Imaginé pour la première fois en 1993, Jurassic Park repose sur un postulat scientifique surprenant : la découverte d’ADN de dinosaures permettrait d’en créer de toute pièce. Comment départager la science de la science-fiction ? A quelques heures de la « Nuit Jurassic » du Festival Lumière, L’Ecornifleur a enquêté auprès d’un paléontologue sur un possible retour à la vie des grands lézards turbulents.

Entrée de l’attraction Jurassic Park à Universal Studios. Los Angeles. © Piqsels.

Dans un monde parallèle, les familles en balade au parc de la Tête d’or ne viendraient pas se pencher au-dessus de l’enclos des lions ou de celui des pandas roux, mais plutôt déambuler aux côtés de stégosaures ou d’immenses diplodocus. Ce monde perdu, décrit depuis 1993 par le premier Jurassic Park, rayonne aujourd’hui bien au-delà de l’imagination de Steven Spielberg.

Mais cette réalité alternative est-elle seulement souhaitable ? Du point de vue de la souffrance animale certainement pas. Et nul besoin de le rappeler, en matière de sécurité, on a vu meilleure idée. Il existe désormais une saga de cinq films – bientôt six avec la future sortie du prochain Jurassic World – expliquant de A à Z pourquoi la création d’un zoo de Thoiry peuplé de vélociraptors menacerait très probablement l’intégrité physique des nombreux visiteurs.

Pourtant certains se prennent encore à rêver. Le dernier en date est Max Hodak, cofondateur de l’entreprise américaine Neuralink spécialisée en neurotechnologies. A l’image de son ancien collaborateur Elon Musk, Max Hodak a la fibre des grands projets mégalomanes et inutiles. Le 4 avril dernier, il écrivait sur Twitter : « Nous pourrions probablement construire Jurassic Park si nous le voulions […] peut-être que quinze années d’élevages et d’ingénierie nous permettraient de créer de nouvelles espèces de dinosaures ».

Malheureusement pour lui, l’état actuel de la recherche en paléontologie, mais aussi et surtout en génétique, contredisent les espoirs de Max. Pour l’instant, passer d’un insecte fossilisé à des tyrannosaures plus vrais que nature reste de la science-fiction. Et quand bien même cet écueil serait-il un jour surmonté, les « dinosaures artificiels » ne ressembleraient sûrement pas à ceux des Jurassic Park.

Les secrets du moustique resteront secrets

Le tout premier Jurassic Park, ses plus de six millions d’entrées en France, et ses quatre suites n’existeraient effectivement pas sans une théorie reposant sur… un simple moustique. Tout le film repose sur une scène : des scientifiques découvrent un insecte fossilisé dans de l’ambre et parviennent à en extraire du sang de dinosaures piqués de leur vivant. De là, leur ADN est reconstitué, et la boîte de Pandore est ouverte. En « complétant cet ADN avec celui de grenouilles » et en fécondant des œufs d’autruche, l’équipe recrée les animaux disparus il y a 65 millions d’années.

Un scénario crédible ? Pas vraiment d’après le paléontologue au CNRS Jean-Baptiste Steyer interrogé par l‘Écornifleur : « La conservation dans l’ambre est très bien représentée dans le film. On est vraiment dans la réalité paléontologique », explique-t-il avant d’ajouter : « En revanche, ce qui n’existe pas c’est la conservation de l’ADN des dinosaures ». Cette limite était déjà précisée en 1993.

Quelques jours avant la sortie du premier film, André Brack, chercheur en biologie moléculaire, répondait aussi à cette question : « Certains moustiques ont été contemporains des dinosaures et nous sommes capables d’en extraire de l’ADN. Mais sur plusieurs millions d’années il comporte toujours de nombreuses pages manquantes ». De plus, l’ADN ne fait pas tout, encore faut-il être capable de faire grandir l’embryon dans un environnement qui n’est pas le sien. Là où le film s’éloigne de la réalité, c’est donc lorsqu’il surestime notre capacité à reconstituer toute cette carte d’identité génétique des dinosaures.

« Le meilleur résultat possible : une très bonne fiction »

Les fans de Jurassic peuvent donc prendre leur mal en patience. D’autant plus que, dans l’hypothèse improbable où ces premières barrières auraient été levées, les « dinosaures artificiels » ne ressembleraient pas vraiment à ceux de la saga. Jean-Baptiste Steyer explique par exemple que : « plusieurs études ont identifié des espèces de raptors à plumes. Ils étaient partiellement représentés dans les premiers films, mais ils ont totalement disparu des derniers opus ». Les paléontologues employés sur les différents tournages n’auront donc pas suffi. 

L’un des dino-acteurs stars de Jurassic Park 3 exposé au musée Miniatures et Cinéma. Lyon. 11/10/2021. ©Arthur Bamas.

Depuis la sortie du premier Jurassic, les représentations scientifiques de certains spécimens n’ont cessé d’évoluer. Notre connaissance actuelle des dinosaures reste fragile et s’illustre avant tout par les zones d’ombres qu’elle doit encore explorer. L’exemple le plus marquant est sans doute celui du Tyrannosaure. Après sa découverte en 1905, et surtout l’exhumation de nouveaux spécimens entre les années 1980 et 2010, le T-Rex n’a jamais cessé de changer d’apparence.

Parfois dressé sur ses pattes arrières, recouvert de plumes, ou plus rapide qu’une voiture, sa représentation la plus fidèle, fixée en 2017, n’est finalement pas si éloignée de celle de Jurassic Park. Jean-Baptiste Steyer relève tout de même quelques bémols : « On sait aujourd’hui d’après l’étude de plusieurs squelettes que le T-Rex était incapable de rugir tel qu’il le fait dans les films. Mais le choix de combiner des sons d’éléphants et de félins était une bonne idée ».

D’après le paléontologue, la créature la plus réussie de la reprise de la saga serait finalement l’indominus, le grand méchant du premier Jurassic World : « Dans le film, ce spécimen n’est pas présenté comme un dinosaure mais comme une chimère empruntant à différentes espèces et même à la seiche », explique-t-il avant de conclure en cinéphile : « Génétiquement, ça ne tient pas du tout la route, mais au moins les designers de créatures se sont lâchés et le résultat donne une très bonne fiction ».