Dossier restauration (2/3) Comme chaque année, le Festival Lumière fait la part belle aux films anciens et restaurés. Réparer une vieille bobine, c’est un métier minutieux dont la nature change depuis quelques années avec le développement de l’intelligence artificielle… Au point de menacer une profession toute entière ?

Cet article fait partie d’un dossier sur la restauration de films anciens réalisé par L’Ecornifleur à l’occasion du Festival Lumière. En quoi consiste le métier de restaurateur de films ? L’intelligence artificielle va-t-elle détruire cette profession ? A quoi ressemble un film avant et après restauration ? Vous trouverez toutes les réponses à ces questions dans ce dossier.

Il y a quelques années, les restaurateurs de films anciens étaient des experts de la pellicule et de la chimie. Aujourd’hui, elle est l’affaire de professionnels de la post-production et du traitement de l’image, des personnes qui travaillent avec le numérique. Depuis moins de dix ans, l’intelligence artificielle a fait une entrée discrète dans ce milieu de la restauration de films anciens, et plusieurs outils ont déjà été développés ou sont en cours de développement.

C’est le cas pour les travaux d’Arthur Renaudeau, de l’Institut de recherche en informatique de Toulouse (IRIT), qui tente d’améliorer les méthodes dites d’inpainting, c’est-à-dire le remplissage des défauts de la pellicule d’un film ancien pour les « réparer ». L’objectif ? « Que 90% du nettoyage soit fait au départ pour que les restaurateurs puissent ensuite se pencher sur les cas particuliers, prendre les décisions esthétiques concernant le film. »

Grâce à des travaux sur les « flux optiques », le chercheur de l’IRIT développe « l’estimation de mouvements entre les images », c’est-à-dire la possibilité, pour un logiciel, de « deviner » le mouvement d’un film et d’en reconstituer les parties manquantes. En attendant que ces travaux soient au point et puissent être proposés à des laboratoires, les restaurateurs se rabattent sur des logiciels comme Diamant. Développé par l’entreprise autrichienne HS-ART, l’outil n’est pas sans défauts et à proprement parlé de « l’intelligence artificielle. »

« S’assurer que l’algorithme fasse les choses de la bonne façon »

« On utilise beaucoup les algorithmes pour se dégrossir le travail », explique Eymeric Jorat, restaurateur de films anciens auprès de l’entreprise Lumières Numériques à Lyon. Dans le principe, tout le travail du restaurateur pourrait être réalisé par l’algorithme. Mais les méthodes employées aujourd’hui pour la restauration ne sont pas exemptes de défauts.

Conserver un film ancien
Pour conserver un film ancien dans un état stable, il faut l’entreposer dans un milieu à la température et à l’hygrométrie (humidité dans l’air) contrôlées. A la cinémathèque de Saint-Etienne par exemple, l’une des plus anciennes de France, fondée dans les années 20, les films sont conservés à une température inférieure à 10°C et à une hygrométrie de 50%. A l’Institut audiovisuel de Monaco, plus récent puisqu’il a une vingtaine d’année, c’est 8°C et 30% d’humidité.

« On reste sur un principe assez simple qui marche par soustraction par rapport à l’image d’avant et à celle d’après », décrit Victor Jouanneau de la cinémathèque de Toulouse. Le film étant une succession d’images fixes, un défaut présent sur l’une ne le sera pas sur les autres, et en s’aidant de ces images en bon état, l’algorithme peut restaurer celle qui est abîmée. Il réalise d’ailleurs ces actions bien plus vite que l’être humain.

« C’est après cette restauration que l’on intervient parce que plein d’erreurs sont possibles », met en garde Victor Jouanneau. « Dans une course, des pieds disparaissent, ou des mains car le mouvement est rapide ». « Il faut toujours qu’il y ait l’œil humain derrière pour s’assurer que l’algorithme fasse les choses de la bonne façon », tempère Eymeric Jorat. Ainsi, en l’état, les automatismes dans la restauration de films servent surtout à gagner du temps.

« Il n’y a que l’œil humain qui peut savoir »

En plus des limitations techniques rencontrées, il existe une dimension de la restauration de films anciens que l’algorithme ne peut pas imiter : l’esthétique et le choix dans ce que l’on corrige et dans ce que l’on laisse. « Pour l’instant, il n’y a que l’œil humain qui peut savoir la façon dont le film a été tourné, ce qui est un défaut et ce qui n’en est pas un », affirme Eymeric Jorat.

« Chaque pellicule a un grain relativement inimitable puisque que ce dernier est organique », expose Victor Jouanneau. « On craint l’interprétation que pourrait en faire l’ordinateur, même si des progrès sont en cours là-dessus ! ». Le négatif d’une pellicule est souvent en bon état car elle n’a pas été utilisée et projetée des dizaines de fois par le passé. Il peut être utilisé comme référence pour restaurer les films anciens. L’algorithme ne peut bien évidemment pas viser aussi juste que ce modèle authentique.

« J’assume l’idée qu’une restauration est une interprétation », affirme Laurent Trancy de l’Institut audiovisuel de Monaco. « La copie peut avoir plus de cent ans, avoir fait un voyage extraordinaire dans le temps, qui l’a altérée. Le fameux sépia par exemple, ça n’existe pas, c’est un effet du temps, c’est une maladie ». Dès lors, la restauration porte les marques du choix de ceux qui l’ont réalisée et qu’un algorithme ne peut pas imiter. « L’important, c’est que ça soit dit, que l’expérience du spectateur ne soit pas leurrée ».

Rester sur ses gardes

Numériser un film ancien
Pour travailler sur les films anciens, les cinémathèques, dont la mission est de sauvegarder ce patrimoine, les numérisent. La première étape est de nettoyer la bobine si elle est sale et de refaire les collures, c’est-à-dire les jonctions entre plusieurs morceaux de bobine, pour éviter qu’elles ne cassent pendant la numérisation. Puis on monte la bobine sur une roue et on la déroule devant un scanner qui va la numériser. Il est possible de choisir la qualité de l’image que l’on obtiendra par ce procédé. Ces machines sont capables de prendre en charge les différents formats de pellicules, à savoir les « substandards » : 8, Super8, 9.5 et 16, ainsi que le standard 35mm.

« On ne veut pas non plus faire comme si le film était sorti hier, ce qui pourrait être la tendance quelque peu diabolique de l’industrie de la restauration », met en garde Victor Jouanneau. « Il est sain qu’une dimension historique perdure dans les films de patrimoine ». Sans remettre en question le principe même de la restauration, les conservateurs des cinémathèques sont globalement unanimes : la pellicule reste un objet ancien. Si on veut la donner encore à voir il faut la remettre en état, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il faut « mentir » à l’aide de la technologie.

« L’écueil c’est peut-être la création d’images qui n’existaient pas », s’inquiète Laurent Trancy. « Cela s’est passé dans des pubs, vous avez vu des ayant-droit autoriser que Paul Newman ou Steve McQueen disent du bien d’une voiture ». Comme pour une restauration, il est nécessaire que le public soit au courant, prévenu, qu’il ne soit pas trompé.