À Lyon, tout le monde a entendu parler des frères Lumière. Mais que devient la famille qui a inventé le cinéma ? L’Écornifleur a rencontré un descendant de Louis Lumière qui n’a pas toujours revendiqué son héritage.

Ce jour-là, en région parisienne, Alan Lefrancq-Lumière et son ami étaient les premiers à prendre place dans la salle de cinéma. © Alan Lefrancq-Lumière

Où est passée la famille Lumière ? Une simple recherche Google vous permet de retrouver Max, Éric et Cédric Lefrancq-Lumière. Ces trois descendants de Louis Lumière organisent régulièrement des projections en hommage à leur ancêtre qui a inventé le cinéma. Max est le petit-fils de Louis Lumière. « Il est souvent cité au Festival Lumière et à Cannes. Il a même organisé quelques visites guidées à l’Institut Lumière », complète Cédric. Récemment, Max a légué à Cédric un des 200 premiers cinématographes produits à la fin du XIXe siècle. « C’est très simple à utiliser. Pour me former, mon grand-père m’a juste dit de venir une heure avant la projection», rassure le descendant Lumière.

Comme leurs aïeux, les Lefrancq-Lumière sont chefs d’industrie. Leur usine Nichrominox, spécialisée dans la production de matériel dentaire, est implantée à Saint-Bonnet-de-Mure (Rhône)… au 18 de la rue des Frères Lumière. « C’est presque une coïncidence, commente Cédric. On cherchait à déménager l’entreprise hors de Lyon et mon frère Alexandre a vu qu’il y avait de la place alors on s’est dit que c’était là qu’il fallait qu’on s’installe. »

Cédric Lefrancq-Lumière est le nouveau propriétaire d’un des premiers cinématographes de l’Histoire. © Cédric Lefrancq-Lumière

Une enfance loin des projecteurs

En tapant leur nom sur LinkedIn, un autre profil est suggéré : « Alan Lefrancq-Lumière, Étudiant à la London School of Economics / Diplômé de Sciences Po Lyon. » Alan ne connaît pas Max, Éric, Alexendre et Cédric. Mais il est bien né Lefrancq. Henri, son grand-père, est le frère de Max. Dans la branche Lefrancq, le patronyme Lumière s’est perdu quand leur arrière-grand-mère s’est mariée. Enfant, « Lumière, c’était plutôt le chandelier dans La Belle et la bête ! », plaisante Alan.

Le jeune homme de 23 ans confie : « Mon père n’était pas dans ce délire d’être fier de son héritage. » Il se rappelle tout de même d’avoir brillé lors d’un exposé : « En CM1, la prof nous avait demandé si on connaissait l’histoire de nos arrières-grand-parents. » Alan a grandi en région parisienne, loin de la renommée des illustres Lyonnais. Ses grands-parents avaient quitté le Rhône pour le Rhin, avant que ses parents ne rejoignent la Seine parisienne.

La famille Lumière a toujours entretenu des liens forts avec le Grand-Est. Antoine Lumière, le père des inventeurs du cinéma, a habité en Franche-Comté avant d’installer son usine à Montplaisir dans les années 1870. « Lyon était une plus grande ville et puis ils ont fui les Prussiens », décrypte Odile Nguyen-Schoendorff, autrice de Nous sommes… les Lumière (Jacques André, 2018). Antoine reste toutefois attaché à l’Alsace de « la famille Winckler avec qui quatre de ses enfants se sont mariés », explique la biographe.

« Ma sœur n’a pas voulu changer de nom »

Adolescent, Alan renoue avec son héritage grâce à un legs de son grand-père. « Chez mes parents, on a un document dédié aux frères Lumière où des personnalités comme Walt Disney les remercient d’avoir inventé le cinéma », décrit-il.

Alan aime s’arrêter devant la signature de Walt Disney gravée en bas à droite de la page. © Alan Lefrancq-Lumière

Odile Nguyen-Schoendorff souligne qu’Auguste et surtout Louis Lumière, sont unanimement considérés comme des « précurseurs » du 7e art. « Edison, Méliès, Muybridge… Ils avaient tous trouvé mais Louis les a coiffés sur le poteau avec sa perforation », précise-t-elle. L’idée de Louis : trouer les pellicules une fois de chaque côté pour permettre aux projectionnistes de maintenir un rythme d’une quinzaine d’images par seconde.

Louis Lumière a été inspiré par une machine à coudre pour mettre au point ses prototypes. © Institut Lumière

En 2020, désormais majeur et vacciné, Alan accepte la proposition de son père d’accoler « Lumière » à son nom de famille. « J’ai dû adresser une demande au ministère de la Justice par courrier », détaille-t-il. Cette démarche n’est pas au goût de tout le monde. « Ma sœur n’a pas voulu changer de nom parce qu’elle s’appelle Claire ! », tempère le jeune homme. Claire Lumière, ce n’est pas facile à porter.

Un retour aux sources difficile

Alan intègre Sciences Po Lyon sous le patronyme « Lefrancq-Lumière ». Il profite de son déménagement pour visiter l’Institut Lumière, sous couverture. Sur sa lancée, il accompagne sa grand-mère au Palais Lumière d’Évian-les-Bains pour l’exposition Lumière ! qui revient sur sa généalogie.

La grand-mère d’Alan a croisé quelques-uns de ces noms dans la vraie vie, avant de se séparer d’Henri Lefrancq-Lumière. © Alan Lefrancq / Exposition Lumière !

« Je ne savais même pas qu’il y avait une fac qui s’appelait Lumière ! », s’exclame l’étudiant, vêtu d’un pull à l’effigie de l’université qui porte son nom. Après un premier master à cheval entre Sciences Po et Lyon 2, il a rejoint un cursus d’histoire coloniale à la London School of economics. « En tant qu’historien, c’est un peu stylé de s’appeler Lumière ! », se vante-t-il.

Étudiant diplômé, Alan porte fièrement le pull de l’université qui porte son nom. © Alan Lefrancq-Lumière

Avant de changer de nom, Alan ne savait pas non plus que ses ancêtres avaient collaboré avec l’ennemi pendant la Seconde Guerre mondiale. « Auguste et Louis ont été décorés de la francisque en 1942, directement des mains du maréchal Pétain », rapporte la biographe des Lumière. Louis était aussi un proche du régime fasciste italien. « Mussolini avait compris le pouvoir de propagande du cinéma et les Italiens avaient des festivals formidables », justifie l’autrice.

Son arrière-arrière-petit-fils a découvert cette part d’ombre sur les réseaux sociaux. « Des gens s’indignaient que les frères Lumière soient encore sur la fresque des lyonnais », ajoute le néo-londonien. « Dégouté », il a néanmoins décidé de rester Alan Lumière à l’État civil comme sur Instagram.

Sur son profil, certains clichés témoignent de son attachement à la scène. « Je ne suis pas spécialement un gros cinéphile », concède-t-il. À la fin du mois, il jouera une adaptation de la comédie musicale Bob l’éponge sur les planches britanniques. Là encore, la génétique a peut-être joué. Odile Nguyen-Schoendorff relate : « Louis faisait de la peinture, chantait et faisait des concerts dans sa maison. Ses fêtes étaient somptueuses ! »

  • Erwann Thuot

    Erwann voulait devenir secrétaire, comme sa grand-mère. Désormais, c’est pour L’Écornifleur qu’il cultive son goût pour la police… d’écriture Arial Narrow et les stylos de couleurs. Depuis qu’il a découvert l’intermittence et l’Eurovision, il consacre son énergie à l’écriture de chansons, de podcast ou d’interviews pour la télévision.