Comme pour les millions d’exilés Ukrainiens, le départ de Ksusha Matskova d’Odessa, sa ville natale, a été brutal. À 29 ans, son trajet long de presque quatre mois a démarré le 1er mars et ne s’est achevé qu’en juin 2022, à Saint-Maurice-de-Beynost. C’est là qu’elle tente de reconstruire sa vie et que l’Écornifleur l’a rencontrée.

Ksusha Matskova, sur le balcon de son appartement à Saint-Maurice-de-Beynost le 25 septembre 2022. ©Anatole Clément

Le 24 février dernier, tôt dans la journée, Dima, le petit-ami de Ksusha l’appelle. Elle se réveille chez elle à Odessa, ville portuaire sur les bords de la mer Noire. Lui est loin, en Méditerranée, à bord du porte-conteneur sur lequel il travaille. Il vient d’apprendre par une notification de son portable que « l’opération spéciale » lancée par la Russie a débuté. Son premier réflexe est d’appeler Ksusha.

« L’appel de Dima m’a réveillée. Quand il m’a dit ce qu’il se passait, je ne pouvais pas y croire. » Quelques minutes plus tard, la jeune femme de 29 ans entend le premier bombardement retentir dans Odessa. À l’autre bout du fil, la résonnance de l’explosion et la peur naissante dans la voix de Ksusha se font ressentir.

Un départ forcé

Ksusha a toujours vécu à Odessa. Jusqu’en mars dernier, elle vivait seule dans le centre-ville, à proximité de ses parents. Diplômée de l’Académie Nationale des Technologies Alimentaires d’Odessa (ONAFT), elle travaillait depuis 2016 en tant que responsable administrative d’un karting prisé de la ville.

« Au début, personne n’envisageait de partir » se souvient-elle, huit mois après le début de l’invasion russe en Ukraine. Même si Ksusha refusait cette option, Dima a insisté pour qu’elle parte avec sa mère. Il les a appelées tous les jours pour tenter de les convaincre et d’organiser leur départ.

Ce n’est que cinq jours après le début de la guerre qu’elles se résignent à fuir le pays. Le 1er mars tôt dans la matinée, Ksusha, son père et sa mère partent en direction de la frontière roumaine, située à seulement 200 kilomètres d’Odessa. Le chaos du moment et les centaines de milliers de personnes en fuite dans la même direction feront qu’ils ne l’atteindront qu’une fois la nuit tombée et le couvre-feu dépassé.

A la frontière, la température est proche de zéro degré Celsius, le vent y est violent et il pleut averse. Des dizaines de bénévoles sont pourtant encore là, de l’autre côté, à accueillir et aider les réfugiés. Ils distribuent repas chauds, vêtements secs et cartes SIM aux nouveaux arrivants.

Incertitudes en Roumanie

Comme l’impose la mobilisation générale décrétée, le père de Ksusha ne peut pas quitter son pays avec sa femme et sa fille. « Il a attendu la levée du couvre-feu à six heures du matin pour repartir à Odessa en voiture », il y est encore aujourd’hui.

Ksusha et sa mère arrivent de leur côté le lendemain, le 2 mars, à la gare de Bucarest. Des bénévoles de la Croix-Rouge les accueillent et les installent dans un dortoir d’internat encore inoccupé.

Une fois installée, la mère de Ksusha est faible et se fait hospitaliser. On lui diagnostique un cancer. Le traitement est lourd et doit s’accompagner d’une opération chirurgicale. Elles devront rester près de trois mois à Bucarest.

Pendant cette attente, des réfugiés continuent d’affluer dans la capitale roumaine. Ceux qui arrivent des régions Est et Sud-Est ne restent jamais très longtemps dans le dortoir où dort Ksusha. Ils craignent que le front se déplace vers l’Ouest et veulent continuer de s’en éloigner. Ksusha était la première de ses amies à être partie mais, au fil des semaines, elles prennent toutes la décision de fuir pour s’installer en Allemagne, en Lettonie ou aux Pays-Bas.

« Il fallait partir, trouver une destination »

La tante de Ksusha et son fils, qui les avaient rejointes à Bucarest, ont été accueillis quelques semaines plus tard par une famille près de Grenoble, à Saint-Etienne-de-Crossey. Une fois la mère de Ksusha en capacité de voyager, elles décident de les rejoindre et de s’installer dans ce village.

Près d’un mois plus tard, Dima rejoint Ksusha et sa mère dans ce village. Ils trouvent sur Facebook une femme prête à les héberger gratuitement. Elle vit dans un immeuble de trois étages à Saint-Maurice-de-Beynost, dont deux sont inoccupés. Depuis le 21 juin 2022, Ksusha, sa mère et Dima s’y sont installés.

Ksusha, désireuse de reconstruire sa vie ici, consacre la majeure partie de son temps à l’apprentissage du français. Elle suit du lundi au vendredi, sept heures par jour, des cours intensifs proposés par Pôle Emploi et commence à pouvoir s’exprimer autrement qu’en anglais. Elle espère pouvoir briser rapidement la barrière de la langue, dernière étape majeure de son périple.

Anatole Clément