A l’heure où le dérèglement climatique bouleverse la planète, les organisations culturelles doivent s’adapter pour perdurer. L’Écornifleur a cherché à comprendre ce que le Festival Lumière met en place pour s’inscrire dans une démarche soutenable.
Parmi les promesses d’un « Festival engagé », comme le précise l’un des onglets principaux de son site internet, on retrouve des initiatives écologiques. L’évènement, depuis sa création en 2009, est présenté comme « bas carbone », cherchant « à compenser l’impact environnemental du festival par le soutien à un projet de développement durable en région Auvergne-Rhône-Alpes ».
Les émissions de CO2 sont au cœur du problème. Le festival cherche ainsi à compenser la pollution que génèrent les déplacements des « 185 000 festivalie·ères » présents sur place en 2023. Pour ce faire, des partenariats avec EDF et l’Office National des Forêts existent depuis la deuxième édition du festival et non la première, comme l’indique le site.
Les projets, en tout et pour tout, il y en a eu dix sur quinze éditions. Plantation de protection contre les avalanches ; reconstruction d’un refuge sur le Mont Blanc, plantation expérimentale d’essences nouvelles…
D’autres actions consistent en une plantation d’arbres, afin d’absorber du carbone. La portée du principe de compensation reste cependant floue. Le site annonce un total de cinq hectares plantés, un en Isère et quatre dans la Drôme. Hormis ces informations, la localisation précise, le nombre d’arbres ou encore la surface couverte ne sont précisés pour les projets. Interrogé sur son engagement écologique et le système de compensation qu’il a mis en place, le Festival Lumière n’a pas répondu à nos questions.
La compensation carbone, fausse bonne idée
Le festival érige la compensation carbone comme la principale solution à la pollution qu’elle génère. Problème : les scientifiques et experts de la décarbonation ne voient pas la compensation comme le premier levier à activer. Juliette Vigoureux, pilote du projet cinéma du Shift Project, think-thank qui œuvre à la décarbonation de la société, explique que la compensation carbone n’est pas « un levier fiable ». En cause ? L’imprévisibilité d’évaluer la capacité des arbres plantés à stocker le carbone. En fonction de l’espèce d’arbre et de leur âge, cette capacité varie. S’ajoute à cela un problème de temporalité, « les échelles de temps ne sont pas les mêmes : vous émettez aujourd’hui et vous espérez compenser sur les cent prochaines années », analyse Juliette Vigoureux.
L’absence de réponses du Festival ne permet pas de savoir si des actions internes ont été entreprises. Ont-ils réalisé un bilan carbone ? Ont-ils fait appel à des entreprises de conseil pour se fixer des objectifs écologiques ? Leurs actions sont-elles significatives ?
Le Marché International du Film Classique, bon élève
En parallèle du Festival Lumière, se tient à Lyon du 17 au 20 octobre 2023, le Marché International du Film Classique (MIFC), organisé par l’Institut Lumière. Destiné aux professionnel·les de l’industrie cinématographique, l’évènement a pour sa onzième édition, pris le pas sur le festival, pour limiter son empreinte environnementale. Le marché cherche à obtenir d’ici sa prochaine édition ou encore la suivante, une labellisation éco-responsable.
Pour cela, il fait appel à La Base, une entreprise de conseil qui accompagne des organisations culturelles dans leur quête de soutenabilité. « On va faire des bilans carbone pendant trois éditions de suite avec à chaque fois une mise en place de pistes d’action en vue de réduire le bilan de l’année suivante », explique Juliette Vigoureux, qui travaille également en tant qu’indépendante pour La Base. Le travail a déjà commencé puisqu’un premier bilan a déjà été produit l’an dernier.
La mobilité sur place en deux approches
Rassemblant une communauté internationale de professionnels, le premier enjeu du marché est de décarboner les mobilités. Au niveau européen « on privilégie systématiquement le train » et au quotidien sur l’évènement « on évite la voiture. On est en plein centre-ville, on privilégie les transports en commun et le vélo », explique l’interlocutrice du Shift Project. Un discours qui colle à la communication du site du marché : train, bus, covoiturage, l’avion n’apparaît qu’en dernière solution pour venir à Lyon. Pour se déplacer sur place, Velo’v et les transports en commun apparaissent en premier. Une option pour les automobilistes est présente mais accompagnée d’une redirection vers le site de covoiturage de la métropole.
La communication du festival n’est pas la même. Sur son site, le premier mode de transport mentionné est l’avion, moyen de transport générant le plus d’émissions à effet de serre. Le partenariat du festival avec Air France-KLM se concrétise par des promotions destinées aux festivaliers. Une incitation à prendre l’avion qui passe par diverses offres : -15% sur les vols internationaux et d’autres réductions sur les vols métropolitains (Corse incluse).
L’incitation aux mobilités douces, présentées par Juliette Vigoureux comme « les leviers indirects » pour réduire l’émission de CO2, n’apparaît toujours pas dans l’onglet. Pas non plus d’encouragement à recourir au covoiturage, à privilégier le train à l’avion ou à tout simplement faire attention aux émissions de ses déplacements.Questionnée sur la capacité du Festival à pouvoir activer d’autres leviers, Juliette Vigoureux explique : « Il y a tout un arbitrage à poser entre volonté de faire rayonner des artistes internationaux et prioriser les contraintes climatiques et énergétiques. Intégrer ces enjeux là dans les décisions ça me semble être ça l’alternative ».
Juger la dimension écologique d’un Festival de cinéma implique aussi de jeter un œil à sa programmation. De ce côté-là, l’Institut Lumière répond présent en organisant une “Soirée Terre”. L’année dernière, le réalisateur écologiste Cyril Dion était invité. Pour cette édition, c’est le documentaire Marée noire et colère rouge de René Vautier qui est à l’honneur. Ce film documentaire raconte l’histoire du pétrolier Amoco Cadiz, qui s’était échoué au large des côtes du Finistère en 1978, entraînant alors une marée noire, synonyme de catastrophe écologique majeure.
Anatole Clément et Loïc Pradier