Dossier restauration (1/3) Sans les restaurateurs de films, le Festival Lumière, spécialisé dans les films anciens, ne serait sûrement pas le même. Pour mieux connaître cette profession, l’Ecornifleur s’est entretenu avec Eymeric Jorat, restaurateur au laboratoire de postproduction Lumières Numériques.

Les temps modernes, Charlie Chaplin
Depuis sa sortie en 1936, Les temps modernes de Charlie Chaplin a connu plusieurs restaurations.

Cet article fait partie d’un dossier sur la restauration de films anciens réalisé par L’Ecornifleur à l’occasion du Festival Lumière. En quoi consiste le métier de restaurateur de films ? L’intelligence artificielle va-t-elle détruire cette profession ? A quoi ressemble un film avant et après restauration ? Vous trouverez toutes les réponses à ces questions dans ce dossier.

Eymeric Jorat a travaillé sur une soixantaine de restaurations pour Lumières Numériques, aussi bien sur des films des années 30 comme L’affaire du courrier de Lyon, que sur des films de Costa-Gavras et d’Eric Rohmer ou encore des productions plus récentes de François Ozon. L’Ecornifleur a fait le choix d’aller à la rencontre de ce restaurateur de film basé à Lyon.

L’Ecornifleur : Comment devient-on restaurateur numérique de film ?

Eymeric Jorat : Restaurateur numérique de film est un métier qui existe depuis relativement peu de temps, dix ou quinze ans maximum. À l’époque où j’étais en école de cinéma ce métier n’existait pas. J’ai intégré le domaine de la restauration et de la post-production par hasard, en rencontrant Lumières Numériques au moment de leur création.

Quand on est au lycée, on ne rêve pas forcément de ce métier car il est très récent. En revanche, au fur et à mesure que l’on fait des études de cinéma, c’est une orientation qui attire de plus en plus de gens passionnés de cinéma.  Aimer le cinéma et son histoire est indispensable pour exercer ce métier.

L’Ecornifleur : Concrètement, comment restaure-t-on un film ?

E. J. : Il existe une espèce de charte tacite du restaurateur. Lorsque l’on prend un film de Charlie Chaplin ou de Georges Méliès par exemple, il y a des poussières blanches, des poussières noires et des rayures d’instabilités sur la pellicule. Cela fait partie de l’histoire du film, de son identité. Si le film est complètement propre, parfaitement lisse, qu’il n’a plus de défauts, plus de grain, plus la matière originale de la pellicule qui fait sa vie finalement, cela enlève la magie.

Quand on restaure un film de Henri Verneuil, il y a des tremblements et des à-coups sur certains plans de travelling car les caméras étaient très lourdes à l’époque. Aujourd’hui, nous sommes capables de stabiliser cela numériquement, mais ce n’est pas du tout ça l’idée de la restauration. Cela changerait la nature du film, il a été tourné avec ces tremblements. Sans eux, le film aurait un goût d’artifice. Nous gommons les défauts du temps, pas ceux de l’époque.

L’Ecornifleur : Vous considérez vous plus comme un artiste ou technicien ?

E.J. : Artiste serait prétentieux et technicien serait réducteur. C’est un mélange des deux. Les gens qui restaurent des tableaux ne sont pas forcément des grands maîtres mais ils ont un côté artistique auquel ils doivent faire appel.

L’Ecornifleur : La demande pour des vieux films restaurés est-elle forte à l’heure des superproductions aux effets spéciaux toujours plus poussés ?

E.J. : Je pense que la demande pour les films restaurés existe bien. Preuve en est que des plateformes comme LaCinétek, sorte de Netflix où il n’y a pas de nouveautés, se sont montées. Les grosses plateformes elles même mettent de plus en plus de films de patrimoine dans leur sélection. Au début, le catalogue de Netflix n’était composé que de productions comme Arrow et Flash. Petit à petit, ils y ont ajouté des films de Belmondo, des films de patrimoine. Donc si les plateformes s’engagent dans cette voie c’est que cela intéresse les gens. C’est que cela rapporte de l’argent.

De toute manière, la demande se crée, il suffit de proposer au public. On pense toujours que les gens ne veulent pas de certaines choses alors qu’en fait ils sont curieux. J’ai accompagné des projections de films en noir et blanc dans des classes où l’on pense que les enfants sont toujours sur leur téléphone et qu’ils ne vont pas en vouloir. Je pense qu’il y a de la demande et que l’émotion devant un Charlie Chaplin, devant un Hitchkok est toujours présente.

Un enfant qui voit un Buster Keaton aujourd’hui rigolera comme un enfant de l’époque. Après il y a forcément des sensations qui bougent car un enfant de maintenant a un Iphone, il a vu des effets spéciaux, il a vu Jurassic Park, donc L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat des frères Lumière ne le surprendra pas comme les spectateurs de l’époque. Mais il y a un autre plaisir. Il faut seulement laisser la chance à ces films de pouvoir réexister. C’est ce que fait le Festival Lumière.