Entre son métier de détecteur de doublage et son passé d’aide-soignant, Yohann Malka a eu plusieurs vies. Il raconte à l’Ecornifleur son épilepsie qui l’handicape et son autisme Asperger diagnostiqué tardivement qui l’a parfois éloigné des autres. Sans l’empêcher de s’investir dans sa passion du cinéma.

Yohann Malka, bénévole au Festival Lumière, surveille l’accueil du Marché International du Film Classique. 12/10/2021, Danae Corte

Pour nous trouver, Yohann Malka traverse très vite la grande place vide de la Halle Tony Garnier. Il revient juste de son guichet, où il contrôle les entrées des spectateurs : « Je préfère travailler seul, c’est reposant ». En plein soleil de 15h, alors que Shrek anime la salle pleine d’enfants réquisitionnée par le Festival Lumière, il propose de s’installer « sur la fontaine qui ne marche plus ». Depuis 2018, le gaillard de 43 ans assiste le Festival Lumière, tout simplement parce que le cinéma le passionne : « c’est magique d’être dans la ville du premier film de l’histoire ! »

Yohann est atteint d’épilepsie depuis ses dix ans. Il a dû subir en tout trois opérations et prend un traitement lourd, ce qui l’a contraint, entre autres choses, à arrêter son métier d’aide-soignant. Depuis un an et demi, il s’est jeté corps et âme dans le cinéma en reprenant une carrière de détecteur de doublage. Devant son ordinateur et armé d’un logiciel, il repère les mouvements labiaux des acteurs de films en VO pour en tirer des bandes qui servent à synchroniser les paroles de comédiens.

Parfait pour ce cinéphile doué d’un « grand soucis du détail ». Tellement qu’il s’arrête entre les phrases pour s’assurer que les notes de l’Ecornifleur sont précises.

« C’était dix ans de traitement et une opération pour l’autorisation de rentrer à l’école des soignants »

Il fait sa première crise à dix ans chez son père fraîchement divorcé. C’est pour lui le début d’une « bataille » pour vivre normalement. Ses crises ne sont pas impressionnantes comme on l’imagine : son regard se perd dans le vide, et la déconnexion dure une trentaine de seconde. « C’est un ressenti interne que je ne peux pas expliquer ».

Il a remarqué des déclencheurs, comme l’angoisse, la fatigue, ou la météo : « C’est pour cela que je hais l’été, la chaleur ». Si cela lui arrive, l’équipe du Festival Lumière est au courant et mobilisée. Après les « meilleures années » de sa vie dans un lycée spécialisé où on le prend tel qu’il est, il souhaite suivre les pas de sa mère infirmière pour intégrer le milieu médical. Mais sa condition l’empêche d’y prétendre tout de suite : « C’était dix ans de traitement et une opération pour l’autorisation de rentrer à l’école des soignants ».

Au bout d’années de soin et ses crises enfin contrôlées, il peut s’inscrire à l’école qui le fera revenir à l’hôpital, mais comme aide-soignant. Il finit donc par faire l’Institut de formation des cadres de santé et y cultive un amour pour le soin aux autres. Même si lui préfère se dire « plus lent » qu’eux : « j’aime bien prendre le temps avec tout le monde, pour discuter. Les résidents m’aimaient bien ». Il se souvient, lors de stage en cardiologie, le soulagement dans les yeux d’une patiente sur le point de subir un pontage coronarien, en apprenant que le rassurant Yohann l’accompagnerait dans le bloc.

« La sociabilisation n’a jamais été mon fort »

Après de multiples stages, il intègre un EPHAD où il restera 13 ans. Jusqu’au burnout : « Les conditions de travail sont devenues horribles, trop rapides, on était obligés de devenir maltraitants ». Il a alors 38 ans, et un psychiatre qu’il consulte soupçonne un fonctionnement différent chez lui. Seulement deux ans après, le verdict tombe : Yohann est autiste Asperger.

Un diagnostic tardif qu’il vit comme un soulagement : son « fonctionnement différent » s’éclaire par sa « particularité ». Loin de la « maladie » dont on « souffre » comme il est d’usage de l’évoquer. Il comprend notamment pourquoi petit, il s’intéressait autant au fonctionnement du soleil – qu’il nous explique, encore maintenant, dans les moindres détails. S’en traduit une vie sentimentale et émotionnelle agitée, certes.

Parce que « les autistes sont souvent pris pour des sans cœurs, sans empathie, déplore Yohann. On a évidemment de l’empathie, juste une manière différente de l’exprimer ».

Yohann Malka

Et même si « la sociabilisation n’a jamais été [son] fort », il n’hésite pas à sensibiliser au sein d’associations en lien avec l’autisme et l’épilepsie.

Hors des clichés

En 2018, il commence à faire du bénévolat au Festival Lumière. Parce que « depuis enfant, le cinéma est ma bouée de sauvetage ». Très fan de sciences fictions comme Star Wars, il se souvient capable de reconnaitre les voix françaises de Han Solo (Francis Lax) ou de Bruce Willis (Patrick Poivey) à l’oreille. La reconversion professionnelle se fait donc naturellement : il intègre le cursus de formation de la société de production Titrafilm, qui le dirige vers le métier de détecteur de doublage.

Les difficultés qu’engendrent au quotidien son traitement pour l’épilepsie et son décalage n’épargnent évidemment pas son moral. Mais ce métier qu’il exerce depuis un an et demi, et la perspective d’obtenir « une vraie reconnaissance » dans le milieu du doublage, nourrissent une envie de remplir son temps.

« Pas mal pour un #autiste #épileptique », témoignent en cœur ses comptes Twitter, Facebook et Instagram, où il n’hésite pas à faire campagne : « J’aime casser les pattes aux clichés ».