Persécuté en Afghanistan en raison de son appartenance à l’ethnie des Hazaras et de ses positions politiques, Mohammed Reza est arrivé en France en septembre 2021. Son séjour le laisse empli de désillusion. L’Ecornifleur est allé à sa rencontre.
Jambe droite dans l’attelle, appuyé sur des béquilles, Mohamed Reza Hasani se déplace difficilement dans un café du centre de Lyon en ce mercredi après-midi pluvieux. Il souffre d’une fracture du ménisque qu’il s’est fait en jouant au football. En Afghanistan, ce trentenaire y jouait régulièrement, jusqu’à ce que les talibans reprennent le pouvoir en août 2021. « On avait espéré que la négociation de Joe Biden avec les talibans mettrait fin à tous les problèmes. On a été très surpris parce que les talibans ont pris notre ville en une heure et demie », soupire Mohammed en se remémorant sa vie à Mazar-i-Sharif. C’était la dernière grande ville du Nord à être encore contrôlée par le gouvernement. La vie confortable qu’il y menait avec sa femme Somayeh, et ses trois jeunes enfants Nilofar, Amir et Hafiz part en fumée. Ils doivent fuir leur maison, située près de la grande mosquée bleue, lieu de culte chiite fréquenté par les Hazaras et cible des attentats de l’Etat Islamique.
« On a dû fuir. On était recherchés. »
Depuis le début de sa vie professionnelle Mohammed Reza est confronté aux Talibans. A partir de 2010, un an après son mariage, il travaille pour diverses organisations internationales non gouvernementales comme le Norvegian Refugee Council (NRC), ou encore la Germany International Organisation (GIZ). Lui-même étant retourné vivre seul en Afghanistan après avoir grandi en Iran, il sait à quel point arriver sans point d’ancrage dans un pays peut être compliqué. Ce pays, ses parents l’avaient quitté en 1979, au moment de l’invasion par l’URSS. « En Iran, il y avait beaucoup de discriminations contre les Afghans. Je n’allais pas dans les mêmes écoles que les Iraniens, ou je ne pouvais pas jouer avec eux. C’était très dur », se souvient Mohammed Reza, une pointe de colère dans la voix. C’est la raison pour laquelle il décide à ses 18 ans de retourner sur la terre qui a vu naître ses parents. Il s’installe à Sar-e-Pol, où il rencontre sa future épouse, Somayeh, en 2008. Elle travaille pour des organisations défendant les droits des femmes, comme Women for Afghan Women. Les deux époux se voient contraints de fuir leur ville pour Mazar-i-Sharif, en 2018, où ils ont de la famille : « Les talibans n’aiment pas les associations qui défendent les femmes, ou les droits humains en général. On a dû fuir. On était recherchés. » Leur situation est d’autant plus compliquée qu’ils font partie de l’ethnie des Hazaras qui représente 10 à 20% de la population. Cette dernière est persécutée depuis plusieurs décennies en raison des valeurs libérales qu’elle défend, et d’un Islam chiite.
Dans la nuit du 31 août au 1er septembre 2021, la famille se voit contrainte de fuir Mazar-i-Sharif en raison de l’arrivée des talibans qui s’emparent de la ville. C’est non sans rappeler le massacre de plus de 6 000 Hazaras par les talibans en 1998, en représailles aux meurtres de 2 000 des leurs l’année précédente par les forces hazaras. La famille se met en route pour Kaboul, afin de prendre le premier avion pour la Pologne. Mohammed précise : « J’ai un ami polonais, que je connais via une organisation pour laquelle j’ai travaillée. On est partis à minuit de Mazar, on est arrivés à midi à Kaboul. » Le périple est dangereux : « On avait mis la tenue locale, pour ne pas être remarqués. Normalement en Afghanistan je suis habillé comme ici. Ma femme avait mis la burka. » Pendant trois jours, la famille Hasani est bloquée à l’aéroport. Rapidement les vivres s’épuisent, Mohammed et Somayeh s’inquiètent pour la santé de leur petit dernier, qui a seulement deux mois. Ils finissent par s’envoler pour la Pologne, où ils restent deux semaines. Ils partent ensuite vers l’Allemagne, où Mohammed est très déçu de l’accueil. « J’ai envoyé des demandes au gouvernement allemand. Je n’ai jamais reçu de réponse, alors que j’ai travaillé pour eux. J’ai un ami français qui m’a alors conseillé de partir en France. »
« C’est moi en Afghanistan. Plus content, plus en forme, plus souriant »
Commence, à partir d’octobre 2021, la vie de la famille Hasani en France, accueillie par des amis français à Mâcon. Il les a connus lorsqu’il travaillait pour la GIZ. Au départ, Mohammed se sent le bienvenu dans l’Hexagone. Il est suivi par une association, Coallia, qui l’aide pour l’administratif, et les problèmes du quotidien. Au bout de quelques mois, le trentenaire décide de déménager à Lyon, où, pense-t-il, les opportunités de travail seront plus nombreuses. Après avoir eu le sentiment d’un accueil chaleureux s’ensuivent de nombreuses désillusions. Déjà lorsqu’il était à Mâcon, aucun des quatre allers retours qu’il avait faits pour Paris afin d’obtenir des papiers et les protections accordées aux réfugiés, n’avait été remboursé. Le manque de moyens financiers est très difficile à vivre pour la famille. En Afghanistan, les deux époux gagnaient bien leur vie, et leurs enfants étaient scolarisés dans des écoles privées. « C’est moi en Afghanistan, plus content, plus en forme, plus souriant. Je voyageais dans tout le pays », confesse Mohammed, en montrant une photo de lui à Mazar-i-Sharif. De cette passion pour son pays, le trentenaire en avait fait une agence de voyage, Authentic Afghanistan, dont il ne reste plus que la page Instagram (@authentic.afghanistan). Sur ce compte invitant à découvrir « le vrai Afghanistan », Mohammed a posté de nombreuses photos de paysages, notamment dans la province de Bamiyan, située au centre du pays, ainsi que des selfies avec celles et ceux à qui il a fait découvrir on pays. Le site et l’entreprise ont été fermés par les talibans, au même titre que le compte en banque de Mohammed et Somayeh.
La vie à Lyon est compliquée. Le couple a l’obligation de suivre 400 heures de cours de français pour pouvoir postuler à une offre d’emploi. Impossible pour eux d’y assister. Leur petit dernier a seulement un an, et ils ne trouvent aucune place en crèche. Quant aux différentes démarches qu’il leur reste à faire, ils ne peuvent plus compter que sur eux-mêmes, selon Mohammed « A Lyon, ça fait deux mois que je cherche une association qui peut m’aider, ça ne marche pas. Par exemple, le Forum des réfugiés n’a pas voulu m’aider car je ne suis plus considéré comme un nouveau réfugié. » Mohammed conclut alors qu’il regrette d’être resté en France. « On aurait dû partir aux Etats-Unis. Je regrette d’avoir lancé toutes les démarches. »
Eléna Roney