Sadia Hessabi, ancienne réfugiée a fait tour à tour de sa culture afghane et française, les moteurs de sa vie. Aujourd’hui, auto-entrepreneure de Kaboulyon, elle allie les deux dans ce service traiteur franco-afghan.
Après 32 années passées en France, c’est la cuisine aux parfums afghans de son enfance qui a redonné un sens à sa vie. Sadia Hessabi a lancé Kaboulyon, un service traiteur. Un nom qui allie « ma ville natale et ma ville de cœur », décrit-t-elle fièrement.
Quitter Kaboul
Sadia Hessabi a connu une enfance tourmentée. Fille unique d’une famille aisée, elle vit à Kaboul. Quelques années après sa naissance, les moudjahidines afghans entrent en guerre contre les soviétiques, elle perd ensuite successivement son père et sa mère, à 9 et 14 ans. Elle se retrouve seule dans un pays en guerre, les rationnements commencent, les écoles ferment. Elle reçoit alors une invitation pour la France venue d’un oncle éloigné.
À 14 ans, elle décide de rejoindre ce pays inconnu, s’octroie une fausse carte d’identité qu’elle paie « 30.000 afghanis » (soit environ 350€) afin de passer pour majeure, et prend son billet d’avion. Dans son sac, seulement quelques affaires, ses bulletins de notes, des cassettes en langue perse, deux tapis afghans et un livre d’un poète afghan.
Après avoir raté son avion lors de son escale en Russie, être passée par Prague, elle arrive finalement à Paris. « J’étais seule, je ne comprenais rien au français, j’étais renfermée sur moi-même », raconte Sadia. Après plusieurs heures de recherche, elle tente sa chance auprès d’une dame à qui elle demande d’appeler le numéro de son oncle : « C’était ma tante. Elle m’a pris dans ses bras en pleurs. Je ne connaissais pas ces gens, alors moi je ne pleurais pas. »
Le voyage continue avec cette nouvelle famille jusqu’à Chalon-sur-Saône : « C’était bizarre, ce n’était pas mon monde, les gens étaient blonds, les paysages étaient plats, il pleuvait », décrit Sadia.
Elle raconte une anecdote témoignant de son trouble : « Quelques jours après mon arrivée, je suis allée au bar et j’ai bu des blancs-cassis, je ne savais pas que c’était de l’alcool et c’était la première fois que je buvais. Comme j’étais la seule étrangère du village, le maire a su qui j’étais et a appelé mon oncle. » Elle se mit à rire : « à peine arrivée, j’ai entamé fort ».
« J’ai zappé l’Afghanistan pendant longtemps »
Et puis un jour tout bascule, victime d’inceste par son oncle, elle apprend du même coup qu’elle a été adoptée quelques jours après sa naissance et n’a donc jamais connu sa famille biologique. Les interrogations se bousculent dans sa tête : « Qui sont mes parents ? D’où je viens ? »
Son moyen de tenir le coup : se fixer des objectifs de vie. « Je veux être propriétaire de ma maison, avoir un travail, une voiture, un mari, deux enfants, un chien. » Ainsi, à 18 ans, elle s’enfuie et entre aux Directions Départementales des Affaires Sanitaires et Sociales (DDASS), trouve refuge dans un Foyer pour jeunes travailleurs et passe ensuite son diplôme d’aide-soignante à Lyon. Mais son véritable objectif est plus grand. Sa force de caractère la mène à prouver que malgré les épreuves auxquelles elle fait face depuis sa naissance, elle peut réussir sa vie.
À cette fin, « j’ai zappé l’Afghanistan pendant longtemps, je voulais rentrer dans le moule français », avoue-t-elle.
Mais peu à peu elle se rend compte que le « mode de vie à l’occidentale » ne lui convient pas, et c’est son corps qui le lui fait comprendre. Elle souffre de myasthénie (maladie créant une fatigue permanente), donne naissance à deux enfants, et rêve alors d’autre chose.
« Ma grossesse m’a ramené à l’Afghanistan, je ne parlais plus que de ça, je voulais retrouver des saveurs afghanes. »
Sadia Hessabi
Elle veut redonner du sens à sa vie et ne plus renier son pays d’origine. Aujourd’hui, on ressent chez Sadia la fierté de ses origines afghanes.
Kaboulyon, un projet à son image
Après vingt ans de travail dans un hôpital psychiatrique, elle s’est finalement dirigée vers une toute autre voie : la création de son entreprise Kaboulyon, un service traiteur de cuisine franco afghane. Par l’intermédiaire de la cuisine, elle souhaite créer du lien social et promouvoir la culture afghane.
Mais Sadia souhaite aller encore plus loin, son futur projet d’écovillage sera à l’image d’un monde tel qu’elle l’idéalise : « une communauté humaine ». Sadia, au fil de ses réflexions, explique sa volonté d’une alternative meilleure au monde actuel qu’elle observe et dont elle ne connaît que trop bien les aspects négatifs. « Aujourd’hui on a inversé l’échelle des valeurs humaines, tout ce qui est secondaire est mis en avant au lieu des valeurs fondamentales ».
Pour le moment Sadia donne une importance particulière au partage de son histoire. Elle fait des apparitions dans les médias, lors de festivals, et a même coécrit le livre Femmes d’ici, cuisines d’ailleurs. On sent qu’elle est à l’aise pendant l’entretien, elle reprend ses expressions phares, montre instinctivement ses photos. Elle explique cette envie de témoigner : « je ne veux pas de pitié, je veux juste partager mon histoire », elle laisse alors s’échapper : « c’est un moyen d’exister ».
Lisa Boudoussier