « Qu’on soit pas d’accord, c’est pas très grave. L’important c’est d’avoir envie de partager des œuvres ! », souligne-t-il.

Le Festival Lumière, Luc Hernandez l’envisage comme un terreau fertile pour les débats passionnés. Pas vraiment de compétition (seul le Prix Lumière est décerné, et son récipiendaire est connu à l’avance) ; donc pas d’enjeu.

Pour lui, le festival s’apparente plutôt à un forum désinvolte de cinéphiles, où l’on circule librement entre salles, œuvres et cinéastes « qu’on rencontre très facilement ». « J’avais croisé David Lynch dans la salle de l’Institut Lumière, c’est quand même sympa ! » Et puis, « Une interview de Michael Mann [cinéaste américain récipiendaire du Prix Lumière 2025, ndlr], j’en aurai peut-être pas deux ! », commente-t-il avec enthousiasme.

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Le Festival Lumière, c’est avant tout une grande fête du cinéma et de ceux qui l’aiment. « C’est énorme, il y a 450 séances. » Au milieu de cette fourmilière grouillante, Luc Hernandez y prévoit donc un travail à hauteur d’homme : chroniques à chaud, interviews opportunistes, re-visionnage de classiques… Le temps du festival, sa mission de critique se déplace donc de l’analyse vers l’échange, pendant que sa voix, elle, continue de faire parler les films… Et leurs spectateurs.

🔉 À écouter : 3 questions à Luc Hernandez

🔊 À écouter aussi : Popcornifleur, épisode 8, « Quand le cinéma se met au vert », un podcast de L’Écornifleur, disponible sur Spotify.

  • Collin Sctrick

    Journaliste qui ne trinque qu'à la grenadine, curieux, précis et un peu bavard, ma caméra me sert de troisième bras. Un peu touche-à-tout, je m'intéresse aussi bien à la politique qu'aux matchs de foot.