À l’occasion du Festival Lumière, l’Écornifleur s’est rendu dans trois cinémas originaux de Lyon. Le premier volet de notre série est consacré à l’Aquarium. Depuis 2016, ce ciné-café associatif, niché au cœur de la Croix-Rousse, souhaite avec son café, ses soirées débats et ses ateliers faire du septième art un objet de partage et de sociabilité.
Une odeur de croque-monsieur se dégage d’une porte de la rue Dumont, dans le 4ème arrondissement de Lyon. En cette soirée de mardi, sur le trottoir, une petite troupe de personnes boit, fume et discute. Au-dessus de leurs têtes, un panneau losange de style art-déco indique, non pas le nom d’un bar, mais bien d’un cinéma : L’Aquarium. Ce ciné-café associatif, créé en 2016, situé au cœur du quartier Croix-Rousse, est unique en son genre.
« La bonne ambiance, le côté chaleureux et confortable », c’est ce qui plaît à Maelis, qui franchit les portes du cinéma pour la première fois. « Le cinéma en général c’est plus impersonnel, il n’y a pas de bar. Là ça ressemble plus à un café-théâtre en version cinéma, ça me fait plus envie, le lieu a du caractère », ajoute-t-elle.
« Cette salle c’est un peu chez eux ! »
Avant les séances, on s’attarde au bar et on discute. Canapés, boissons et snacks : Damien Vildrac et les autres fondateurs ont voulu penser le lieu pour que « la salle puisse créer un lien avec le public.» Le fondateur abonde : « Les gens nous disent que cette salle c’est aussi un peu chez eux, que c’est le croisement entre un ciné et une colocation ! ».
Cette grande colocation qui accueille près de 10 000 spectateur·rices par an, emploie cinq salarié·es, deux personnes en service civique et repose aussi sur le soutien de 50 bénévoles. Un renfort indispensable, notamment ce soir, car comme souvent le cinéma affiche complet. L’ouverture au public prévue pour la projection de 20h30, Damien Vildrac se hâte seul à préparer la salle, placer des chaises derrière les grands canapés, vérifier que les micros et le vidéo projecteur fonctionnent. Débordé, il regarde la file qui commence à se créer. Une fois derrière le bar, il souffle : « Il faut vraiment que les bénévoles arrivent pour nous aider. »
« Être le plus accessible possible »
Ici, pour assister à une projection, il faut d’abord payer l’adhésion de quatre euros, valable un an. Les tarifs des séances varient ensuite en fonction des soirées : gratuites pour certaines, à « prix conscient » pour d’autres où « la personne choisit librement : entre trois, cinq et sept euros ».
L’offre fait mouche. Les chiffres d’adhésion n’ont cessé d’augmenter depuis sa création pour atteindre aujourd’hui près de 4 000 membres. Le cinéma propose aussi des ateliers pour apprendre des techniques cinématographiques en réalisant des films. Pour tous les âges, tous les prix (entre 250 et 400 euros) et selon divers formats. Ces ateliers attirent près de 250 personnes par an.
« Un besoin de réinventer le cinéma »
L’Aquarium dénote avec sa « programmation, innovante et éclectique, toujours accompagnée de débats et de rencontres afin d’inviter le public à se réapproprier la salle de cinéma », promeut son site internet. Pour la semaine du 18 au 22 octobre, par exemple, le documentaire “Commune Commune” sur les élections municipales en 2014 est diffusé, suivi d’un débat en présence de Nicolas Barriquand co-fondateur de Mediacités. Un ciné quizz est organisé le samedi 21 octobre.
Il y en a pour tous les goûts : soirées documentaires politiques suivis de débats ; le rendez-vous « mauvais genre » pendant lequel est diffusé un film de genre récent en compagnie d’un Youtubeur connu ; ou encore les événements « ciné-mystère » où l’on ne sait pas quel film on vient voir avant que l’écran ne s’allume.
Cette offre originale répond à l’un des principes sur lesquels repose l’Aquarium : la conviction que « la salle de cinéma a besoin de se réinventer », fait valoir Damien Vildrac. Pour lui, l’arrivée du numérique dans les années 1990 a été un bouleversement, pour le cinéma comme pour d’autres sphères. Un changement profond qui continue aujourd’hui avec le développement des plateformes de streaming.
« Jamais la même chose que de télécharger un film »
Lorsque Damien Vildrac et d’autres fondateur·rices ont repris le vidéo-club qui se trouvait là, iels ont décidé de faire perdurer l’activité. Sept ans plus tard, l’essoufflement du DVD les rattrape. En juin 2023 c’est la fin pour le dernier vidéo-club de Lyon, et l’un des rares encore en activité en France. Dans la salle, il n’en reste plus qu’un néon de décoration sur la mezzanine et les milliers de DVD, désormais à vendre, qui ornent les murs.
La vision du cinéma défendue par l’Aquarium oscille entre ouverture aux changements imposés par l’ère du numérique et forme de résistance au ‘tout-dématérialisé’.
« La salle de cinéma doit s’ouvrir aux images de son temps », assure en effet Damien Vildrac. À L’Aquarium, cela passe aussi par des soirées dédiées aux jeux-vidéos ou à la création web. Sur ce point, le directeur est fier de rappeler à l’Écornifleur que c’est à l’étage de son cinéma qu’Usul et Ostpolitik ont tourné pendant cinq ans les épisodes de leur émission récemment terminée, « Ouvrez les guillemets ». Des vidéos diffusées sur Médiapart et les réseaux sociaux, durant lesquelles un lundi sur deux les deux camarades chroniquaient l’actualité. L’ ancrage avec des figures d’Internet, que se s’offre ainsi l’Aquarium, permet de faire connaître le lieu, y compris à un public plus jeune.
Mais le cinéma reste une affaire de sociabilité et de rencontres. L’ambition de l’Aquarium est de « rapprocher la projection cinématographique de quelque chose de l’ordre du spectacle vivant », idéalise le cofondateur.
Ce soir-là l’Aquarium diffuse Inca[s]sables de la réalisatrice Ketty Rios Palma un documentaire diffusé pour la première fois en 2021 et suivant le parcours d’enfants entre 10 et 18 ans, délaissés des autres services d’Aide sociale à l’enfance et placés dans une microstructure à Paris. La soixantaine de travailleur·euses du milieu de l’aide sociale à l’enfance qui remplissent la salle sont venu·es discuter, apprendre des expériences des un·es et des autres.
Dans la rue Dumont, 23h30 passées, la petite troupe de personnes est de retour devant le perron de la grande porte rouge. Après la projection et le débat qui s’en est suivi, les conversations continuent dehors. Constance est adhérente et habite non loin. En sortant de la salle, elle s’arrête un instant pour discuter. Elle sourit : « Ça faisait longtemps que je n’avais pas pris le temps de venir. C’est vraiment cool comme lieu ! »
Méline Pulliat
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