Le 13 septembre 2022, la mort de Jean-Luc Godard a secoué le monde du cinéma dans son ensemble. Dans le cadre du Festival Lumière, le réalisateur Cyril Leuthy était à Lyon jeudi pour présenter son documentaire, «Godard, seul le cinéma», qui revient sur le personnage du réalisateur franco-suisse, aussi bien adoré que détesté. L’Écornifleur s’est glissé au Pathé Bellecour pour assister à cette diffusion.

C’est avec une certaine émotion, que les spectateurs, venus nombreux jeudi 19 octobre au Pathé Bellecour, ont pu profiter de la diffusion du documentaire, Godard, seul le cinéma, dans la cadre du Festival Lumière. ©Arthur Dumas

Difficile de trouver une place dans la salle n°6 du Pathé Bellecour jeudi après-midi. Les spectateurs sont venus nombreux pour assister à l’une des premières diffusions de Godard, seul le cinéma, un documentaire de Cyril Leuthy, qui sera ensuite disponible sur Arte en février. « Il y a principalement des personnes âgées » explique un photographe du festival qui immortalise l’instant. Il est vrai que le public n’est pas très jeune, et on comprend pourquoi ; la période phare de Jean-Luc Godard, c’est surtout la Nouvelle Vague, dans les années 60. Au milieu des cinéphiles de la première heure, on distingue quelques jeunes têtes éparpillées dans les rangs. Le public a l’air ému, cela fait un peu plus d’un mois que le réalisateur est décédé.

C’est avec fierté, que Thierry Frémeaux, directeur de l’Institut Lumière, s’adresse à la salle en amont de la projection. « C’est une grande opportunité pour nous de diffuser ce documentaire au cours du festival », déclare-t-il avant d’inviter le réalisateur à le rejoindre. Il raconte aussi quelques anecdotes à propos de sa relation avec Godard. Lors d’une édition du festival des Cannes (dont il est le délégué général) il y a quelques années, le réalisateur lui exprimait ne pas vouloir que son film soit « traduit en américain ». Puis, c’est le réalisateur du documentaire, Cyril Leuthy qui s’exprime, en expliquant son long travail de visionnages d’archives rendus notamment possible grâce à l’INA, coproducteur du film. Sans non plus spoiler le public, il résume la genèse de ce projet, en exprimant son affection pour « Godard le punk » avant que les lumières ne s’éteignent.

L’avis de l’Écornifleur : Un documentaire sur l’homme, pas sur l’œuvre.

Godard, seul le cinéma est un documentaire complet, qui nous plonge dans la vie d’un artiste hors-norme qui, même quand on ne l’apprécie pas, ne peut pas laisser insensible tant il a marqué son époque et influencé des centaines de réalisateurs. Godard, c’est une vie compliquée qui est ici bien racontée. On en apprend aussi bien sur ses amours (nombreux), que sur sa solitude, son impulsivité ou sa très complexe relation avec la célébrité et ses engagements politiques. Si le film est parfois très triste, voire trop, on rigole aussi, car si Godard était connu pour être sulfureux, il était aussi très drôle. Comme lorsqu’à une cérémonie des Césars en 1987 on lui demande s’il est « l’éternel marginal du cinéma », il répond « Oui, mais vous savez la marge c’est ce qui fait tenir les pages ensemble ».

https://www.youtube.com/watch?v=Zsgyge6Tid8&t=239s

Un documentaire pour découvrir  

90 minutes plus tard, c’est avec ferveur que les spectateurs applaudissent l’équipe du documentaire. Contrairement à l’avant-projection, la sortie se fait, elle, dans le silence. Très vite, tout le monde récupère ses affaires et sort de la salle. A l’entrée du cinéma, sur la rue de la République, Mathilde, étudiante en philosophie à l’ENS, passée par des études de cinéma, explique être principalement venue par « curiosité ». « Je n’ai pas appris grand-chose, je connaissais pas mal de films, même ceux de la période 70/80 qui sont moins connus. Mais ça m’a donné envie de voir ce que je ne connaissais pas », explique-t-elle. « C’est un but important », confirme Cyril Leuthy qui veut que ce documentaire puisse aussi être un appel à découvrir la gigantesque œuvre de Godard. « Je suis curieux de voir ce qu’il reste de Godard chez les jeunes », s’interroge-t-il tout en se réjouissant que le documentaire soit bientôt diffusé à grande échelle sur Arte. En comparant cette œuvre à l’opéra, souvent jugée inaccessible, il explique que son documentaire vise aussi à attiser la curiosité et à attirer le spectateur.

« J’ai découvert un cinéaste que je ne connaissais pas »

Michelle, 70 ans, n’a évidemment pas le même rapport au réalisateur que Camille, même si elle avoue qu’elle ne connaissait « pas tant que ça » l’ensemble de son œuvre avant la séance. « J’ai découvert un cinéaste que je n’imaginais pas, je le pensais plus sérieux alors qu’en fait il est drôle, inattendu, toujours là où l’on ne le cherche pas », détaille-t-elle à propos de l’auteur des films qui ont marqué sa jeunesse. Un brin nostalgique, la retraitée rappelle aussi une période particulière, celle de mai 68 et du maoïsme, racontée dans le très controversé La Chinoise (1967). Quant à son film préféré, pas de doute, c’est le premier : À bout de souffle (1960), avec Jean Paul Belmondo et Jean Seberg.

Dans toute cette œuvre gigantesque (140 films), c’est Hélas pour moi, sorti en 1993 avec Gérard Depardieu, qui a le plus marqué Camille. « On a perdu une figure tutélaire du cinéma », lâche-t-elle en expliquant que le documentaire qu’elle vient de visionner prend certainement une tournure différente du projet de départ en raison de la mort de Godard. Pour le réalisateur, la partie la plus marquante est sans aucun doute la série de films Histoire(s) du cinéma, une œuvre unique en son genre qui recoupe des milliers d’archives avec une approche de montage très conceptuelle.

Si à la lecture de cet article l’envie vous prend de découvrir ces films, Cyril Leuthy a deux recommandations : d’abord, À bout de souffle car il est « quand même impossible de passer à côté », mais aussi Histoire(s) du cinéma, moins accessible, mais intéressant pour observer la « liberté prise » et le « choc esthétique ».