« Sous les radars (3/12) ». Cachés ou invisibles, souterrains ou au-dessus de nos têtes, L’Écornifleur s’est rendu dans des lieux qui échappent aux regards. Dans le quartier Langlet-Santy (8e), l’ancien parking du supermarché ALDI a été réhabilité en 2022 par une entreprise parisienne, Cycloponics. Spécialisée dans la transformation et la reconversion des souterrains urbains inutilisés en fermes urbaines, l’entreprise fait pousser des champignons bio à Lyon.
Un matin de novembre à 7h30, au milieu des tours à sept étages, à proximité du Centre de santé Santy-La Plaine, se cache, derrières quelques voitures, un passage en pente menant à des sous-sols. Derrière cette longue porte de garage, se dévoile un espace de 1600 m². Tables, chaises, frigos, tuyaux d’aération, palettes, et d’autres mobiliers composent le décor.
À l’entrée du parking, un mur affiche les quatre conditions idéales pour la pousse des champignons : humidité, stabilité de température, fraicheur et renouvellement d’air, de quoi rappeler la recette à suivre pour récréer une atmosphère de sous-bois. Au bout d’un des couloirs, des caisses en bois sont empilées sur un chariot élévateur, tandis que deux personnes posent des étiquettes, chargent et pèsent les caisses remplies de champignons de Paris. Benjamin Régnier, responsable commente : « C’est le produit préféré des Français. »
C’est dès l’aube que les quatre salariés de l’équipe de la start-up Cycloponics préparent les commandes et commencent la cueillette de champignons. « Ici, on n’a pas la notion du temps. On n’a aucun contact avec la lumière naturelle » remarque Benjamin. Dans moins d’une heure, Moussa, salarié saisonnier en 35 heures partira sur les routes pour livrer les commandes auprès de trois grossistes, des restaurateurs, et des épiceries partenaires. « La semaine dernière on a vendu 800 kg de champignons au total : 400 kg de champignons de Paris, 300 kg de pleurotes et 100 kg de shiitaké », détaille Benjamin Régnier, ancien ingénieur en management de projet.
« On nous a laissé beaucoup d’autonomie pour réaliser le projet »
Depuis 2022, ce parking désaffecté, propriété de la SACVL a été réhabilité par Benjamin Régnier, originaire de Nancy. « J’étais tout seul pendant six mois, puis Yoann est arrivé. Il a fallu tout nettoyer, repeindre en blanc, aménager les espaces pour la production de champignons et faire l’installation des circuits électriques et d’eau ». Après ces quelques mois, Yoann, ancien couvreur-zingueur a été recruté pour les gros travaux et pour la suite de l’aventure « champignoresque ». Avant de lancer l’activité agricole en avril 2023, les deux trentenaires se sont formés auprès des fermes urbaines précédentes situées à Strasbourg, Paris et Bordeaux.
Trois variétés de champignons poussent sur le site : les champignons de Paris, les pleurotes et les shiitaké. Le lieu dispose de neuf salles de culture dont sept pour les champignons au chapeau rond blanc velouté, une pour les fongus aux lamelles en forme d’oreille et la dernière accueille ce champignon brun découvert au Japon. « Les champignons dégagent des spores, ce sont les cellules reproductrices et ça peut contaminer les autres. Il est préférable qu’ils soient séparés », explique Yoann, 36 ans qui a tout appris en observant le processus de croissance.
« Un bon champignon, c’est un champignon frais »
« Plus le champignon est frais, meilleur il est là. C’est pour ça que nous sommes proches des consommateurs », insiste Benjamin Régnier. La haute saison débute en novembre et s’étend jusqu’en avril. « La cueillette des champignons n’est pas complexe mais les conditions de cultures sont cruciales », ajoute-t-il. Dans la salle 4, où l’humidité atteint 90 % et la température est maintenue à 18°C, ce sont des centaines de champignons qui s’étendent sur plusieurs rangées d’étals. Les sacs de substrats, achetés en Allemagne sont enrichis de mycélium permettant sur un cycle de culture de six à sept semaines, d’avoir un rendement de 500 à 700 kg de champignons.
Yoann responsable de la maintenance, cheveux tirés en arrière, vêtu d’un K-Way gris, s’affaire sur un fond de musique flamenca. « Toute la matinée, on cueille les champignons parce qu’il faut les ramasser à temps, avant que leur chapeau ne s’ouvre », explique-t-il. Et puis il en prend soin. « J’enlève les souches, les petits champignons qui ne vont plus poussés, je les humidifie et je les nettoie. » Lui, qui voulait changer de profession, a appris en observant. « Je n’y connaissais rien, mais ça m’a intrigué. Je me suis documenté et j’ai beaucoup observé. »
Pour l’équipe de Cycloponics Lyon, un nouveau projet est en cours : la réhabilitation d’un autre parking en ferme urbaine, cette fois-ci dans le quartier du Tonkin à Villeurbanne. « Le lancement de la production de champignons exotiques, destinés aux grands restaurants est prévu pour septembre 2025 », indique Benjamin Régnier.